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Une tendance de couts d’intervention en mal de diminution

6. Discussion générale

6.6 Une tendance de couts d’intervention en mal de diminution

Comme soulevé dans les précédentes sections, en raison du nombre limité d’études rapportant des données séculaires en lien avec la douleur lombaire, particulièrement la douleur récurrente, et plus spécifiquement se rapportant à des cohortes incidentes, il est très difficile de comparer nos résultats de couts directs. Ajoutons à cela que notre système de santé a la particularité d’offrir une couverture universelle, ce qui fait énormément varier les couts de santé en regard de ceux d’autres pays, dans certains cas négociés par les gouvernements, dans d’autres soumis aux mécanismes du libre marché (voir Figure 18) (OCDE, 2011a). Idéalement, nous devrions chercher à comparer nos études à celles de pays qui partagaient notre groupe entre 2000 et 2007, soit l’Australie, la Belgique et la France.

Figure 18. Groupes de pays partageant des institutions similaires en matière de système de santé.

Tiré de OCDE, 2011a avec permission.

En ce sens, une étude nationale belge sur la douleur lombaire a rapporté qu’en 1999, au niveau d’une prise en charge interventionnelle de la douleur (épidurale, pompes

intrathécales, TENS, radiofréquence), le cout moyen était de 471 €/patient alors que l’approche chirurgicale représentait 1 836 €/patient (Van Zundert & van Kleef, 2005). Les auteurs n’ont pas pu retracer l’utilisation de chaque patient, mais leurs données permettaient d’estimer un cout moyen de 96,50 €/patient en combinant les approches médicale et chirurgicale. Une fois converti en dollars canadiens de 2007, ce cout moyen avoisinait les 205 $, se rapprochant du cout moyen calculé pour notre cohorte incidente la plus proximale (en 2003 : 261 $/patient). Dans la population Australienne de 2001, le cout moyen par habitant pour la prise en charge de la douleur lombaire a été évalué à 474 $ AU, soit 437 $ CA de 2007 (Walker et al., 2003; Dagenais et al., 2008). Cinquante pour cent de ces couts directs seraient imputables à la chiropratique, la physiothérapie et autres MAC, l’approximation serait donc de 219 $/an pour les dépenses en services médicaux, un cout moyen avoisinant ceux de la Belgique et du Québec. Une seule étude a étudié le cout de la douleur lombaire chronique en France parmi 98 cliniques d’omnipraticiens réparties sur l’ensemble du territoire en 2002 (Depont et al., 2010). Parmi des patients d’âge moyen de 53 ans et ayant eu de la douleur toutes les semaines pendant les trois mois précédant la participation à l’étude, le cout moyen était de 716 €/6 mois en Euros de 2007 (1 094 $ CA). En ne conservant que les couts de visites ambulatoires et les frais d’hospitalisation, le cout représentait 30 % du total, soit 215 €/6 mois. Le groupe des 24-40 ans était celui générant le plus de couts en comparaison des 41-75 ans. La tendance dans notre étude était plutôt que le groupe des 35-49 ans générait davantage de couts que les autres classes d’âge. Cependant, gardons en tête que ces comparaisons demeurent faibles en raison des divergences méthodologiques entre ces études et la nôtre (c.-à-d. définitions, type de cohorte, consultations en MAC, etc.) et de moyennes de couts provenant de distributions fortement asymétriques provoquées par un nombre restreint de patients qui engendrent des couts d’intervention très élevés.

Si nous comparons à des pays hors de notre groupe administratif de systèmes de santé, quelques études se sont intéressées à produire des évaluations de couts pour de la douleur lombaire, non pas récurrente, mais chronique. L’étude de Gore et collaborateurs, portant sur les données administratives de 62 millions d’individus répartis dans 98 régimes d’assurances américains à travers le pays, rapporte que les 101 000 patients de 18 à 65 ans

