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Les tenants et aboutissants d’un débat : la condition d'artiste

Paul Aron a montré comment, en Belgique, la notion d'art social fut petit à petit scindée en diverses expressions permettant d'actualiser les relations entre art et société, mais surtout de ne pas cristalliser la discussion dans une forme limitée340. La

situation qui prévaut en France, en tous points semblable, pourrait donner lieu à une telle analyse. En effet, une part non négligeable des polémiques se constitue autour de distinctions sémantiques censées rendre compte des multiples formes artistiques qui peuvent être liées à la question sociale, et leur éviter un enfermement néfaste dans une catégorie que l'on estime trop restreinte. Pourtant, cette perspective sur les

339 Robyn Roslak mentionne que Camille Pissarro, son fils Lucien et Maximilien Luce échangèrent à

propos du statut de l'artiste dans leur correspondance, se proposant de définir avec précision le rôle des artistes et l'organisation du travail dans une société anarchiste. Voir Robyn Roslak, Neo-Impressionism

and Anarchism in Fin-de-Siècle France, op. cit., p. 43.

340 Paul Aron, Les Écrivains belges et le socialisme (1880-1913) : l’expérience de l’art social, op. cit.,

polémiques est faussée par l'absence de discussion concrète de ces formes artistiques. Il apparaît assez explicitement que ces catégories discursives n'existent que pour elles-mêmes et ne visent pas à éviter un enfermement des pratiques artistiques, mais plutôt à ouvrir le créneau théorique par une « polarisation polémique » qui encourage le développement infini d'affirmation et de réfutation pour le bien du discours sur l'art341.

Aucune définition de ces catégories artistiques ne semble capable de fédérer les discussions, l'idée même de catégorie étant considérée problématique, et force est de constater que les pratiques artistiques qui y sont associées ne le sont que d'une manière discursive. En définitive, la multiplication des catégories vise moins à représenter une multiplication des pratiques, qu'un impossible consensus théorique, voire une confusion des genres, que Fernand Pelloutier relève lors d'une réunion sur l'art social.

J'assistai à l'un des derniers samedis du groupe l'Art social [...]. On y discutait de la question, agitée déjà le samedi précédent, de savoir s'il est possible d'accoupler ces deux mots: art social. Notez que le groupe, la revue et le théâtre de ce nom existent depuis plusieurs années. En supposant donc que la controverse engagée eût fait résoudre la question négativement, il aurait été tard, sinon pour constater, au moins pour rectifier une hérésie fréquemment admise, et trop peu grave, d'ailleurs, pour valoir l'effort de la rectification. Quoi qu'il en soit, le débat fut long. [...] Or, après une longue polémique, qui mit tous les opinants d'accord, on convint que

l'art, ne dépendant pas de la matière traitée par l'artiste, [...], n'est pas incompatible avec les matières de caractère social342.

Écrivant au journal Les Temps nouveaux le 25 novembre 1895, Lucien Pissarro souhaite, en réponse à un article intitulé « Art et société », nier la pertinence d'une distinction politique entre des tendances esthétiques. Lucien Pissarro estime, à l'instar de Pelloutier, que la confusion sémantique nuit à l'appréciation des œuvres :

La distinction que vous établissez entre « l'Art pour l'Art » et l'Art à tendance sociale n'existe pas. Toute production qui est réellement une œuvre d'art est sociale (que l'auteur le veuille ou non), parce que celui qui l'a produite fait partager à ses semblables les émotions plus vives et plus nettes qu'il a ressenties devant les spectacles de la nature343.

Souvent repris par les artistes, l'argument visant à réconcilier les conceptions de l'art discutées dans les périodiques ne va pourtant pas sans créer une antinomie entre « œuvre conçue exclusivement en vue de la Beauté pure344 » et œuvre ayant « la

prétention d'enseigner345. » Si ces distinctions déplaisent aux artistes lorsqu'elles sont

appliquées à la production contemporaine, leur prépondérance dans le discours sur les relations entre art et société n'est pas remise en question. Les textes sur la question

342 Fernand Pelloutier, « Byzantinisme », L'Art social, 2e série, n° 6 (décembre 1896), pp. 174-176. 343 Lucien Pissarro, « Lettre adressée aux Temps nouveaux », Les Temps nouveaux, 7 décembre 1895.

