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La douleur lombaire récurrente, un phénomène masculin ou féminin?

6. Discussion générale

6.4 La douleur lombaire récurrente, un phénomène masculin ou féminin?

Plusieurs études rapportent que dans la population en âge de travailler, les hommes seraient plus à risque d’être importunés par de la douleur lombaire (Punnett et al., 2005). Nos résultats sous-tendaient le même résultat pour les épisodes récurrents chez les hommes de 18 à 64 ans. Cependant, nos données démontrent que les femmes âgées de 65 à 80 ans étaient plus à risque que les hommes de développer des épisodes récurrents. Tel que discuté dans la section précédente sur les données d’incidence de Waterman et collaborateurs sur les consultations pour douleur lombaire en urgence, qui s’assimilent davantage à des données de prévalence, notons que les hommes de 20 à 49 ans étaient plus à risque de développer des douleurs lombaires et les femmes de 65 à 94 ans présentaient significativement plus de chances de développer de la douleur lombaire récurrente que les hommes (Waterman et al., 2012). En ce sens, selon des données canadiennes autorapportées, en terme de prévalence, les femmes présentaient plus de douleur chronique que les hommes entre 1996 et 2008 (Reitsma et al., 2012). Le risque de vivre de manière prolongée avec cette condition, en comparaison des hommes, serait particulièrement élevé chez les femmes plus âgées, d’un niveau d’éducation plus faible, veuves ou divorcées (Reitsma et al., 2012). Toujours selon les données d’enquête canadienne de 2007-2008, à partir de 56 ans, les femmes présentaient plus de douleur chronique que les hommes (Schopflocher et al., 2011). Dans un sondage téléphonique de prévalence et d’impact de la douleur chronique, dont la douleur au dos était le site anatomique le plus fréquent (35 %), les femmes avaient également une plus grande propension que les hommes à consommer des analgésiques sous ordonnance (Moulin et al., 2002). Dans une étude portant sur la population allemande de 1997 à 1999, il a été relevé que les femmes avaient 25 % de fois plus de chances de développer de la douleur au dos, indépendamment du fait que les femmes vivaient plus longtemps ou qu’elles vivaient avec un nombre plus élevé de comorbidités (Schneider et al., 2006). Leur modèle de régression en fonction de l’âge et du sexe a permis de déterminer que les femmes de 50 à 64 ans étaient plus à risque (64 ans étant la limite supérieure d’âge), et que la somatisation face à la douleur était le seul corrélat dans leurs analyses qui pourrait expliquer une différence significative entre femmes et hommes. Les auteurs n’étaient malheureusement pas capables de différencier entre

