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Au lendemain de la Commune de Paris, le socialisme français, meurtri par l’exil de ses meneurs, peine à se reconstruire sur de nouvelles bases et sa lente renaissance porte la marque des scissions survenues en 1872 au sein de l’Association

internationale des travailleurs85. Entre 1876 et 1882, la réorganisation du mouvement

révolutionnaire français semble d’ores et déjà portée par deux tendances politiques distinctes, que la fondation des journaux L’Avant-garde par Paul Brousse86 en juin

1877, et L’Égalité par Jules Guesde87 en novembre 1877, ne fait que matérialiser

davantage88. L’Égalité, organe des socialistes associés à l’Internationale, et L’Avant-

garde, journal clandestin se présentant comme l’organe « de la Fédération française

85 Fondée en 1864 à Londres, l’Association internationale des travailleurs bénéficie d’influences

diverses qui ne tarderont pas à se transformer en objets de dissensions. Les influences de Karl Marx et Friedrich Engels, d’une part, et de Michel Bakunin, d’autre part, cristallisent ces dissensions autour de la question de l’autorité, au sein du mouvement comme tel, mais aussi au faîte d’une future organisation sociale dominée par les travailleurs. Les dissensions qui se creusent rapidement plongent le mouvement dans une crise dans la sillage de la Commune de Paris, dont l’expérience sera interprétée distinctement. En septembre 1872, la crise interne se transforme en scission ouvrant la voie à la fondation de l’Internationale anti-autoritaire puis, en 1873, à la dissolution de l'association qui sera maintenant connue sous le nom de Première Internationale. Jean Maîtron, Histoire du mouvement

anarchiste en France, (1880-1914), op. cit., p. 83.

86 Paul Brousse (1844-1912). Médecin et militant anarchiste, il fut impliqué dans la Fédération

jurassienne dans les années 1870 avant de se tourner vers le socialisme et la vie politique municipale (Paris) puis nationale. Il publia de nombreux ouvrages sur le marxisme et le collectivisme.

87 Jules Guesde (1845-1922). Socialiste français, il participa à la fondation du Parti ouvrier en 1880 et

contribua à diffuser et faire connaître la pensée de Karl Marx et Friedrich Engels en France. Sa conception du socialisme prit le nom de guesdisme.

de l’Internationale antiautoritaire89 » et pénétrant en France depuis la Suisse,

incarnent les deux visages que le mouvement révolutionnaire français prendra dans les années suivantes90. Tandis que les socialistes, « tout en affirmant leur attachement

à l’idée de liberté, entr[ent] résolument dans la voie de l’action politique pour la conquête par le prolétariat des pouvoirs publics91 », « les anarchistes prêch[ent]

l’abstention, l’organisation en vue de la destruction de la société bourgeoise dans son organe essentiel l’État92. » Si leurs programmes respectifs semblent relativement bien

définis, le développement en France de pratiques politiques donnant corps à la radicalité de la démarche théorique de l’Avant-garde est, dans un premier temps, freiné par une collaboration entre socialistes républicains et militants plus radicaux. Pour les plus jeunes militants, confrontés à l'indétermination de leurs principes, l’implication dans les groupes ouvriers révolutionnaires établis plus solidement dans le monde politique français précède souvent l’organisation de groupes s’associant à des principes les situant en marge des pratiques politiques officielles. Donnant au mouvement ouvrier français l’apparence d’une « coalition hétéroclite de marxisants, de libertaires et de réformistes », réunie essentiellement autour d’un intérêt pour le collectivisme, les forces ne tardent pas à s’éparpiller93.

