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Partie I: Cadre conceptuel

Chapitre 3. Les changements climatiques: un enjeu en matière de migration et

3.4. Insuffisance du cadre juridique international – Problématique pour la

Comme nous l’avons déjà souligné, le Traité de Genève prévoit certaines conditions bien délimitées pour permettre à une personne de bénéficier du statut de réfugié. Ce dernier doit se déplacer à l’extérieur des frontières, internationalement reconnues, et doit être confronté à un risque réel de persécution au sein de son pays. Comme nous avons tenté de le démontrer les PDCDE (migrants environnementaux) ne remplissent pas la totalité des conditions stipulées par le Traité. Pour les rédacteurs du Traité, ces migrants sont exclus car ils sont supposés être protégés par le droit national alors que la principale raison de l’existence du Traité était d’offrir une reconnaissance juridique internationale et d’autre part d’assurer la protection de toute personne expulsée de son foyer et déplacée soit à l’intérieur du pays soit à l’extérieur des frontières au cours de la deuxième guerre mondiale. Notons que si le déplacement à l’intérieur du pays est mentionné, il ne concerne que les personnes ayant été contraintes de le faire lors de la 2ème guerre mondiale.

A la lumière de récentes catastrophes naturelles, on peut objectivement s’interroger sur l’efficacité de la protection nationale, spécialement lorsque celles-ci sont de grande ampleur. L’expérience des dernières années montre non seulement à quel point les pays en retard de développement sont impuissants face à de tels évènements et ne peuvent organiser eux-seuls le secours aux victimes mais plus encore que les pays mêmes les mieux dotés peuvent être insuffisamment préparés et organisés pour gérer de grandes crises, l’ouragan Katrina aux Etats-Unis est un exemple caractéristique. Près de deux ans après la catastrophe, la moitié des résidents de la Nouvelle-Orléans ne seraient pas revenus dans leur ville (Gemenne F., 2007).

En d’autres termes, la protection des PDCDE reste en grande partie incertaine et lorsqu’elle se met en place, elle vise à régler dans l’urgence, le déplacement des sinistrés puis à terme la question des indemnités et de leur sécurité. Bien souvent, lorsque des organismes internationaux tel le Haut-commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) ou d’autres organismes internationaux qui disposent des mécanismes et moyens appropriés interviennent sur une catastrophe naturelle, c’est parce qu’ils sont déjà sur place ou à proximité de la région touchée, tel fut le cas lors du Tsunami en Décembre 2004 ou encore du séisme au Pakistan au mois d’Octobre 2005. Ce type d’interventions n’entre pas dans le mandat du HCR, le Haut-commissaire Lubbers l’ayant qualifiée d’exceptionnelle à propos des

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victimes de ce Tsunami. C’est donc - comme le souligne à juste titre Gemenne (2007) - fortuitement que le HCR a apporté son soutien aux sinistrés et ce, dans un esprit humanitaire.

Cependant, il semblerait que le champ d’intervention de cet organisme soit en train de s’élargir (Maertens, 2012) ce qui pourrait effectivement contribuer à une reconnaissance progressive d’un statut propre aux PDCDE. A titre de preuve, nous pouvons nous référer aux propos mêmes du Haut-commissaire Guterres (2008) : « …certains mouvements susceptibles d’être amorcés par les changements climatiques pourraient de fait tomber dans le cadre traditionnel du droit des réfugiés, ce qui les amènerait à relever des instruments internationaux ou régionaux concernant les réfugiés ou des formes complémentaires de protection ainsi que du mandat du HCR »48.

D’un premier point de vue, la reconnaissance juridique et la protection des réfugiés environnementaux semble tentante. Cependant, les experts dans les questions du droit d’asile, s’inquiètent de cette perspective de révision de la Convention de Genève, craignant que les conditions politiques actuelles ne soient pas propices à une révision limitée des droits d’asile, destinée à élargir le statut de réfugié à certaines catégories de PDCDE et que cela débouche finalement sur la remise en cause du statut pour certaines catégories de personnes pouvant actuellement bénéficier de ce statut. La question qui est ainsi directement posée, est de savoir si un statut de reconnaissance juridique et de protection des réfugiés environnementaux est la solution la plus convenable?

Sans vouloir analyser en détail, cette question qui pourrait faire l’objet d’une thèse, nous soulignerons néanmoins qu’en l’état actuel des choses, deux grandes tendances se dégagent face à cette épineuse question : les opposants et les défenseurs de la reconnaissance juridique (Magniny, 2008).

Les Opposants

Ceux-ci soutiennent que les institutions en vigueur, la Convention Internationale des Nations Unies pour les réfugiés (1951) de même que le Protocole relatif (1967) sont largement suffisant pour permettre un encadrement juridique de cette catégorie spécifique de réfugiés. Les instruments institutionnels existent, il importe simplement d’assurer leur application et réalisation substantielle et non de créer un nouveau cadre juridique. De plus, les plus fervents détracteurs repose leur argumentation sur le fait que la situation des uns et des autres n’est pas

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comparable: le risque environnemental, la menace qui en résulte n’étant pas assimilable à la menace de persécution telle que stipulée dans la Convention de Genève.

Les défenseurs

Les défenseurs de la mise en place d’un statut juridique assurant la reconnaissance et la protection des réfugiés environnementaux soutiennent logiquement que les instruments institutionnels existants au niveau international comme national sont non seulement inefficaces et insuffisants pour encadrer ce type de réfugiés mais plus encore qu’ils sont inappropriés et dépassés du fait du grand nombre de personnes déjà concernées. S’appuyant sur les estimations alarmistes, ils considèrent de plus que ces flux ne pourront que s’accroître au fil des années.

