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6. Discussion générale

6.7 Limites du projet de recherche

6.7.2 Biais d’information

Nous devons également soulever la possibilité d’un biais d’observateur (p. ex. le professionnel de la santé). Ce type de biais est en général présent lorsque les caractéristiques du patient sont connues et influencent le processus décisionnel du médecin à établir un diagnostic (p. ex. le pathologiste évalue une biopsie hépatique pour suspicion de cirrhose alcoolique, mais il a d’abord révisé le dossier médical qui précisait que le patient était alcoolique) (Szklo & Nieto, 2007). Regardons ce biais autrement, du point de vue de l’expertise du médecin à diagnostiquer de la douleur lombaire. Bien que la douleur lombaire soit un symptôme commun, le nombre d’heures d’enseignement dédié à la douleur en médecine au Canada était de 16 heures en 2008, soit cinq fois moins qu’en médecine vétérinaire (Watt-Watson et al., 2009). Les médecins qui deviendront compétents à faire un examen physique de qualité pour bien différencier les diagnostics de douleur lombaire risquent d’être ceux qui auront spécifiquement effectué de la formation continue sur le sujet. D’un observateur à l’autre, le code CIM-9 inscrit sur le bordereau de paiement peut donc varier énormément selon les intérêts et les compétences acquises. Un sondage national auprès de médecins américains rapportait que 60 % des omnipraticiens et jusqu’à 70 % des spécialistes n’avaient pas reçu suffisamment de formation pour la gestion de la

douleur chronique (Darer et al., 2004). Dans une étude portant sur les connaissances et habiletés de médecins généralistes et spécialistes à l’examen physique de douleur lombaire chronique dans une population âgée de 65 ans et plus, seulement 4 % avaient réussi toutes les questions pour identifier de la douleur au joint sacro-iliaque et 13 % pour identifier une sténose spinale lombaire (Cayea et al., 2006). L’évaluation clinique de la douleur nécessite des instruments validés pour optimiser la gestion de la condition du patient, et il a été rapporté qu’il y avait un manque à cet égard également (Vellucci, 2012). Tous ces éléments peuvent contribuer à introduire un biais d’information et ultimement influencer un algorithme de sélection de patients visant l’extraction de données d’une banque administrative. Dans une étude sur la douleur lombaire récurrente, les chercheurs ont contourné en partie ce biais par l’entremise de codeurs spécialisés qui leur ont extrait des réclamations liées à la région anatomique du bas du dos suite à la révision des dossiers (Wasiak et al., 2003). Cependant, dans notre cas, pour limiter l’impact de ce biais d’information, nous avons demandé à la RAMQ de procéder à une extraction des patients basée sur les trois premiers chiffres CIM-9, plutôt que d’utiliser un niveau de précision à quatre chiffres (p. ex. 724 plutôt que 724.2). Il a été rapporté que le niveau d’accord entre la description de la condition du patient et les trois premiers chiffres du code CIM-9 fournis par le médecin était élevé (Martin et al., 2008). Cette extraction, basée sur un critère de sélection de CIM-9 à trois chiffres de précision, ne nous a cependant pas empêchée d’utiliser dans un deuxième tems les codes CIM-9 à quatre chiffres de précision pour éliminer les diagnostics liés aux régions thoraciques et cervicales (voir « Méthodes » section 3.1.2). Malheureusement, à partir de la sélection de codes CIM-9 demandés à la RAMQ lors de la sélection des patients, nous n’avons réussi à recréer que partiellement les catégories présentées dans l’étude de Cherkin et collaborateurs de manière à permettre des comparaisons sommaires (voir Tableau 1 et article 1), ce qui pourrait mener à une sous- estimation de la morbidité et une classification biaisée. En effet, le niveau de précision de la codification CIM-9 est plus élevé dans certains états américains qu’au Québec. Selon les conventions de codification de l’Association des hôpitaux américains, de l’Association médicale américaine, de Medicare et du Centre national des statistiques de santé, aucun patient ne doit être identifié à partir de codes CIM à trois chiffres si des codes à quatre chiffres sont disponibles, et aucun à quatre chiffres si des codes CIM à cinq chiffres sont

disponibles (Sinnott et al., 2012). Cela leur permet donc d’effectuer des catégorisations diagnostiques beaucoup plus complètes. Notons que les analyses effectuées avec un nombre restreint de codes CIM-9/CIM-10 ou une précision moins élevée demeurent valables, mais le biais d’échantillonnage introduit, soit en fonction de l’établissement ou du code diagnostique sélectionné, peut conduire à des sous-estimations de la morbidité. De plus, la sélection des codes CIM-9/CIM-10 est généralement réalisée en fonction de réflexions personnelles ou de contraintes propres aux banques de données (Mattila et al., 2009; Knox et al., 2011; Waterman et al., 2012). Par exemple, Waterman et collaborateurs (Waterman et al., 2012) rapportent qu’ils ne s’intéressent qu’aux épisodes « cliniquement pertinents » pour déterminer leur incidence et utilisent une catégorie « d’étirements et entorses » dans leur banque de données de surveillance qui recoupe une panoplie de codes CIM-9. La sélection n’est cependant pas détaillée à profusion et ils ne relèvent que les cas qui se présentent en salle d’urgence. Comme précédemment décrit, il est crucial de bien comprendre la perspective choisie par les auteurs avant de tirer des conclusions hâtives. Le choix méthodologique de Waterman et collaborateurs pourrait expliquer une partie du résultat d’incidence peu élevé de 139 par 100 000 personne-années comparativement à des études sur des données d’enquête ou sur des données ambulatoires autres qu’à l’urgence (voir Tableau 3). Leurs résultats permettent cependant aux autorités pertinentes de considérer la vitesse d’apparition de nouvelles consultations en urgence de manière à pouvoir prendre des mesures pour mieux former les infirmières et urgentologues dans ce département par exemple. Dans une autre étude, seul le code 724.20 (lumbago) a été analysé dans la banque de données sous prétexte que ce code était facilement utilisé par tous les médecins (Knox et al., 2011). Cependant, il s’agit d’une banque de données militaires sur la santé, et l’équipe connait peut-être le profil des médecins qui y consignent des informations. L’étude de Knox perd donc en validité externe par rapport à la population générale, mais sous-estime peut-être moins la morbidité en utilisant seulement ce code CIM dans une population militaire fermée comparativement à d’autres études sur des banques populationnelles dont la population est dynamique.

