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Partie I: Cadre conceptuel

2.2. Les techniques de mesure du niveau de la mer

Les méthodes d’estimation de la variation du niveau de la mer se sont fortement améliorées au cours du dernier siècle. De façon succincte, nous pouvons distinguer trois procédés différents : les marégraphes, l’analyse des causes possibles de variation du volume des eaux océaniques, et l’altimétrie satellitaire (Gibert, 2013).

2.2.1. Les marégraphes, pour le dernier siècle

Les marégraphes sont des dispositifs situés sur la côte mais également dans certains emplacements en haute mer. Les premiers marégraphes remontent au début du 18ème siècle tel celui d’Amsterdam qui a fourni des enregistrements depuis 1700 jusqu’à 1925. D’autres marégraphes très anciens continuent de fonctionner comme ceux de Stockholm depuis 1774, Liverpool depuis 1768) ou encore Brest depuis 1807 (Meyssignac, 2012). Ils mesurent en permanence le niveau de la mer par rapport à la terre voisine et donnent la possibilité d’appréhender les variations du niveau de la mer en des lieux précis, là où les observations sont collectées. La moyenne du niveau de la mer ainsi mesurée au cours du temps permet. Au travers de ces enregistrements qui se sont multipliés au cours du temps, des séries temporelles sur les longs termes ont ainsi créées, fournissant des informations très précieuses quant aux variations du niveau de la mer. C’est grâce à ces données que l’on a pu mettre en évidence que depuis plusieurs décennies, la mer monte de façon significative, à une vitesse de l’ordre de 1,5 à 2mm par an (environ 15 à 20 cm au total au cours du XXème siècle) soit 15 à 20 fois plus vite qu’au cours des derniers siècles.

Les mesures des marégraphes historiques sont systématiquement utilisées pour étudier les variations du niveau de la mer au cours du 20ème siècle. La multiplication des positionnements et la continuité des enregistrements marégraphiques sont deux paramètres cruciaux pour l’étude des variations à long terme du niveau de la mer. Au cours du dernier siècle, 1000 marégraphes environ ont fonctionné pendant des périodes plus au moins longues. Seule une vingtaine de stations fournit des données continues sur le 20èmesiècle et elles se situent principalement dans l’hémisphère nord le long des côtes d’Europe et d’Amérique du Nord (Llovel, 2010). 10% seulement des données marégraphiques sont jugées aptes à l'étude du changement climatique du fait que de nombreux marégraphes n'ont pas toujours fonctionné en continu, générant ainsi des « valeurs manquantes » dans les séries temporelles. Or pour pouvoir analyser les tendances sur le long terme, il est estimé que les séries de données doivent porter sur environ 50 années continues (Planton et al, 2012), expliquant alors le faible

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pourcentage de données exploitables. La répartition géographique hétérogène soulève de plus des problèmes de fiabilité quant aux estimations globales alors qu’en parallèle, les tendances de variation sont très variables d’une région à l’autre (Pirazzoli, 2001:10). Il y a donc comme le soulignait C. Le Provost (2002), un risque lié à la difficulté « d’échantillonner correctement la variabilité géographique de l’élévation du niveau de la mer ». Cette question fait encore de nos jours l’objet de nombreux travaux scientifiques et l’on peut admettre que le recours à des modèles mathématiques de plus en plus sophistiqués contribue en partie à surmonter cet obstacle.

Il faut enfin souligner que ces instruments étant fixés le long des côtes, ils fournissent des données portant uniquement sur les variations côtières du niveau de la mer mais les mouvements verticaux du sol sont pris en compte dans ces enregistrements.

2.2.2. L’analyse des causes possibles de variation du volume des eaux océaniques

A la suite de la récente augmentation de la température mondiale, divers modèles climatique sont été créés. En France, pour ne citer que ce pays, deux modèles climatiques de simulation ont été développés, l’un par le CNRM (CNRM-CM3) et l’autre par l’IPSL (le LMDZ). Ces modèles ont estimé que les variations de densité de l’eau océanique ont provoqué, dans l’ensemble, une montée moyenne du niveau global de la mer de 0,3 à 0,7 mm/an au cours du dernier siècle (soit 3 à 7 cm). Pour les glaciers continentaux, il est généralement estimé que l’Antarctique est en équilibre ou présente un bilan de masse légèrement positif (contribution de -02, à 0,0 mm/an pour le niveau marin) tandis que le Groenland est proche de l’équilibre (contribution de 0,0 à 0,1 mm/an pour le niveau marin). Pour ce qui est des petits glaciers locaux qui ne représentent que 1% des glaces continentales, ils ont nettement reculé lors du dernier siècle (contribution de 0,1 à 0,4 mm/an pour le niveau marin). Les changements hydrologiques d’origine anthropique (lacs artificiels, pompages d’eau souterraine fossile) auraient plutôt fait diminuer le niveau de la mer (contribution de -0,25 à 0,05mm/an pour le niveau marin). Enfin, l’effet de la fonte du pergélisol et du dépôt sur le fond marin de sédiments d’origine continentale serait presque négligeable.