Reproduite dans Aline Dardel, Les Temps nouveaux, 1895-1914. Un hebdomadaire anarchiste et la

propagande par l’image, op. cit., p. 42.

344 Ibid. 345 Ibid.

dénoncent telle assimilation d'un artiste à l'une ou l'autre des catégories discursives, ou encore revendiquent telle autre catégorie pour une production précise, mais les termes eux-mêmes restent au principe du débat, particulièrement lorsqu'il s'agit de discuter historiquement le rôle de l'artiste en tant qu'individu dans la société capitaliste346. La nuance est fondamentale, d’autant qu’elle rend encore plus palpable la relation qu’entretient le débat sur l’art social avec l’engagement contemporain au bénéfice de l’éducation, de la morale et de l’utile347.

Au-delà d’un débat qui semble bien établi autour de questions esthétiques, la lecture des textes donne parfois à penser que c’est moins l’art social lui-même qui est l’objet d’un débat, que les raisons devant pousser les artistes à s’impliquer pour son avènement. Tel que le mentionne Paul Aron à propos des débats sur l’art social dans le champ littéraire belge à la fin du siècle : « Toute l’idéologie de l’artiste, à l’époque, se nourrit de la croyance en la pureté mythique de l’art qui, prétend-on, n’a rien à voir avec les exigences morales, les réalités économiques, les lois mondaines et, bien entendu, les faits sociaux348. » Une telle vision stéréotypée de l'artiste se retrouve non

seulement chez les défenseurs de l'art pour l'art, mais est reproduite par les journaux politiques pour servir leur argumentation. Un extrait du journal La Lutte pour l'art de

346 Charles-Albert, « L'Art et la société », L'Art social, 2e série, n° 6 (décembre 1896), pp. 161-173. En

annexe.

347 À ce sujet, voir Denis Pernot, La Jeunesse en discours (1880-1925). Discours social et création

littéraire, Paris : Honoré Champion, 2007.

348 Paul Aron, Les Écrivains belges et le socialisme (1880-1913) : l’expérience de l’art social, op. cit.,

Bruxelles, reproduit dans le supplément littéraire de La Révolte, est accompagné d'un avant-propos qui témoigne d'une attitude méprisante de certains journaux anarchistes à l'égard des artistes:

L'Infécondité vicieuse des artistes est généralement constatée et n'est pas sans nous contraindre à un peu de pitié. Ils sont les parias d'une société dont ils ne sentent pas l'horreur. L'ignominie bourgeoise est cynique, la leur est inconsciente. Aujourd'hui cependant, un mouvement de relèvement se produit par suite des progrès de l'idée anarchiste. L'Endehors à Paris, la Lutte pour l'art à Bruxelles, combattent pour la révolution anarchiste, ils ont compris que l'artiste est aussi un homme, qu'il ne peut vivre qu'en liberté, et à l'heure actuelle, en révolte349.

Les artistes du passé sont envisagés à la lumière de leurs relations plus ou moins explicites avec les structures des pouvoirs politique et religieux. Leur capacité à ennoblir ou idéaliser les faits et les figures de la répression et leur inextricable dépendance envers les classes dominantes donnent aux peintres et aux sculpteurs en particulier, les dehors les plus douteux. Pour les anarchistes, la corruption des artistes prouve qu’ils sont étrangers au développement harmonieux de la société en ce qu’ils reproduisent ses structures hiérarchiques350

Parmi les figures canoniques emblématiques de cette corruption, on trouve Théophile Gautier, honni par Bernard Lazare qui fait de lui le spectre toujours présent

349 « L'Art », La Révolte, supplément littéraire, vol. 6, n° 28 (25-31 mars 1893), p. 3. En annexe. 350 Anonyme, « Aux artistes », La Révolte, vol. 7, n° 13 (9-16 décembre 1893), pp. 1-2. En annexe.

d’une société autoritaire et élitiste menaçant de subjuguer les valeurs républicaines et, par extension, le devenir de la révolution351. Féroce défenseur de l'art social, mais

surtout de l'artiste social, Lazare n’hésite pas à accuser ses opposants de faire le jeu des bourgeois et des capitalistes en légitimant le retrait des artistes vis-à-vis des problèmes contemporains.

