• Aucun résultat trouvé

Introduction

Au cours des dernières années, l'accroissement de la dépendance entre l'activité écono- mique et les uctuations boursières semble conforter la thèse de cycles nanciers d'inves- tissement dans les pays occidentaux. Selon Aglietta et Berrebi (2007), nous sommes passés d'un cycle inationniste durant la période des Trente Glorieuses, à un cycle déationniste réel depuis les années 1980 et l'avènement des  3D  (déréglementation, désintermédiation et décloisonnement) sur les marchés nanciers. Nous nous demandons ici dans quelle mesure on peut évoquer un phénomène de cycle nancier qui induirait un cycle d'investissement.

Le décryptage du comportement des groupes français cotés au SBF 250 et des entre- prises résidant en France durant les deux crises de ce début de XXIe siècle (éclatement

de la bulle technologique en 2001-2002 puis crise des subprimes en 2007-2008) doit appor- ter un nouvel éclairage sur les enseignements théoriques concernant les cycles nanciers

d'investissement. Le modèle construit par Minsky (1975) et présenté au chapitre 1, fait de l'investissement un phénomène nancier et permet d'établir un lien entre bulle nancière et croissance interne  acquisition de nouveaux biens en capital xe. La notion de fragilité endogène des bilans  l'exposition endogène des rmes au risque de défaut  fournit par ailleurs une explication à la chute conjointe des marchés nanciers et de l'investissement. La nanciarisation de la stratégie des entreprises, manifeste depuis le milieu des années 1990 et engendrée par le principe de la valorisation actionnariale, permet d'enrichir ces diérents enseignements.

L'objectif principal de ce chapitre est de montrer en quoi les stratégies mises en ÷uvre pour satisfaire l'intérêt de l'actionnaire  le principe de la valeur actionnariale  conduisent l'investissement des entreprises à suivre un cycle nancier, proche de celui que décrit le modèle minskyen de l'investissement entendu au sens de la croissance interne. À partir des travaux de Batsch (1999) et d'Aglietta et Rebérioux (2004a), nous introduisons quelques éléments supplémentaires au raisonnement de Minsky pour tenir compte des nouveaux comportements des entreprises qui adoptent le modèle de la gouvernance actionnariale. En particulier, la thèse se propose d'envisager à la fois la croissance interne et la croissance externe.

Lorsque les dirigeants d'entreprise cherchent à accroître la valeur des actions émises, ils adoptent des stratégies industrielles susceptibles d'accroître la rentabilité nancière de l'entreprise  ou rendement pour les actionnaires. Dans ce contexte, l'emballement des opérations de croissance externe s'ajoute à l'emballement de la croissance interne en période de hausse des prix sur les marchés boursiers. Par ailleurs, sur le plan strictement nancier, les dirigeants soutiennent le cours des actions en recourant à l'eet de levier fondé sur l'endettement (en particulier en utilisant des structures nancières de type LBO   Leverage Buy Out ). Ce comportement contribue à développer la fragilité nancière des bilans d'entreprise au cours de la phase ascendante d'un cycle nancier d'investissement.

Notre deuxième objectif est de mettre en avant à la fois le rôle de leader des grands groupes cotés dans l'économie, mais aussi les diérences qui persistent nécessairement entre ces groupes et l'ensemble des entreprises résidant en France, en particulier l'internationa- lisation de l'activité des grands groupes. Pour ce faire, nous explicitons le comportement

des groupes non nanciers du SBF 250 et de celui des sociétés non nancières (SNF) résidant en France, que nous désignerons respectivement sous les termes génériques de  groupes  et de  l'ensemble des entreprises françaises , sauf indication contraire. À la fois sous la pression directe des actionnaires et intervenants sur les marchés nanciers, les groupes se lancent dans les stratégies qui permettent de respecter le principe de la va- leur actionnariale. L'ensemble des entreprises est pris à leur suite dans un cycle nancier d'investissement, compte tenu de la pression que les groupes exercent sur la rentabilité de leurs liales. Pour autant, ces entreprises sont en moyenne moins enclines à procéder à des opérations de fusion et acquisition, tout comme il leur est impossible de proter des mêmes débouchés que les groupes. Ces dernières sont, elles aussi, prises dans un cycle nancier d'investissement, mais il est moins explosif que dans le cas des groupes.