Aussi, il est important de mentionner que certaines maladies sont mal définies ce qui rend leur codification complexe. Dans l’étude de Chen et collaborateurs (Chen et al., 2009), les auteurs avançaient que les conditions non spécifiques, telles que retrouvées dans les maladies rhumatologiques, étaient en général moins adéquatement codées. Dans la codification CIM-9, le code le plus commun pour les douleurs au dos est le 724, qui se décline ensuite sous différentes catégories à quatre chiffres dont la rachialgie dorsale (724.1), le lumbago (724.2), la lombosciatique (724.3), la névralgie lombosacrée (724.4), la lombalgie sans précision (724.5) et l’atteinte lombaire sans précision (724.9). À moins d’une atteinte nerveuse (sciatique ou névralgie spécifique), le médecin est laissé devant bien des choix pour sélectionner un code correspondant à une douleur musculaire non spécifique de la région lombaire d’un patient. Rien ne permet de conclure à savoir si le médecin ou son personnel administratif 1) était limité par les codes CIM disponibles pour préciser la condition de douleur selon son expertise et la complexité du cas ou 2) avait simplement inscrit le code le plus fréquemment utilisé pour ce genre de condition de santé dans sa pratique. Pour marquer cette problématique, suite à une table ronde au congrès du chapitre Européen de l’Association internationale pour l’étude de la douleur, des cliniciens et chercheurs se sont entendus pour dire que la révision CIM-11 devait absolument procéder à une refonte des diagnostics de douleur, particulièrement voir à réorganiser les diagnostics de maux de dos en fonction de la spécificité et de la gravité. Leur argument à cet égard était que les banques administratives n’étaient plus utilisées seulement pour des objectifs de remboursement, mais désormais également pour de la recherche (Rief et al., 2012). Notons aussi qu’en clinique, lors de visites ambulatoires, la codification se fait directement par le médecin ou par son personnel administratif (p. ex. secrétaires). Aucun d’eux n’est spécifiquement formé pour cet exercice de codification ce qui peut affecter la validité du diagnostic inscrit sur le formulaire de remboursement fourni à la RAMQ. Ajoutons à cela qu’au Québec les médecins ne sont pas obligés d’inscrire un code CIM-9 et que cette donnée n’est pas validée par la RAMQ (RAMQ, 2013). Également, un seul diagnostic principal peut être inscrit pour chaque réclamation soumise, pouvant mener à une sous-estimation des mesures de fréquence (prévalence, incidence) dans le cas de patients qui se présentent avec plus d’une condition de santé (Martin et al., 2008; Lachaine et al., 2011). Le remboursement par la RAMQ se fait en général en rapport avec la

réclamation des actes posés, soit le nombre et la qualité des procédures effectuées auprès du patient (Wilchesky et al., 2004). Il n’y a donc aucun incitatif pour le médecin d’inscrire le mauvais code, bien qu’il n’y ait également aucun incitatif pour que celui-ci ou son personnel administratif fasse particulièrement attention à la précision du diagnostic inscrit. C’est ainsi que les diagnostics des patients ambulatoires sont considérés comme la plus importante faille des bases de données administratives (Strom et al., 2012). Cette réalité peut à la fois affecter la sensibilité (capacité à identifier les patients souffrant de douleur lombaire), mais également la spécificité (capacité à identifier les patients qui ne souffrent pas de douleur lombaire). En effet, la douleur lombaire peut ne pas être inscrite comme diagnostic principal, mais comme un diagnostic secondaire (non présents dans la banque de données de la RAMQ) ou les codes peuvent êtres imprécis/erronés. Il faut également faire attention aux entrées répétées dans le cas de patients qui consultent dans de multiples services de santé pour la même condition de santé. En général, certaines banques médicoadministratives permettent de lier les données médicales et d’éviter la redondance (Asghari et al., 2009). Il faut par contre faire attention entre la redondance de consultation et la récurrence d’épisodes. À partir de banques administratives, il est très difficile de les dissocier. L’avantage est que les systèmes de santé canadiens fonctionnent avec un numéro d’assurance maladie unique qui permet de retrouver le patient dans les différents fichiers de service et les registres médicaux. Par contre, comme Knox (Knox et al., 2011) le mentionnait, le codage par différents médecins peut introduire des erreurs et diminuer la précision du diagnostic d’un même épisode de douleur lombaire. Le concept de redondance peut donc provoquer une surestimation de la morbidité.