L’art doit se suffire à lui-même, disaient les romantiques, il n’a d’autre but que lui; il n’a rien à voir avec la morale, ni avec l’utilité, ni avec l’éducation. Cette conception semblait en apparence s’opposer à la conception bourgeoise, et les romantiques qui la professaient se croyaient des théoriciens fort hardis, et peut-être même des révoltés. Au fond, leur conception contredisait simplement la fausse sentimentalité des bourgeois de ce temps, mais elle s’accordait pleinement avec les principes qui guidaient la bourgeoisie. L’individualisme ou plutôt l’égotisme bourgeois fleurissait, l’égotisme artiste y répondait. […] L’exemple de Gautier est excellent, cet homme représente parfaitement l’artiste produit par le capitalisme victorieux352.

351 Bernard Lazare, « L’Écrivain et l’art social », L’Art social, nº 1, 1896. En annexe. 352 Ibid.

La plupart des textes sur l'art social de la fin du siècle manifestent une volonté de se détacher radicalement du passé353 afin d’appuyer l’art social sur un imaginaire

social ne pouvant être assimilé à des échecs antérieurs354. Utilisant le vocabulaire et

les concepts anarchistes pour méditer sur les pratiques artistiques, en délimiter les contours sociaux et en juger la valeur morale, les théoriciens donnent à l'art social l’apparence d’un postulat politique aussi maniable qu’erratique, au moyen duquel ils invitent les artistes à œuvrer pour le succès du nouveau monde et, partant, à se libérer des contraintes du capitalisme355. Dans un article concernant l’art, Pouget décrit sa

propre expérience esthétique, situant son point de vue à mi-chemin des pratiques artistiques courantes et de la conception de l’art largement répandue dans les périodiques anarchistes et littéraires contemporains. S’étant déplacé à la Place de la Nation pour assister à l’inauguration, en septembre 1889, du Triomphe de la

353 S’il est permis d’établir une filiation entre les formes de l’art social saint-simonien ou fouriériste et

celui de la fin du siècle, il est nécessaire de souligner que très peu de références directes y sont faites par les artistes socialistes et anarchistes de la fin du siècle. Puisque l’imaginaire des défenseurs de l’art social puise ses références dans la courte durée, c’est nécessairement la société du Second Empire qui devient l’exemple du règne décadent de la bourgeoisie et non la Monarchie de Juillet. En outre, le souvenir des révolutions de 1848 s’estompe derrière l’aura de la Commune de Paris, considérée comme la seule forme de gouvernement populaire ayant vécu et dont l’écrasement pur et simple constitue l’exemple par excellence de la répression opérée par une bourgeoisie solidement installée au faîte de la société. À ce titre, Eric J. Hobsbawm remarque « How important and influential other socialist theories about the arts (e.g. the Saint-Simonians) remained in the 1880s, is a question which requires further research. However it is unlikely that they were considered authoritative in the new socialist movements. » Dans « Socialism and the Avantgarde in the Period of the Second International », Le Mouvement social, n° 111 (avril-juin 1980), p. 190.

354 Romain Rolland, « L'Art, artisan de la révolution » (extrait de Le Théâtre du peuple), Les Temps

nouveaux, supplément littéraire, vol. IV, n° 14, p. 648. En annexe.

355 Walter Crane, « Le Socialisme et les artistes », La Révolte, supplément littéraire, vol. 6, n° 26

République exécuté par Aimé-Jules Dalou356, Pouget réagit avec vigueur à ce qu’il y

constate :

Le Père peinard se fout carrément des cérémonies officielles, des trucs plus ou moins allégoriques et des hommages qu’on rend aux macchabées : il préfère s’occuper des vivants et des choses qui intéressent plus directement le populo. N’empêche qu’il aime le beau et qu’il se détournera plus volontiers pour voir un chouette tableau que pour contempler la binette d’un politicard célèbre. Quel malheur que, dans notre cochonne de société, les artistes soient forcés, sous peine de crever de faim, de prostituer leur talent à des richards sans idées et sans goûts ! Il n’en sera plus de même quand les bons bougres auront fait la Sociale. Au lieu d’aller s’abrutir chez le bistro pour oublier les emmerdements de la vie et les corvées de l’atelier, les travailleurs occuperont leurs loisirs à un tas de trucs intellectuels. L’art ne sera plus, comme aujourd’hui, le monopole de quelques privilégiés : les peintres emploieront leurs pinceaux autrement qu’à barbouiller des apothéoses de Carnot ou de Boulanger, les Dalou de l’avenir ne seront plus forcés de faire la courbette devant des légumeux arrogants et bêtes, la poésie sera partout; ce sera un vrai paradis autrement chouette que celui des calotins. Mais, n’oublions jamais, les aminches, que pour y arriver nous devons commencer par casser la gueule aux bourgeois357.

