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Entre 1892 et 1895, la presse généraliste couvre avec grand intérêt les attentats anarchistes, les procès des terroristes comme Ravachol190, Émile Henry191,

Auguste Vaillant192 et Sante Jeronimo Caserio193, la promulgation des Lois scélérates

restreignant la liberté de presse et d'association et, finalement, le très populaire procès des Trente et ses célèbres accusés194. Si l’éveil de la propagande anarchiste, écrite et

illustrée, précéda de plusieurs années les attentats anarchistes qui polarisèrent

189 « Journalisme », La Révolte, vol. 5, n° 1 (19-25 septembre 1891), p. 2-3.

190 François Claudius Koënigstein, dit Ravachol (1859-1892). Terroriste anarchiste responsable de

deux attentats à l'explosif en mars 1892. Condamné aux travaux forcés à perpétuité lors d'un premier procès, il est traduit en justice une seconde fois pour des crimes antérieurs aux attentats, dont l'assassinat d'un vieil homme suite à une tentative de vol. Il est condamné à mort et guillotiné en juillet 1892.

191 Émile Henry (1872-1894). Terroriste anarchiste responsable d'attentats à l'explosif en 1892 et 1894.

Il fut condamné à mort en avril 1894 et guillotiné un mois plus tard.

192 Auguste Vaillant (1861-1894). Terroriste et sympathisant anarchiste, il est l'auteur de l'attentat

contre l'Assemblée nationale française en décembre 1893. Bien que l'attentat n'ait fait que des blessés, Vaillant est condamné à mort et guillotiné en février 1894.

193 Sante Jeronimo Caserio (1873-1894). Militant anarchiste italien, Caserio assassinat le président

français Sadi-Carnot en juin 1894. Il planifia son acte dans le but de venger Ravachol et fut exécuté en août 1894.

194 Pour une histoire détaillée des attentats anarchistes, voir Jean Maîtron, Ravachol et les anarchistes,

l’opinion publique française, c’est sans conteste la propagande par le fait qui motiva la presse générale à consacrer ses pages aux questions révolutionnaires. Ignoré par l'historiographie, l’apport de cette presse est d'une importance cruciale dans le développement de l’anarchisme français, d'autant que les anarchistes sont attentifs à ce qui s'y écrit195. À ce sujet, Augustin Hamon196 souligne que les journaux jouent un

rôle certain dans le développement de l'anarchisme, en popularisant ses idées et en diffusant des documents, qui lui sont souvent fournis par les anarchistes eux- mêmes197. La plupart des journaux publient non seulement des textes consacrés à

l'anarchisme, mais également des entretiens avec les acteurs du mouvement, des documents visuels tels plans de bombes, portraits de révolutionnaires, caricatures et images moralisatrices qui révèlent que la propagande révolutionnaire est non seulement un phénomène idéologique répandu dont la cohérence est suffisante pour prétendre à l’action, mais qu'une partie de cette propagande peut être attribuée à des acteurs célèbres des milieux littéraires et artistiques. Capitalisant sur l’intérêt et l’inquiétude du public vis-à-vis des mouvements révolutionnaires européens et américains, nombre de publications consacrent leurs pages à l'actualité du

195 René Bianco souligne cette caractéristique du Révolté et de la Révolte, Un siècle de presse

anarchiste de langue française. Répertoires des périodiques anarchistes, Aix-Marseille, 1987, pp.

1855-1864.

196 Augustin Hamon (1862-1945). Sociologue et sympathisant anarchiste puis socialiste, il fonda

L'Humanité nouvelle en 1897 et publia de nombreux textes dans les journaux anarchistes et littéraires.

Il fut impliqué dans la résistance durant la Deuxième guerre mondiale.

197 Augustin Hamon, « De l'influence de la presse dans la genèse de l'anarchisme », Le Peuple, 4 mai

mouvement anarchiste français, se faisant elles-mêmes propagatrices des idées et des documents des anarchistes198.