89 Jean Maîtron, Histoire du mouvement anarchiste en France, (1880-1914), op. cit., p. 87. 90 Ibid.

91 Jean Jaurès (éd.), Histoire socialiste, vol. X La Troisième République, p. 232. 92 Ibid.

Parmi ces jeunes militants appelés à jouer un rôle crucial dans le mouvement anarchiste français, Jean Grave, d’abord impliqué dans les groupes révolutionnaires apparentés à l’Égalité, témoigna dans ses souvenirs de la rapidité avec laquelle des divergences de vues se cristallisèrent autour de la question du parlementarisme et du vote, rapprochant considérablement certains socialistes des principes clés de l’anarchisme94. Le mouvement anarchiste français émergea de ces divergences,

rejetant le socialisme parlementaire à cause de son manque de confiance dans les figures autoritaires et reprenant les revendications de la Fédération jurassienne. Les congrès socialistes tenus en 1879 et 1880 à Marseille et au Havre confirmèrent l’antagonisme de plus en plus marqué entre socialistes et anarchistes, ces derniers décidant de se retirer et de tenir leurs propres rencontres afin de délimiter positivement les fondements du mouvement anarchiste.

Inspirés par une volonté claire de désavouer les principes socialistes avec lesquels ils étaient en désaccord, les congrès anarchistes tenus fréquemment au début des années 1880 permirent de positionner le mouvement dans l’actualité politique. Diverses résolutions y furent adoptées, dénonçant « l’impuissance des réformes, des révolutions politiques et du suffrage universel à améliorer la condition ouvrière95 »,

pour accentuer plus résolument « la nécessité de la propagande par le fait en vue de

94 Jean Grave, Le Mouvement libertaire sous la Troisième République, Paris : Les Œuvres

représentatives, 1930, p. 14.

la suppression du salariat et de toute propriété même collective96. » Néanmoins, la

constitution d’un cadre de revendications de base, décrit par Jean Grave comme étant « [l]a liberté pour chacun, le bien-être pour tous, [l]e droit pour l’individu, de choisir son mode de groupement, d’agir selon sa libre initiative, et le droit à son développement intégral97 », était guidée par une inclination à l'universalisme et

demeurait peu loquace quant à sa réalisation pratique.

L’actualité révolutionnaire internationale imposa au mouvement anarchiste d’engager une réflexion sur les modes d’action à privilégier, en particulier sur les formes à donner à la propagande. Le terrorisme révolutionnaire des nihilistes russes, qui culmina avec l’assassinat d’Alexandre II le 13 mars 1881, inspira grandement l’idée que de telles actions étaient susceptibles de « saper la société bourgeoise98 ».

Un congrès réuni à Londres en 1881 reconnut la nécessité de « joindre à la propagande verbale et écrite la propagande par le fait99 » et prit la résolution de

« propager par des actes, l’idée révolutionnaire100 » considérant que « l’époque d’une

révolution générale n’est pas éloignée101. »

96 Ibid.

97 Jean Grave, Le Mouvement libertaire sous la Troisième République, op. cit., p. 5. 98 Ibid., p. 15.

99 Jean Maîtron, Histoire du mouvement anarchiste en France, (1880-1914), op. cit., p. 104. 100 Ibid.

Dans les dix années suivant cette résolution, les anarchistes développèrent dans toute la France des initiatives de propagande orale, sous la forme de lectures, de réunions publiques et de propagande écrite centrée autour de la publication de manifestes et de feuilles volantes sporadiques, d'une part, et autour de la publication de journaux, d'autre part102. Dans les années suivantes, ces publications pullulèrent

dans toute l'Europe et en Amérique.

Le montage de frontispices représentant les principaux organes de presse de l’Internationale anarchiste [Fig. 1], publié en 1894 dans Le Péril anarchiste103, donne

quelques indices sur l’état de l’illustration de la presse anarchiste au début des années 1890. À l’exception du Père peinard, dont le frontispice illustré apparaît au bas à droite, la propagande anarchiste se matérialise davantage sous ses formes écrites que par l’utilisation de documents visuels. Bien que le plus souvent absente des périodiques, l'illustration fut sujette à de nombreuses discussions dans les années 1880. Souvent cité dans l’historiographie, l’extrait du manifeste de Piotr Kropotkine intitulé Aux jeunes gens, publié en 1880 dans Le Révolté, rend compte d’une certaine vision de la fonction potentielle des arts dans la propagande :

Vous poètes, peintres, sculpteurs, musiciens, si vous avez compris votre vraie mission et les intérêts de l’art lui-même, venez donc mettre votre plume, votre pinceau, votre burin, au

102 Vivien Bouhey, Les Anarchistes contre la République. Contribution à l'histoire des réseaux sous la

Troisième République (1880-1914), op. cit., pp. 96-125.