Ainsi, conformément aux sources scientifiques, l’estimation la plus probable serait que le niveau global de la mer se soit élevé au cours du dernier siècle entre -0,05 et 1.3 mm/an, correspondant à une moyenne de l’ordre de 0,65 mm/an (6,5 cm pour le XXème siècle). Cependant, le rapport de 2007 du GIEC mentionne un ajustement plus fort des calottes polaires aux changements climatiques du passé. La contribution serait alors de 0,0 à 0,5

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mm/an pour le niveau marin, ce qui ferait passer le maximum de la fourchette à 1,85 mm/an et la valeur centrale à 0,9 mm/an, soit 9 cm pour le XXème siècle (Pirazzoli, 2001:10).

2.2.3. L’altimétrie satellitaire pour la dernière décennie

Depuis le début des années 1990, les observations des satellites altimétriques de haute précision Topex/Poséidon (lancé en aout 1992), Jason-1 (lancé en décembre 2001) et Jason-2 (lancé en juin 2008) surveillent en permanence les variations du niveau de la mer. Le recours aux satellites altimétriques présente d’importants avantages : non seulement la hauteur de la surface des océans est mesurée avec une très grande précision de l’ordre de 1 à 2cm en variations absolues du niveau de la mer mais plus encore, contrairement aux marégraphes, il est possible d’avoir une couverture quasi complète du domaine océanique (entre +/- 66 de latitude) ce qui permet d’en déduire, une fois les corrections indispensables effectuées, l’évolution du niveau de la mer avec une précision de l’ordre de quelques dixièmes de millimètre par an.

Les données satellitaires font apparaître une tendance quasiment linéaire de l’élévation du niveau de la mer depuis 1993 (Meyssignac, 2012: 16-17). Cependant cette tendance globale ne doit pas voiler deux réalités tout aussi essentielles :

(a) Selon les observations les plus récentes du satellite Topex/Poséidon, la montée globale du niveau de la mer depuis 1993 est loin d’être uniforme dans le temps. Ainsi, le niveau moyen global de la mer présenta d’importantes fluctuations entre 1997 et 1999, provoquée par le phénomène El Nino de 1997qui perturba considérablement l’estimation du niveau moyen en fonction du temps. La tendance était d’environ 2,2 mm/an entre janvier 1993 et décembre 1996 (Cazenave, 1999), avant le dernier El Nino, et selon l’ensemble des données disponibles sur la période 1993 - 2011,la hausse dépasserait les 3 mm par an (Cazenave & Llovel, 2010; Mitchum et al., 2010; Nerem et al., 2010).Il reste cependant des incertitudes techniques, liées à l’altimètre de bord, incertitudes que les modèles mathématiques récents prennent de plus en plus en considération.

(b) Par ailleurs, la tendance linéaire présente une variabilité géographique. C’est dans l’océan Pacifique et dans une moindre mesure l’océan Indien que l’on observe les plus forts contrastes alors que les variations géographiques ne sont pas aussi marquées dans l’océan Atlantique (Pirazzoli, 2001:10, Llovel, 2010). Si certaines régions présentent des hausses

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supérieures à la moyenne globale allant même jusqu’à 20mm/an, on a pu enregistrer dans d’autres régions une baisse pouvant même dépasser les 10mm/an (Cazenave, 2006).

Ainsi, depuis le début des années 2000, ces techniques de pointe : altimétrie et gravimétrie satellitaire nous permettent de mieux comprendre le bilan du niveau de la mer, et permettent de mesurer les variations du volume et de la masse de l’océan et des glaces tandis que les flotteurs-profileurs Argo permettent d’enregistrer les températures des couches supérieures de l’océan (0 à 700 m) et leur dilatation thermique.

Grâce à ces nombreuses techniques de collecte de données, il est désormais possible d’établir des prévisions pour les prochaines décennies quant à l’élévation du niveau des mers, en se basant sur des simulations numériques de l’évolution future du système climatique conformément aux différents scénarios plausibles d’émissions de gaz à effet de serre et d’expansion démographique. Comme nous le verrons par la suite, quel que soit le scénario retenu, la hausse du niveau de la mer devrait se poursuivre au cours des prochains siècles. Si la vitesse du changement dépend du scénario étudié, elle est en général supérieure à celle que nous connaissons aujourd’hui. Pour les prochaines décennies, la dilatation thermique de l’océan devrait continuer d’être le facteur dominant. En effet, en raison de l’énorme capacité thermique de l’eau de mer, la chaleur accumulée dans l’océan au cours du temps causerait une hausse inévitable du niveau de la mer.

Il est donc certain que la surveillance des océans et des calottes polaires depuis l’espace ainsi que la mise en place de réseaux in situ permettant de mesurer les paramètres climatiques, sont essentiels pour mieux comprendre le système climatique et ses modifications. L’apport en données qui en résultera, permettra d’améliorer les modèles qui simulent son évolution future et par conséquence l’évolution du niveau de la mer.