ayant de la douleur lombaire chronique généraient en 2008 des couts directs médians de 3 623 $ US [1 384 $ - 8 784 $] (Gore et al., 2012). Les visites ambulatoires chez les médecins engendraient à elles seules un cout médian de 770 $ US [430-1 366], soit trois fois plus de couts que des patients sans douleur lombaire. Les données de Gore et collaborateurs se rapportaient à des patients dont la médiane du nombre de consultations chez l’omnipraticien était de trois par an, et chez les spécialistes de deux visites par an. Les couts de santé sont reconnus comme étant très élevés aux États-Unis (Hong et al., 2013), ce qui expliquerait l’énorme différence en comparaison du cout total calculé pour toutes les consultations et actes analysés dans notre étude en 2007 (196 $ [122-354]). Une autre étude portant sur la même banque et la même période, mais utilisant un autre algorithme de sélection pour la douleur lombaire chronique, identifiait plutôt un total de 39 000 patients engendrant des couts moyens de 2 426 $ US/an (Mehra et al., 2011). Les médicaments et la physiothérapie représentaient entre 52 % et 75 % des couts selon la présence ou pas d’une composante neuropathique. Le cout moyen en 2008, avec une approche conservatrice d’exclusion de 52 % des frais paramédicaux et de médication, était donc approximativement de 1 165 $ US/an pour les visites ambulatoires et les hospitalisations. Les patients consultaient en urgence en moyenne de 5 à 9 fois dans une période de 12 mois ce qui est particulièrement élevé. Les analyses indiquent également que les patients avec une composante neuropathique engendraient 160 % plus de couts de traitement et étaient en général plus gravement atteints (Mehra et al., 2011). L’âge moyen était de 51 ans, quatre ans de plus que dans la cohorte de Gore et collaborateurs. Dans une autre étude, portant sur plus de cinq millions de patients anglais enregistrés dans 625 cliniques de soins de première ligne répartis en Angleterre, un cout moyen de 1 129 $ pour la consultation d’omnipraticiens dans une fenêtre de 12 mois consécutifs entre 2007 et 2009 a été rapporté pour des patients aux prises avec de la douleur lombaire chronique (Hong et al., 2013). La moyenne de visites d’omnipraticiens pour des consultations était de deux par an, alors que la visite d’omnipraticiens pour des chirurgies était de 16 par an. Ce type de nomenclature (GP surgery visit) n’est malheureusement pas décrit et pas d’usage courant dans la littérature, à savoir s’il s’agit de visites lors desquelles l’omnipraticien pratique une intervention plutôt qu’un examen, ou s’il s’agit de visites de suivi suite à une chirurgie effectuée par un médecin spécialiste. Il est donc normal d’observer des couts de

consultation très élevés si les 53 000 patients avec douleur lombaire chronique dans leur étude consultaient en moyenne 18 fois par an dans ce système de santé (Hong et al., 2013). Notons que ces études sont basées sur des cohortes prévalentes et non pas incidentes, contrairement à notre étude. Également, il s’agit d’études de douleur lombaire chronique, et non pas de douleur récurrente, bien qu’aucune approche méthodologique n’ait visé à déterminer la gravité des épisodes sélectionnés. De plus, les algorithmes de ces trois études « chroniques » diffèrent; il est encore pire de constater que deux études sur la même base de données et sur le même sujet en arrivent à un écart de 60 % du nombre de patients entre leurs cohortes et à des couts moyens qui diffèrent de 70 %. Ces constats rejoignent certaines conclusions d’une revue de la littérature effectuée sur l’épidémiologie et les couts de la douleur lombaire chronique en Europe qui stipulait, entre autres, qu’il n’y avait aucune étude de couts à partir de cohortes incidentes et qu’il y avait un besoin de cohérence entre les définitions de douleur lombaire chronique utilisées (Juniper et al., 2009). Il peut donc sembler futile de chercher à comparer les résultats de pays dont le système de santé diffère du nôtre, mais également pour plusieurs raisons d’ordre méthodologique. Cependant, l’étude de Mehra et collaborateurs nous renseigne à tout le moins que leur cohorte de 39 000 patients de douleur lombaire chronique en 2008 présentait le même âge moyen que les patients de notre cohorte incidente, soit 51 ans. C’est donc dire qu’il commence à être urgent de faire un suivi des populations vieillissantes pour la douleur chronique musculosquelettique. Malheureusement, aucune des études précitées n’a cherché à déterminer quel groupe d’âge ou qui des hommes ou des femmes engendraient le plus de couts, alors que nous avons démontré dans notre étude que les hommes engendraient davantage de couts, mais que les couts chez les femmes étaient en nette hause.