Fig. 1. « Montage des frontispices de la presse anarchiste internationale », s.d.

service de la révolution. Racontez-nous dans votre style imagé ou dans vos tableaux saisissants les luttes titaniques des peuples contre leurs oppresseurs [.]104

Les historiens de l’art ont souvent vu dans cet extrait la manifestation inaugurale d’un intérêt des anarchistes pour les questions artistiques105, considérant

qu'il s'agissait d'un véritable manifeste devant guider la pratique artistique dans les méandres du politique en encourageant la production d'images moralisatrices. Néanmoins, cet appel aux artistes reste général, référant à la technique artistique et au sujet des œuvres sans en appeler à une production qui soit située dans le support de propagande par excellence que constitue le journal.

Au milieu des années 1880, Le Révolté est de mieux en mieux en mesure d’assurer la propagande par l’écrit, grâce à la stabilité relative du journal, mais il cherche encore le moyen adéquat pour investir le domaine de la propagande visuelle et en faire une partie intégrante de son contenu, tel qu’en témoigne une note dans les communications du Révolté.

Il est un moyen de propagande auquel nous avons souvent pensé, mais devant lequel nous avons reculé à cause du manque d’argent : la propagande de l’image, de l’illustration. Mais si nous ne sommes pas assez riches pour nous payer nos

104 Piotr Kropotkine, « Aux jeunes gens », Le Révolté, 26 juin 1880.

105 Voir Aline Dardel, Les Temps nouveaux, 1895-1914. Un hebdomadaire anarchiste et la propagande

par l’image, Paris : Éditions de la Réunion des musées nationaux, 1987, p. 11; Alan Antliff, Anarchy and Art. From the Paris Commune to the Fall of the Berlin Wall, Vancouver : Arsenal Pulp Press,

propres gravures, peut-être pourrons-nous utiliser celles des autres. J’y pensais en voyant récemment un numéro d’un journal illustré, - L’Illustration, je crois – la scène représente les mineurs de Decazeville passant au salut devant M. l’ingénieur. Le représentant du Capital, Vautour et Cie est campé comme un chien rogue, la main sur le bâton, gardé par les gendarmes et les soldats, et devant lui passent en file les mineurs, chapeaux bas. Jamais je ne vis image plus poignante de l’inégalité et de la honte. Et cette gravure représentant le triomphe de la platitude, l’abjection du travail, ce sont nos ennemis qui la publient. Nous devrions l’avoir toujours sous les yeux. Nos camarades ne pourraient-ils pas fonder une société pour l’achat et l’expédition de gravures révolutionnaires de ce genre, achetées aux journaux bien pensants. Et cette autre illustration, qui représente, MM. de la Garde nationale à Chicago ou ailleurs s’exerçant à tirer sur la foule ? Tout cela est bien instructif106.

Cette note atteste des visées relativement pratiques des anarchistes et de la manière dont ils envisagent le développement nécessaire de la propagande visuelle. Tout en reprenant l'idée exprimée par Kropotkine que l'image servant la propagande doit être moralisatrice par sa capacité à révéler les injustices du monde contemporain,

Le Révolté ne propose plus de conjuguer cet impératif moral à la liberté

d'interprétation de l'artiste, mais de tirer cette image moralisatrice de l'actualité journalistique. La conscience qu’ont vraisemblablement les anarchistes de l’intérêt que représente l'ajout de l'image aux autres moyens de diffusion des idées, conjuguée à des motivations financières, rend attrayant le détournement des illustrations des journaux.