L’horizon du grand soir est présenté aux artistes comme l’aube d’une rupture avec le système marchand des œuvres d’art, avec la prédominance des goûts bourgeois, mais surtout comme un futur où les œuvres d’art seront mieux appréciées

356 Pour une analyse de la portée idéologique et contextuelle de la création de Dalou, voir Richard

Thomson, The Troubled Republic : Visual Culture and Social Debate in France, 1889-1900, op. cit., p. I.

parce qu'érigées sur une connaissance de l'humanité devant engendrer son perfectionnement358. La production théorique reprenant cette conception de l'art est

abondante, plusieurs artistes étant en effet convaincus que la rénovation de leur production passe par la révolution de leurs conditions d’existence359. En ce sens,

l’appel aux artistes est important en ce qu’il les intime d’œuvrer à l’éducation morale et esthétique du plus grand nombre considérant qu’ils auront créé, par leur propre travail, de nouvelles conditions de production et de réception pour leur art360. La

responsabilité des artistes par rapport à leur production est ainsi engagée d’une manière radicale: l’amour et la culture du Beau sont rattachés explicitement à l’éducation du plus grand nombre et la liberté de l’artiste est indissociable de la destruction des conditions économiques gouvernant sa réception sociale. L’ensemble théorique trouve sa cohérence dans la mesure où l’artiste participe à l’éducation du plus grand nombre, dont la prise de pouvoir doit, inéluctablement, mener à la destruction des conditions économiques défavorables à la liberté de la production

358 « L'artiste qui, le premier, éclairé par la lumière de la vraie philosophie, s'élèvera au-dessus de

toutes les croyances superstitieuses du passé, pour concevoir l'homme comme être libre, dans toute sa majesté, dans tous les développements de sa vie morale et de sa puissance intellectuelle [...] surpassera tous les modèles du passé. Alors, l'art dégagé de toute superstition et de tout mélange d'erreur, en restituant à l'humanité ce qu'il a pris pour le donner à des êtres mythologiques, atteindra la plus grande perfection, en réunissant le beau avec le vrai. » Dans Charles Lemaire, « Le rôle social de l'artiste » (extrait de Initiation à la philosophie de la liberté), Les Temps nouveaux, suppl. litt., vol. 4, n ° 5, p. 301. En annexe.

359 Walter Crane, « Le Socialisme et les artistes », La Révolte, supplément littéraire, vol. 6, n° 26

(11-17 mars 1893), pp. 200-203; Félix Fénéon, « Artisses, philosophes et chieurs d’encre », dans Émile Pouget, Le Père peinard, Paris: Éditions Galilée, 1976, pp. 308-323.

360 Walter Crane, « Le Socialisme et les artistes », La Révolte, suppl. litt., vol. 6, n° 26 (11-17 mars

1893) En annexe; Edmond Cousturier, « L’art dans la société future », La Révolte, suppl. litt., op. cit. En annexe.

artistique361. En définitive, plusieurs polémistes souhaitent, à l’instar de Pouget362,

repenser à la fois le rôle social de l’art et le statut de l’artiste.

Ce double objectif est nécessairement litigieux et l’extrême urgence avec laquelle sont envisagés ces débats justifie leur implantation au sein du périodique363.

Un débat si complexe, remettant en question le statut social de ceux qui y prennent part, peut difficilement faire l’économie de catégorisations éditoriales et d’explications historiques. Plusieurs revues, fortement imprégnées des théories de l’art pour l’art qu’elles jugent propres à conserver les spécificités de l’art, proposent des textes abordant les débats d’un point de vue idéologique et ne cherchant pas à historiciser leurs réflexions364. Dans la revue L’Ermitage, le critique Alphonse

Germain est, pour sa part, davantage tenté par une analyse historique et polémique de

361 Émile Portal, « Propos d’esthétique », L’Art social, avril 1893, p. 108.