Le rôle joué par les publications généralistes dans la construction identitaire du mouvement anarchiste et de ses publications est un phénomène d’importance dont la plupart des militants sont conscients, allant jusqu’à s’impliquer directement dans la documentation des reportages journalistiques. Considéré par Jean Grave lui-même comme « notre première entrée dans la grande presse [que] nous devions souvent occuper par la suite199 », un « Reportage anarchiste » consacré au journal La Révolte

est publié dans Le Figaro par Henry Fèvre200 en 1889201. Grave raconte :

Il y avait dix-huit mois environ, que paraissait la Révolte lorsqu’un jour, Baillet arriva avec un numéro du Figaro contenant un article de Henry Fèvre intitulé « Reportage anarchiste ». Sous un masque de persiflage, c’était un exposé consciencieux des idées anarchistes, une appréciation

198 À titre d'exemple, Zo d'Axa reproduit dans L'Endehors, deux textes tirés du Figaro et de L'Éclair

expliquant les motivations des terroristes et concluant avec fatalisme. Le Figaro demande « Est-ce que l'Histoire n'est pas un déroulement de révolutions ? » tandis que L'Éclair affirme « L'Anarchie que la presse traite de folie et d'utopie sera la véritable rénovatrice sociale qui, supprimant les maîtres, fera de tous, bourgeois et ouvriers des hommes libres trouvant dans le bonheur de tous leur bonheur. » Zo d'Axa commente: « À côté même des invectives, Le Figaro, L'Éclair, d'autres feuilles, publient et mettent en valeur des théories qui, jusqu'ici, n'avaient jamais eu droit de cité. Ces journaux se font, malgré leurs réticences, les propagateurs de l'Idée maudite. » Dans Zo d'Axa, « Articles de Paris »,

L'Endehors, vol. 2, n° 48 (3 avril 1892), p. 1.

199 Jean Grave, Le Mouvement libertaire sous la Troisième République, op. cit., p. 72.

200 Henry Fèvre (1864-1937). Écrivain et critique français, il publia de nombreux textes sur la

politique, les arts et la littérature dans les journaux, et plusieurs romans. Son nom est associé aux milieux anarchistes dans les années 1890.

sympathique de la Révolte. Il semble me rappeler que c’était Baillet qui avait dû documenter l’auteur202.

Ce reportage prenant surtout la forme d’une description des lieux de production du journal, propose une analyse de quelques-unes des activités des anarchistes français, sans que les activités de propagande ne soient particulièrement détaillées.

L’intérêt journalistique pour les manifestations révolutionnaires joue un rôle important dans la représentation sociale que les anarchistes ont d’eux-mêmes, mais aussi dans leur prise en compte des tendances artistiques associées par les journalistes et reporters à l’iconographie révolutionnaire, offrant aux anarchistes une perspective directe sur les tendances de propagande les plus populaires. C’est le cas d’un article sur l’imagerie révolutionnaire paru en 1892 dans la Revue encyclopédique [Fig. 16], où l’auteur, John Grand-Carteret203, remarque que la production d’une imagerie

révolutionnaire constitue un phénomène international par rapport auquel la France se distingue historiquement. Remarquant d’emblée qu’il existe deux types d’imagerie révolutionnaire ― l’œuvre esthétique révolutionnaire et l’image d’enseignement révolutionnaire, image idéale et image pratique, toutes deux véhiculant un ensemble de référents historiques et théoriques faisant d’elles des images qui « répondent à tous

202 Jean Grave, Le Mouvement libertaire sous la Troisième République, op. cit., p. 72.

203 John Grand-Carteret (1850-1927). Journaliste, collectionneur et historien, il a publié de nombreux

les sentiments humains204 » ―, G r a n d - C a r t e r e t s o u l i g n e qu’« elle[s] [savent] être idéales tout en indiquant le but à atteindre205. » Ne s'engageant pas

sur les voies d'une discussion idéologique de l'imagerie révolutionnaire, l'article mise sur la curiosité du phénomène. Reproduisant deux œuvres de Walter Crane représentant La

Gloire de la Commune de Paris

[Fig. 17] et le Triomphe du

Travail [Fig. 18], la vision

proposée par Grand-Carteret met en lumière la dimension internationaliste de la propagande par l’image. Le travail de Walter Crane, élevant le mythe de la Commune en emblème symbolique de la lutte menée par les travailleurs de tous les pays, constitue une production que Grand-Carteret juge à la fois fort utile et particulièrement attrayante. Le rédacteur envisage cette production utile du point de

204 John Grand-Carteret, « L’imagerie révolutionnaire », Revue encyclopédique, n° 35, 1892, p. 776. 205 Ibid.

Fig. 16. John Grand-Carteret (éd.), « L'Imagerie révolutionnaire », Revue encyclopédique, n° 35, 1892.

Fig. 17. Walter Crane, « La Gloire de la Commune », c1890.

Fig. 18. Walter Crane, « The Triumph of Labour », c1890.

[Illustration retirée]

vue historique en discutant de sa filiation avec les mouvements insurrectionnels que sont la Révolution française et la Commune de Paris.