Cette dynamique d'appropriation d'œuvres existantes ne concerne pas que l'image dans le périodique de Jean Grave, en ce qu'elle préside également à l'introduction, à partir de 1886, d'une propagande par la littérature sous la forme d'un supplément hebdomadaire au journal107. Associant les œuvres théoriques et littéraires

du passé aux dernières nouveautés, le supplément littéraire s'affaire à justifier historiquement les principes théoriques de l'anarchisme et à témoigner de la vitalité de son actualité. Récemment installé à Paris et souhaitant distinguer son journal de la masse des publications politiques parisiennes, Jean Grave mit à contribution une suggestion de son camarade Auguste Baillet. L'idée de « prendre dans la littérature tant ancienne que moderne, surtout chez les plus chauds défenseurs du régime capitaliste et autoritaire, tout ce qui pouvait s’y trouver d’aveux en faveur de l’idée anarchiste, et publier une revue entièrement composée d’extraits de ce genre108 »,

donna sa forme initiale au supplément littéraire de La Révolte. Baillet avait, quelques années auparavant, tenté de lancer un tel journal à Genève sous le nom de Glaneur

anarchiste, mais la publication fut interrompue dès le second numéro109. En plus de

singulariser le journal de Jean Grave, le supplément eut le mérite d’en élargir le cercle social parisien. Gaetano Manfredonia précise :

107 Des extraits de Germinal et de La Fortune des Rougon-Macquart de Zola, des poésies traduites de

Heinrich Heine sont régulièrement publiés dans Le Révolté, sous la rubrique « Variétés ».

108 Jean Grave, Quarante ans de propagande anarchiste, Paris : Flammarion, 1973, p. 231. 109 Ibid.

Le supplément connut immédiatement un succès considérable et permit à Grave d’entrer en contact avec nombre d’écrivains de l’époque, engagés ou non, qui, presque tous sans exception, accordèrent avec enthousiasme l’autorisation de reproduire tout ou partie de leurs œuvres. Les jeunes littérateurs, surtout, en quête de reconnaissance, éprouvèrent un sentiment mal dissimulé de satisfaction à se voir ainsi sollicités par une publication qui sentait le soufre110.

À la fois appropriation et détournement des œuvres intellectuelles au profit de la propagande anarchiste, le supplément littéraire de La Révolte contribua à former un réseau de collaborations entre le journal et la presse littéraire et artistique, dont Grave reproduit également des extraits dans le supplément. En dépit de son appel aux artistes, Kropotkine fut paradoxalement peu enthousiaste devant l’idée du supplément littéraire, faisant valoir à Jean Grave que ce dernier ne trouverait pas suffisamment de textes pour en couvrir les pages111. Tourné vers l’élaboration d’un modèle de

collaboration idéale entre artistes et anarchistes, Kropotkine évita de s’engager dans une polémique concernant la dimension pratique de cet engagement quoique son appel suppose la production d’une œuvre originale directement vouée à la propagande. Responsable de la publication, Grave développa une vision distincte du rôle des arts dans la propagande, concevant ce rôle parfois comme une activité

110 Gaetano Manfredonia, « Art et anarchisme dans la France de la Belle Epoque (1880-1914) ». Dans

Art et anarchie. Marseille : Éditions Via Valeriano/La Vache folle, 1993, p. 172. À ce sujet, Jean

Grave, Le Mouvement libertaire sous la Troisième République, op. cit. et Jean Maîtron, Histoire du

mouvement anarchiste en France, (1880-1914), op. cit. offrent de nombreux extraits de la

correspondance entre Grave et les écrivains.

centrée autour d’une production artistique originale, parfois autour d’une lecture renouvelée des productions existantes112.

Proposée sensiblement au moment même où naît le supplément littéraire du

Révolté, l’idée d’utiliser les illustrations de presse se rapproche considérablement de

celle du glanage littéraire qui motive la fondation du supplément littéraire. Adaptée à la production contemporaine des images, l’idée de combattre les ennemis en prenant leurs propres images coïncide avec la vision de la propagande par le détournement et le glanage dont la réception efficace est fondée sur des procédés de rhétorique. N’engageant aucun moyen technique ou financier précis, le détournement des stratégies visuelles des classes dominantes apparaît comme la réponse la plus immédiate qui puisse être apportée à l’œuvre de propagande. Ne pouvant compter, ni sur leurs propres moyens pour acheter les droits des œuvres, ni sur un don des propriétaires des journaux, les anarchistes renoncèrent à l’idée d’utiliser les représentations publiées par les journaux bourgeois113 et poursuivirent leur réflexion

collective sur la question.

