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nanciarisé

Introduction

L'évolution de l'accumulation de nouveaux biens en capital xe par les entreprises re- vêt un rôle crucial dans une économie capitaliste puisqu'elle est garante de la croissance économique à long terme. Si l'on suit le raisonnement keynésien sur ce point, la relative sta- bilité de l'ensemble des autres postes de demande fait de l'investissement des entreprises le principal déterminant du niveau d'emploi. L'investissement des entreprises recouvre deux champs principaux, à savoir l'acquisition de nouveaux biens en capital xe  la croissance interne  et l'investissement nancier qui recouvre lui-même la croissance externe et l'ac- quisition minoritaire de titres nanciers. Nous étudions dans ce chapitre les déterminants de l'acquisition de nouveaux biens en capital xe sur longue période, qui dépendent du

régime d'accumulation et du mode de régulation dans lesquels les entreprises évoluent. Un certain nombre d'observateurs juge le niveau de l'investissement extrêmement bas depuis les années 1980, comparativement à la période des Trente Glorieuses. On peut évoquer à ce titre les travaux d'Aglietta (1976, postface de 1997) et de Duménil et Levy (2004). Au début des années 2000, un rapport du Sénat (2002-2003) s'intéresse à cette question et met en avant un enjeu fondamental, à savoir le rôle que la sphère nancière joue dans la détermination de l'investissement. Ce rapport évoque en eet le faible niveau du taux d'investissement durant les années 1990  ce taux rapportant l'investissement à la valeur ajoutée des entreprises  en dépit de son redressement à la n de la décennie et il estime que ce phénomène ne peut être expliqué sans une prise en compte des variables nancières, de façon à mieux appréhender la façon dont les entreprises décident de leur stratégie d'investissement. L'auteur, M. Kergueris, évoque la question des contraintes de nancement des entreprises  cadre de raisonnement nouveau keynésien, mais aussi la question des exigences des actionnaires et de leur impact sur les décisions d'investissement des entreprises  cadre de raisonnement de l'École française de la théorie de la Régulation et post-keynésien.

Nous nous situons ici dans le second cadre d'analyse. Nous souhaitons montrer que le rythme ralenti de l'investissement depuis le début des années 1980 trouve précisément sa source dans la nouvelle gouvernance des entreprises. Cette dernière est orientée vers la sa- tisfaction des actionnaires par le respect du principe de la valeur actionnariale, c'est-à-dire la maximisation de la richesse de l'actionnaire pris individuellement.

Les principaux objectifs de ce chapitre sont les suivants.

Le premier objectif est de montrer que la faiblesse de l'accumulation de capital xe en France, depuis le début des années 1980, obéit à une logique macroéconomique et que la faiblesse de l'investissement des entreprises devrait s'amplier à long terme. Une contrainte apparaît au sein du régime d'accumulation  qui réunit les conditions dans lesquelles les entreprises décident de leur stratégie d'investissement  nanciarisé en France à partir du début des années 1980 et en présence d'actionnaires toujours plus actifs, au premier rang desquels les investisseurs institutionnels. Les entreprises privilégient la rentabilité de

l'investissement au détriment du niveau de l'investissement lui-même, objectif privilégié dans le régime d'accumulation fordiste durant la période des Trente Glorieuses.

Ce comportement aecte le niveau global de l'investissement d'une économie donnée. Il s'ensuit une déconnexion entre taux de prot et taux d'accumulation du capital qui im- plique une forte dépendance de la réalisation des prots à des sources de débouché autres que l'investissement, au premier rang desquelles se trouve la consommation des revenus nanciers. Les entreprises distribuent en eet une part conséquente du prot qu'elles ob- tiennent, pourtant si les détenteurs de titres ne consomment pas une part conséquente de leurs revenus, la déception des attentes de prots des dirigeants peut conduire à amplier la sélectivité des projets de croissance interne.

Le deuxième objectif du chapitre porte sur l'analyse du comportement de deux grandes catégories d'entreprises dans le cadre du régime d'accumulation nanciarisé : (i) les sociétés non nancières françaises (ci-après parfois dénommées  l'ensemble des entreprises ) ; et (ii) les grands groupes non nanciers cotés. Nous nous attachons à comprendre les dié- rences et similitudes dans leur comportement d'investissement. Les groupes étant les plus susceptibles de subir la contrainte que les actionnaires imposent et évoluant par ailleurs sur un périmètre géographique mondial, d'importantes diérences apparaissent. La comparai- son avec le comportement de l'ensemble des entreprises en France permet ainsi d'analyser plus nement la transmission de cette contrainte nancière à l'ensemble de l'économie.

Pour montrer en quoi le régime de croissance en France est tendanciellement dépressif du fait de la déconnexion qui se développe entre taux de prot et taux d'accumulation du capital xe, nous procédons en trois étapes.

Dans une première section, nous présentons le passage du régime de croissance fordiste qui caractérise la période des Trente Glorieuses à un régime de croissance patrimonial ou nanciarisé, avec le retour en force du pouvoir de l'actionnaire. Nous observons que cette dernière évolution conduit les dirigeants d'entreprise à suivre un nouvel objectif principal : le principe de la valorisation actionnariale qui repose en dernière analyse sur l'obtention d'une rentabilité nancière à court terme la plus élevée possible.

Dans une deuxième section, nous montrons que du fait de ce comportement, le régime d'accumulation nanciarisé est fondamentalement dépressif. Pour ce faire, nous avons re- cours à un modèle post-keynésien microéconomique de l'investissement, sur la base des travaux de Lavoie (1992). Compte tenu des exigences des actionnaires, les entreprises pri- vilégient les projets d'investissement les plus rentables et de ce fait investissent peu. Dans ce cadre, la réalisation des prots dépend de la consommation de prot de la part des détenteurs de titres, de la faiblesse de l'épargne des ménages salariés ou enn d'une impor- tante demande extérieure ou publique. Si ces composantes de la demande sont insusantes pour satisfaire les anticipations des entrepreneurs, seul le nancement de l'investissement des entreprises par l'endettement, qui permet un haut niveau de distribution des prots peut éviter, au-delà de la faiblesse du taux d'accumulation, son recul progressif.

Dans une troisième section, nous vérions empiriquement la faiblesse de l'investisse- ment des entreprises françaises dans le régime d'accumulation nanciarisé relativement au régime d'accumulation fordiste. En revanche, nous observons que le taux de prot global est en moyenne très élevé. Nous montrons qu'en dépit de ce que laissent présager ces résultats, l'accroissement de la distribution de prot, inhérent au principe de la valeur actionnariale, doit être relativisé. Ceci est vrai que l'on s'intéresse à l'ensemble des entreprises ou aux groupes cotés. De façon surprenante, le rôle de la consommation des revenus nanciers dans la réalisation du prot est par ailleurs limité. Il ne permet pas d'expliquer la pérennité de la déconnexion qui apparaît entre, d'une part, un taux d'accumulation des entreprises qui stagne sur longue période et, d'autre part, un taux de prot au contraire très élevé.