À cette filiation politique, l’auteur ajoute d’emblée une filiation esthétique, avec les œuvres des maîtres allemands du XVIe siècle Hans Burkmair, Heinrich Aldegrever et avec le sculpteur français François Rude206, d'une part, et avec la masse

des illustrateurs et caricaturistes français qui réagissent quotidiennement à la vie politique de la France, d'autre part. Loin d’exécrer le caractère moralisant et didactique de l’imagerie révolutionnaire, Grand-Carteret semble y trouver des qualités manquant, à son sens, à la production caricaturale si abondante en France. Parmi ces qualités, les références esthétiques et la part d’idéal des images font de l’imagerie révolutionnaire un objet à part. Considérant la domination de la caricature en France comme le témoignage de basses passions, il regrette que les artistes français :

[c]ontrairement aux étrangers, n’ont rien produit pour cette grande fédération internationale du travail, que la caricature peut facilement ridiculiser, mais qui n’en reste pas moins un

206 La mise en relation de l'iconographie et du style des oeuvres de Walter Crane avec celles des

maîtres allemands et de François Rude proposée par Grand-Carteret n'est pas directement attestée. Considérant l'intérêt de Crane pour les symboles de la Révolution française, Isobel Spencer l'attribue à sa lecture des poètes romantiques anglais et affirme que la première version de sa figure de la Liberté qui inspira les versions ultérieures de La Commune fut conçue dans les années 1860 et inspirée par le poème de Swinburne « The Era of Revolution. » Dans Isobel Spencer, Walter Crane, New York: Macmillan, 1975, pp. 142-143. Il n'est tout de même pas impossible que Crane ait été mis au contact des oeuvres de Rude par William J. Linton, chartiste-républicain proche des milieux révolutionnaires de 1848 et grand connaisseur de l'iconographie révolutionnaire, auprès de qui il fit l'apprentissage de la gravure. Ibid., pp. 16-17. En l'absence de données permettant de lier directement l'œuvre de Crane à Rude, il est légitime de croire que cette liaison n'est exprimée qu'à titre d'appréciation personnelle par Grand-Carteret.

événement intéressant à fixer pour l’art libre débarrassé de ses conventions de salons et de procédé207.

La production de Crane permet également de mettre en lumière la question de l'appropriation dans l'imagerie révolutionnaire de la figure féminine associée à Marianne et, par extension, de l'iconographie républicaine. L'utilisation simultanée de la figure féminine par les républicains, les anarchistes et les socialistes est souvent relevée dans l'historiographie comme le fait d'une contradiction de ces derniers avec leur idéologie. Richard Thomson, par exemple, prend l'exemple d'une affiche de Théophile-Alexandre Steinlen pour le roman d'Émile Zola intitulé Paris pour remettre en doute la conscience de Steinlen dans l'utilisation d'une figure féminine empruntant de nombreuses caractéristiques à Marianne208 :

This, it seems to me, is an image broadly from the left - by an anarcho-socialist artist, promoting a text by a Republican which makes a sincere if ultimately unpersuaded attempt to come to terms with anarchism - which makes use of the metaphor of the feminity of the crowd common in the diagnostic warnings of the right. Consciouly or not, Steinlen appropriated the imagery of his ideological opponents to

207 John Grand-Carteret, « L’imagerie révolutionnaire », loc. cit., p. 776

208 Richard Thomson, The Troubled Republic : Visual Culture and Social Debate in France,

promote a novel with whose material he would have felt more, but perhaps not entire, sympathy209.

On pourra questionner l'attribution à un groupe social de l'usage légitime, voire exclusif de cette figure, représentant tour à tour la Commune, la Sociale et la République. Exacerbée par l'utilisation des vocables "gauche" et "droite" — dont l'acception contemporaine est aussi problématique qu'elle est historiquement réductrice — pour qualifier l'allégeance d'une image et d'une allégorie, cette contradiction semble émaner de l'analyse de l'image plutôt que de l'image elle-même. L'utilisation de tels présupposés confine à une catégorisation peu nuancée qui ne résiste pas à un examen approfondi des motivations au fondement d'une appropriation politique volontaire, et consciente, de l'héritage révolutionnaire. Comme le mentionne Gaetano Manfredonia :

L'étude des rapports que le mouvement anarchiste a pu entretenir dans un pays comme la France avec les différentes expressions de la République fait apparaître d'une manière frappante l'existence de liens complexes et toujours passablement ambigus. Si l'anarchisme se présente comme une doctrine rompant résolument avec la tradition politique

209 Ibid. Il faudrait également rappeler que les opinions politiques de Steinlen, aussi proches des

milieux anarchistes soient-elles, ne le prémunirent pas de contribuer à des journaux aux dehors idéologiques contrastés. De même le rapport de Zola avec les anarchistes, aussi changeant et complexe soit-il, le porta à dénoncer la violence du terrorisme, mais il continua à partager avec eux certaines dimensions de son analyse des crises sociales contemporaines. Mais encore, de nombreux anarchistes s'opposèrent aux attentats. Ces précisions mettent en évidence le besoin de nuancer considérablement les analyses iconographiques et idéologiques des productions visuelles liées au mouvement anarchiste.

républicaine issue de [17]89 ou [17]93, cette séparation ne sera jamais ni définitive, ni totale210.