362 La volonté de considérer l’art d’un point de vue liant économie, morale et société n’est pas nouveau

en France sous la Troisième République. En effet, les questionnements sur le statut de l’artiste à la fin du siècle s’apparentent à ceux mis au jour par le contexte socio-économique de la Seconde République, quoique les infrastructures et les médias soutenant le débat changent considérablement. À ce sujet voir le texte de Neil McWilliam, « Art, Labour and Mass Democracy : Debates on the Status of the Artist in France around 1848 », Art History, vol. 11, n° 1 (mars 1988), pp. 64-87.

363 En effet, certains éditeurs comme Jean Jullien n’hésitent pas à présenter leur journal comme le

substrat de ce débat qu'ils estiment être universel : « La Revue Art et Critique sera le terrain sur lequel les écrivains acclamés et les inconnus, les critiques, les artistes et les amateurs, les éditeurs et les édités, les directeurs, les auteurs et les interprètes pourront se rencontrer et discuter. » Jean Jullien, dir., « Éditorial », dans Art et critique, vol. 1, n° 1 (1er juin 1889), pp. 1-2. En annexe.

364 En témoigne l’analyse que fait Gustave Kahn de cette question dans la Revue blanche, lui donnant

le tournant d’un éditorial ou d’un texte d’opinion assez répandue dans les revues littéraires : « Il n’y a art social que lorsqu’il y a mélange, confusion des formes, que la thèse, défendue par des moyens d’art étrangers à son développement normal, conclut de plain-pied sur des faits trop courants, surtout lorsque l’œuvre est de tendances prédicatrices ». Dans Gustave Kahn, « La Vie mentale. L’Art social et l’Art pour l’Art », La Revue blanche, novembre 1896, pp. 416-423. En annexe.

la question365, se proposant d’organiser le débat en en extrayant les principales

dimensions d’une généalogie de l’art composée pour les besoins du débat et de fixer historiquement le rapport qu’entretient l’artiste avec la société afin d’en tirer un ensemble de paradigmes qui puissent resserrer la question366. À plusieurs égards,

l’accent mis sur la libération de l’artiste vise à dépasser les réticences naturelles de ces derniers envers les discours politiques sur l’art.

L'état du discours social sur l’art a des répercussions directes sur la manière dont il est relayé par la presse. Dans ce cadre, la presse devient le lieu par excellence pour dénoncer ou célébrer le caractère social ou non de l’imaginaire contemporain, en ce qu'il est également le lieu privilégié d'un développement de la critique d'art. Se référant abondamment à Proudhon et misant beaucoup sur les références étrangères pour étayer leur propos de modèles positifs, nombreux sont ceux qui voient la naissance de l’art social dans celle du roman naturaliste. Si les romans de Zola, de Maupassant et d’Edmond de Goncourt sont considérés comme des descriptions radicales et sèches des maux de la société contemporaine, étant par le fait même manifestations d’un art social puisque susceptibles de révéler les habitudes

365 Alphonse Germain, « Du beau moral et du beau formel », L’Ermitage, vol. 6, n° 4 (avril 1895), pp.

193-197. En annexe.

366 La posture de Germain est, sous plusieurs aspects, cohérente avec les visées éditoriales de

l'Ermitage aux années 1890. Très ouvertes aux nouvelles tendances, la revue souhaite « refléter toutes les idées et toutes les ambitions de la jeunesse actuelle [...] » bien qu'elle prétende « s'abstenir de politique, ce passe-temps des médiocres [...]. » La Rédaction (Henri Mazel), « À nos lecteurs »,

L'Ermitage, janvier 1891, pp. 58-59. [Cité dans Pierre Lachasse, « Revues littéraires d'avant-garde »,

décadentes et les scandales qui ne pourront plus être ignorés367, les arts plastiques

nécessitent de plus prolixes justifications. Les artistes pâtissent d’une situation peu enviable où la moindre association esthétique avec le passé est scrutée pour être