En regard de la tendance séculaire des couts, les rares études qui ont publié ce genre de données ont procédé à des analyses nationales par le truchement de grandes banques de données et l’utilisation d’une codification CIM-9. Le groupe de Lambeek et collaborateurs a par exemple révélé que les couts totaux (directs et indirects) pour le traitement de la douleur au dos aux Pays-Bas avaient diminué de 23 % entre 2002 et 2007. Cependant, malgré cette résultante fortement influencée par les couts indirects, les couts directs liés à la prise en charge ambulatoire par des médecins spécialistes avaient augmenté de 13 %, les

couts de chirurgies de 21 % et les couts de visites en médecine générale de 95 %. Ces derniers couts ont explosé en 2006, probablement une conséquence de la modification de la couverture du système de santé de ce pays tel qu’expliqué à la section 2.4.1. Bien que cette étude soit basée sur de nombreuses présomptions en terme d’évaluation de couts moyens et que très peu de détails soient fournis quant à la source des données primaires, il demeure que les auteurs démontrent une baisse du fardeau socioéconomique de la douleur au dos dans ce pays, plus particulièrement en 2006 et 2007 après les changements administratifs apportés à la structure même de leur système de santé. L’autre étude qui rapporte la tendance séculaire des couts de santé pour la douleur spinale est d’une équipe américaine qui rapporte une hausse de 65 % des couts directs de 1997 à 2005 (Martin et al., 2008) et de 82 % de 1997 à 2006 (Martin et al., 2009), soit une hausse de 17 % en rajoutant l’année 2006 dans leurs analyses. Ce constat est assez inquiétant, la médication étant la catégorie ayant le plus augmenté (+ 232 %). Les couts de visites ambulatoires pendant cette période, peu importe la spécialité, ont augmenté de 52 %. Les auteurs rapportent que l’augmentation des visites ambulatoires n’est pas liée au nombre de nouvelles consultations, mais plutôt à l’augmentation de la fréquence de consultation par patient. Les auteurs sous-entendent donc que les patients auraient plus de récurrences de consultation, contribuant à une hausse des couts. Cela pourrait peut-être expliquer en partie la hausse des couts médians observée dans notre cohorte de patients très âgés, particulièrement chez les femmes. Aucune de ces études n’a cependant évalué les tendances selon l’âge et le sexe. Dans notre étude, la fréquence de consultation est demeurée stable.

Bref, il est particulièrement complexe de comparer les différentes études. La meilleure approche pour pallier ce problème serait de produire une revue systématique de tous les algorithmes utilisés pour la sélection de patients de douleur lombaire dans la littérature économique et épidémiologique. Comme d’autres l’ont fait pour les définitions de douleur lombaire aigüe et récurrente, il faudrait rassembler un panel d’experts internationaux sur l’analyse des banques administratives pour l’étude des maladies musculosquelettiques et établir un algorithme qui ferait consensus pour permettre la comparaison de futures études de couts. L’avantage avec les algorithmes réside dans le fait que la plupart des pays utilisent la codification CIM-9, et qu’il existe des tables de

conversion pour ceux qui utilisent les codes CIM-10. Cependant, à ce stade, aucune étude n’a effectué d’analyse séculaire telle que nous l’avons présentée. Comme la plupart des études le démontrent, les couts sont élevés les 12 premiers mois. Cependant, nous sommes les seuls à notre connaissance à avoir démontré que les couts de services médicaux diminuaient drastiquement dès la première année de suivi. Plusieurs questions restent en suspens, par exemple, est-ce que les patients se tournent vers les médecines alternatives et complémentaires dès la première année de suivi en raison d’un manque d’amélioration de leur condition suite à leur année index, ce qui expliquerait la chute des couts dans le système de santé? Les patients sont-ils rapidement médicamentés et les années subséquentes à l’année index se résument à des visites de suivi pour l’ajustement de la médication, ce qui diminuerait les couts d’intervention? La majorité des cas aigus sont-ils tout simplement résolus à l’intérieur de 12 mois, tel que le supportent certaines études? (Wasiak et al., 2003; Stanton et al., 2008) Les cliniques spécialisées de prise en charge de la douleur chronique sont relativement récentes au Québec. Il sera particulièrement intéressant de suivre l’évolution des couts de santé dans les prochaines années. La surspécialité de prise en charge de la douleur chronique n’est reconnue que depuis octobre 2010 par le Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada. De futures analyses de données administratives de la RAMQ dans la prochaine décennie nous permettront de déterminer s’il y a une évolution dans le profil de récurrence, d’interventions et de couts séculaires auprès de la clientèle se présentant pour de la douleur lombaire.