La naissance du Père peinard, fondé par Émile Pouget en 1889 et son illustration presque immédiate annoncent l’ouverture de la propagande anarchiste à la caricature politique et à la satire de moeurs, ouverture dont l’influence sera

112 Ibid., pp. 302-303.

considérable dans la construction d’une imagerie révolutionnaire propre aux journaux anarchistes114. Développant rapidement sa propre idée du type de représentations qui

serait pertinent pour étoffer le propos politique et social de son journal, Pouget ne tarde pas à faire connaître les contours d’une réflexion populaire sur la question de la propagande par l’image. À l’instar du Révolté et de La Révolte, c’est par le biais de sa correspondance que le Père peinard donne quelques indices quant à sa conception initiale de la nature et du rôle de l’image dans la propagande visuelle. Le 28 avril 1889, soit un peu plus de deux mois après le début de la parution du journal, Pouget publie une lettre signée H. Z. offrant deux conseils au Père Peinard : soigner son langage et « tirer un supplément, soit en couleur, soit en noir, représentant un sujet politique115. » Répondant au sujet de la langue que sa prise de position est

formellement établie depuis le premier numéro, résumant celle-ci à « je tartine comme je bavasse116 », Pouget souligne :

114 La naissance du journal est annoncée dans La Révolte qui décrit le futur Père peinard comme un

« petit canard, écrit en style populaire et anti-académique ». La Révolte, n° 23 (17-23 février 1889), p. 3.

115 H. Z., « Communication », Le Père peinard, n° 10 (28 avril 1889), p. 15.

116 Émile Pouget, « Mon jeune copain », Le Père Peinard, n° 10 (28 avril 1889), pp. 15-16. Une autre

lettre datée du 15 mai 1889 et signée « un vieux grognon » exprime plus clairement la difficulté qu’implique la langue du Père Peinard pour certains lecteurs : « Au fond, j’approuve tes idées, mais je voudrais les voir exprimer en termes toujours intelligibles pour les prolétaires de la province qui ne connaissent pas l’argot familier de ceux de Paris : orne tes phrases d’autant de merde, de foutre et de sacré-nom que tu voudras, au gré de tes indignations et de tes colères contre la garce de société qui nous a été transmise par les générations passées et que nos grands révolutionnaires (!) de 1789 n’ont pas su démolir au point de vue principal de l’économie sociale – mais sers-toi d’expressions connues par la généralité des travailleurs : on peut te demander cela sans exiger le style académique du palinodiste Jules Simon et des autres lécheurs du duc d’Aumale. » Dans « Babillarde », Le Père

Ton idée de faire un supplément illustré est très bath. Je connais des copains qui feraient des dessins épatants pour montrer la misère du populo et la fastuosité des riches. Mais la galette manque; la vente du canard ne va pas fort, les savates non plus nom de dieu ! Si tu connais un coffre-fort abandonné, fais-moi signe illico, ça mettra du beurre dans les épinards117.

Le Père peinard semble déjà au fait de ses ressources et s’exprime d’emblée en faveur de son illustration par des dessins dont la conception, répondant à la vision du monde du journal, doit expliciter les injustices naissant de la disparité entre riches et pauvres, se rapprochant du besoin d'images moralisatrices exprimé dans l’appel aux artistes de Kropotkine et dans la proposition de glanage médiatique du Révolté.

En dépit de ce consensus autour de la conception de l'image de propagande, la production et la consommation des premiers documents de propagande visuelle dans les journaux anarchistes en diffèrent radicalement. Non seulement la nature des images publiées se distingue-t-elle de l'idéal d'une propagande visuelle moralisatrice stimulant la réflexion des anarchistes, mais encore le rôle joué par l'image dans les journaux relève davantage d'une quête de légitimité historique et identitaire du mouvement anarchiste, que d'une prise de conscience des torts de la société républicaine. Le contraste est intéressant en ce qu’il distingue concrètement deux conceptions de l’illustration qui seront mises à profit conjointement dans les années précédant les attentats anarchistes.