Il est alors nécessaire d’adopter une approche différente de celle sur laquelle se sont fondés les documents juridiques de 1951 et 1967 qui cherchaient avant tout à clarifier le statut des réfugiés après la seconde guerre mondiale. Le statut de cette catégorie de réfugiés doit être appréhendé dans une perspective telle que l’on puisse, sinon prévoir du moins limiter les conséquences des catastrophes environnementales.

Ils considèrent enfin que les bénéficiaires de ce nouveau statut juridique doivent comprendre la totalité des personnes qui, du fait d’une catastrophe environnementale soudaine ou progressive furent contraints d’abandonner leur lieu de vie habituel, qu’il s’agisse d’un déplacement définitif ou provisoire. L’argument avancé pour justifier une large couverture est que l’impact écologique de l’évènement peut – hormis le déplacement provisoire - entraîner un abandon définitif du lieu habituel de résidence dans la mesure où on ne peut être certain, au moment de l’évènement, que le retour pourra réellement se faire. En conséquence de quoi, la reconnaissance et la protection juridique se doit de couvrir tous les cas de figure.

En définitif, la proposition d’appliquer les instruments institutionnels en vigueur nous semble en partie inopérante : la Convention Internationale et le Protocole relatif se réfèrent aux phénomènes isolés et à des procédures inapplicables en cas d’exode massif provoqué par les changements climatiques et tout autre catastrophe naturelle. Les causes du déplacement et les modalités de réalisation sont trop différentes pour envisager un simple élargissement du champ d’application du cadre juridique. Par voie de conséquence, les politiques, mesures et types d’intervention à mettre en place doivent être adaptés à la nature des évènements provoquant la migration.

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L’autre différence substantielle entre les réfugiés « classiques » et les réfugiés environnementaux est que les premiers, lorsqu’ils abandonnent leur pays d’origine, ne bénéficient d’aucune protection juridique, tandis que les PDCDE continuent d’être sous la protection institutionnelle de leur pays d’origine lorsque le déplacement s’effectue à l’intérieur des frontières. Dans les cas spécifiques où les sinistrés sont déplacés en dehors de leur pays, ils bénéficieront alors de la protection juridique du pays d’accueil. En d’autres termes, même si la protection du PDCDE peut se révéler largement insuffisante par manque de moyens et nécessite donc que des solutions soient apportées, la question de la rupture du statut juridique ne se pose évidemment pas dans les mêmes termes et selon la même intensité. Il nous semble en effet que pour les PDCDE, la rupture définitive avec le pays d’origine n’est envisageable que dans des situations extrêmes, lorsque le déplacement ne peut se faire qu’en dehors des frontières nationales et que les perspectives de retour soient infimes.

Enfin, l’adoption d’un statut spécifique aux PDCDE pourrait contribuer à éviter que certaines de ces personnes déplacées ne se transforment au fil du temps en réfugiés économiques, argument que les autorités politiques ne devraient pas sous-estimer, donnant encore plus de poids à la proposition de Bierman, Boas (2007) de mise en place d’un « régime sui generis ».

3.5. Conclusion

Au cours de la dernière décennie, nous avons pu observer une sensibilisation croissante des scientifiques, des décideurs politiques et de l’opinion publique sur les questions liées au changement climatique et à leurs conséquences en termes de déplacements de populations. En dépit des différentes tentatives d’estimation, il est quasiment impossible d’évaluer quelle sera l’ampleur et l’intensité de ces flux de migration, tant au niveau mondial que régional. Ces estimations sont étroitement dépendantes (i) de l’horizon que l’on se fixe, l’ampleur des changements climatiques étant également fonction de cet horizon et (ii) de la nature des catastrophes et dégradations environnementales.

Certes, quel que soit l’intensité future du phénomène, il est clair qu’instaurer un régime « sui generis » devrait contribuer à la protection immédiate des populations concernées et inciter à une protection plus efficace de l’environnement, ce qui finalement permettrait, à terme, de ralentir ces flux migratoires. Ne pouvant prévoir quelle sera la capacité proactive d’adaptation des Etats et régions, nous en conviendrons que chercher à estimer les flux migratoires à un horizon précis est une tâche quasiment irréaliste. Tout au plus - et cela est déjà une information précieuse – essayons de développer des méthodes fiables d’estimation du nombre

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de personnes exposées, dans une région précise, à certains risques prévisibles à divers horizons temporels. Nous ne parlons alors plus d’estimation de flux mais bien d’estimation de stocks potentiels.

Au travers de notre réflexion, nous avons finalement choisi d’adopter un terme moins précis que celui de « réfugié environnemental » adoptant même une périphrase « personne déplacée pour cause de catastrophe ou dégradation environnementale » (PDCDE) afin de pouvoir prendre en compte la complexité des phénomènes et processus qui sous-tendent ce type de déplacements de population. Et c’est en tenant explicitement compte de cette complexité que la réflexion et les propositions relatives à la reconnaissance et au statut juridique devront se poursuivre, le cadre institutionnel actuel présentant de réelles insuffisances.

Ayant délimité l’objet notre objet d’étude, à savoir l’ampleur des personnes exposées à un risque de déplacement pour cause de catastrophe ou dégradation environnementale et compte-tenu des réserves émises ci-dessus, nous nous proposons dans la suite du travail de nous intéresser plus spécialement aux personnes potentiellement exposées à la menace d’élévation du niveau de la mer. Nous retiendrons pour horizons temporels, ceux pour lesquels nous disposons d’informations « fiables » quant aux niveaux d’élévation du niveau de la mer et donc de submersion des territoires littoraux.

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PARTIE II: LES ENJEUX POUR LA