douleur aigüe ou chronique et en raison de leur devis transversal sur des données de prévalence, ils mettaient en garde contre leurs conclusions ne devant pas être interprétées comme étant causales (Schneider et al., 2006). L’analyse d’une cohorte prospective de 35 000 jumeaux et jumelles danois a permis de démontrer que la prévalence de douleur lombaire tendait en général à être plus élevée chez les femmes de 20 à 78 ans, cependant les intervalles de confiance se superposaient en tout temps à ceux des hommes (Leboeuf-Yde et al., 2009). Par contre, lorsque la douleur au rachis en entier était considérée, les femmes avaient plus de chances d’afficher une prévalence et un nombre de jours en douleur plus élevés que les hommes, constat semblable pour la douleur dite radiante. Les auteurs n’avaient pas de nouvelle explication pour élaborer sur cette différence (Leboeuf-Yde et al., 2009). Une autre cause potentielle, en dehors de la somatisation, qui est rapportée dans la littérature fait état de l’influence des hormones et des facteurs reproducteurs (Wijnhoven et al., 2006). Dans une étude portant sur plus de 11 000 femmes sondées de 1993 à 1997 dans trois villes hollandaises, des associations positives ont été relevées entre la douleur lombaire et des niveaux d’estrogène élevés, la durée de la prise de contraceptifs oraux, une grossesse en bas âge (< 20 ans) et la prise d’estrogène durant la ménopause. Une théorie avançait que des niveaux élevés d’estrogène pourraient conduire à une laxité articulaire et ligamentaire (Wijnhoven et al., 2006). Les auteurs mentionnent également que leur étude ne pouvait confirmer le lien de cause à effet étant donné le devis transversal utilisé dans leur étude. Enfin, un essai contrôlé randomisé visant l’implantation d’une intervention éducationnelle en soins de première ligne a permis d’évaluer la douleur lombaire chez 3400 patients allemands de deux importantes villes (Chenot et al., 2008). Les analyses ont démontré, entre autres, que les femmes avaient significativement plus de chances de développer des douleurs lombaires récurrentes ainsi que chroniques. La définition de récurrence se définissait comme des épisodes multiples de moins de 90 jours durant les 12 derniers mois. Les résultats n’ont cependant pas été stratifiés en fonction de l’âge, ne nous permettant pas de conclure si ce phénomène était relié à une sous-population de femmes en particulier. Ces études transversales pour la plupart basées sur des sondages supportaient donc que les femmes, particulièrement âgées, seraient plus à risque de développer de la douleur lombaire que les hommes du même âge. Les analyses secondaires de données administratives permettraient-elles de déterminer les facteurs de risque liés à cette

différence homme-femme? Par exemple, l’usage de contraceptifs sous ordonnance, l’étude du suivi et des complications liés à la grossesse, les chirurgies gynécologiques et autres causes pourraient être investigués chez les patientes aux prises avec de la douleur lombaire récurrente à l’aide des données administratives.

Pour ce qui est de l’incidence, les études pouvant servir à comparer nos résultats sont peu nombreuses. Notons que le taux de consultation chez un omnipraticien pour de la douleur lombaire, sans distinction entre une condition aigüe ou chronique, était identique entre les hommes et les femmes de 25 à 74 ans en 2004 en Belgique (Bartholomeeusen et al., 2012). À l’opposé, Joud et collaborateurs ont relevé dans leurs analyses, basées sur une approche méthodologique de clairance de cinq années, que l’incidence de première consultation des femmes pour de la douleur lombaire était plus élevée que chez les hommes, exception faite de la catégorie de 85 ans et plus (Jöud et al., 2012). Aucune explication n’est fournie quant à cette différence. Dans nos analyses d’incidence de 2007, seuls les jeunes hommes (18-34 ans) avaient un risque 1,2 fois plus élevé que les jeunes femmes à présenter de nouveaux cas de douleur lombaire récurrente. Toutes les autres catégories d’âge présentaient un risque similaire. La différence entre les résultats de l’étude de Joud et la nôtre pourrait venir du fait encore une fois que l’étude de Joud s’intéressait à tous les cas de douleur lombaire, alors que nous nous sommes intéressés seulement aux cas récurrents. Il serait intéressant de connaitre la répartition des secteurs d’emplois chez les jeunes hommes et femmes québécois, à savoir si les jeunes hommes sont beaucoup plus présents dans le secteur ouvrier et manufacturier par exemple. Cela pourrait mener à une plus importante fréquence de consultations récurrentes en début de carrière en raison d’emplois manuels. Dans son étude d’incidence de la douleur lombaire dans une communauté israélienne, Jacob ne relevait pas de différence significative entre hommes et femmes ni entre les différentes classes d’âge (Jacobs et al., 2004). Cependant, l’échantillon d’individus avec douleur lombaire était probablement trop petit (n=212 sur 2000 habitants) pour permettre des analyses stratifiées concluantes. Pour la comparaison à d’autres études d’incidence, notons que les femmes sont sous représentées ou exclues dans les études de populations militaires ce qui diminue la validité externe de ces dernières et la possibilité de comparer à notre étude (Mattila et al., 2009; Knox et al., 2011).