Au sein du cycle nancier de l'investissement qui caractérise le régime d'accumulation nanciarisé et que nous dénommons  cycle nancier d'investissement de la valorisation actionnariale , nous distinguons trois cycles nanciers successifs historiquement datés qui sont à l'origine de trois cycles d'investissement : (i) le  cycle de la désination  qui s'étale du début des années 1980 jusqu'au milieu des années 1990 ; (ii) le  cycle des valeurs tech- nologiques  dont la phase ascendante en France a lieu de 1996 à 2000  il commence dès 1993 aux États-Unis  et la phase descendante de 2001 à 2003 ; et (iii) le  cycle de la titrisation  dont la phase ascendante court a priori de 2004 à 2008. Toutefois, le manque de recul ne permet pas de dater avec certitude le début de cette dernière phase. La seule connaissance des bilans en 2008 ne permet pas d'étudier la période complète de redres- sement du bilan des entreprises  c'est-à-dire de résorption de l'endettement. Le premier cycle étant une phase de transition, compte tenu du développement naissant de la sphère nancière, nous réduisons notre étude du cycle nancier de la valorisation actionnariale au cycle technologique et au cycle de la titrisation. Nous montrons que ces deux cycles successifs obéissent à des mécanismes similaires, tout en ayant certaines caractéristiques propres.

Pour comprendre le fonctionnement du cycle nancier d'investissement dans le régime d'accumulation nanciarisé, par opposition au cycle nancier d'investissement dans le ré-

gime d'accumulation fordiste, nous décrivons dans la première section l'évolution du modèle de gouvernance des entreprises. Nous observons que le modèle de gouvernance des entre- prises, en particulier des entreprises françaises, évolue peu à peu vers le modèle sharehol- der, c'est-à-dire le modèle actionnarial. Celui-ci a pour objectif de conduire les entreprises à respecter les exigences des actionnaires qui attendent une élévation du cours de leurs actions. Il s'ensuit une modication profonde de la gestion des entreprises. Les dirigeants soumettent la stratégie de l'entreprise à la nance de marché et utilisent l'eet de levier nancier lié à l'endettement pour atteindre des normes de rentabilité nancière élevées. Nous observons enn que ces comportements accentuent les risques de développement de la fragilité nancière des entreprises lors des phases d'accélération de l'investissement au sein du cycle nancier d'investissement de la valorisation actionnariale, par rapport au cycle nancier d'investissement dans le régime d'accumulation fordiste, ou  cycle nancier d'investissement fordiste .

Dans la deuxième section, nous identions les deux principaux cycles nanciers suc- cessifs de la période où domine la nance de marché : le cycle des valeurs technologiques et le cycle de la titrisation. Pour ce faire, nous montrons que la croissance des grands groupes cotés et de l'ensemble des entreprises est dépendante des uctuations des prix sur les marchés nanciers. L'étude des bilans comptables des groupes, d'une part, et des ux d'acquisition de titres nanciers dans les comptes de patrimoine des Sociétés Non Finan- cières (SNF), d'autre part, nous permet d'armer que les cycles nanciers d'investissement qui se sont succédés au cours des années récentes concernent, non seulement la croissance interne comme dans le modèle de Minsky, mais aussi la croissance externe. Puisque la maximisation de la valeur actionnariale conduit à privilégier l'intérêt de l'actionnaire, les modalités de nancement de l'investissement se transforment par ailleurs profondément. En particulier, les grands groupes cherchent à redistribuer le ux de trésorerie le plus élevé possible à leurs actionnaires, y compris durant la phase ascendante d'un cycle nancier, ce qui contraint en partie les stratégies de croissance.

1 Les caractéristiques de la fragilité endogène des bilans d'en-