Ces liens complexes et ambigus concernent aussi bien la conception du monde et de la politique, que leur représentation. Mais encore, cette appropriation dépasse les frontières de la France. Dans un texte publié par le journal anglais The

Torch, Louise Michel met en perspective ce partage intellectuel répercuté dans

l'iconographie en rappelant le caractère universel du projet de la Commune. Accompagné de la première version de la Commune de Crane [Fig. 2], le texte mentionne:

They [les Communards] know also that by that word "La Commune," which the dying proclaimed, we designated the Social Revolution for France and for the world that which our predecessors termed "La Belle" (the beautiful) which they said, the earth was awaiting, and which it still awaits. Our Fathers called it "La Marianne," we call it Anarchy. It is the identical liberty for which our ancestors of 1793 hurled royal heads at the kings, and for which they also sacrified their own. And as time goes on, the hecatombs grow ever larger; and that Freedom which will enlighten the world, and make men good and just, reveals herself and grows in beauty211.

Loin d'être une contradiction entre des « opposants idéologiques » que l'on aime dépeindre comme des adversaires irréconciliables, cette appropriation est

210 Gaetano Manfredonia, « Pour ou contre la République: les anarchistes français et la tradition

républicaine, 1848-1914 », dans Gaetano Manfredonia (dir.), Les Anarchistes et la Révolution

française, Paris: Éditions du monde libertaire, 1990, p. 197.

motivée par une acception historiciste de la figure, rejetant sa récupération contemporaine par l'État212 visant à s'affirmer comme l'aboutissement de la Grande

Révolution, au profit d'une conception rhétorique de l'histoire révolutionnaire postulant sa persévérance. L'héritage iconographique révolutionnaire, pouvant être actualisé pour signifier le déroulement historique de la lutte révolutionnaire en usant de symboles populaires magnifiant la cohérence et la légitimité de la lutte, recèle un intérêt esthétique et idéologique certain pour les anarchistes, sans pour autant que ces derniers aient à assumer cet héritage dans sa totalité213.

La mise en relation de la production de Crane avec l'art de la Grande Révolution ne doit pas camoufler une dimension particulière de l'analyse de Grand- Carteret   : en dépit du fait que quelques initiatives contemporaines en termes d’imagerie révolutionnaire française puissent être l’objet d’une analyse à part entière, il s’en remet essentiellement aux productions internationales. L’analyse qui est faite de l’imagerie révolutionnaire constitue un exemple probant de la réception particulière réservée à l’art de propagande, d'emblée perçu comme un phénomène international. Plus encore qu'un symptôme de cette réception, le choix de Grand- Carteret implique, en termes journalistiques, la constitution d'un objet d’étude qui soit

212 Gaetano Manfredonia, « Pour ou contre la République: les anarchistes français et la tradition

républicaine, 1848-1914 », loc. cit., pp. 232-233. Manfredonia mentionne que la représentation de Marianne est parée de nouveaux attributs (le bonnet rouge est porté de travers), distinguant la Marianne « sociale » de la version républicaine.

213 Marianne est aussi dépeinte comme une prostituée à la solde des bourgeois dans les caricatures du

suffisamment inédit pour se démarquer. Son analyse comparative, jouant sur des jeux d’échelle entre le national et l’international, est reprise ultérieurement par la publication d'un dossier du Figaro-Graphic .

À l’occasion de la Fête des Travailleurs — instituée à partir de 1886 à la suite des émeutes de Haymarket — dont la répression s’est accrue d’année en année jusqu’en 1891 où la manifestation du 1er mai tenue à Fourmies en France se termina dans un bain de sang, le Figaro-Graphic [Fig. 19 et 20] publia le 1er mai 1892,un « supplément exceptionnel donné gratuitement aux lecteurs et abonnés du Figaro quotidien214 ». La note explicative adressée au lecteur met l’accent sur l’inscription du

numéro dans l’actualité révolutionnaire :

À l’occasion du 1er mai, tout le monde s’occupe des révolutionnaires, mais on connaît peu leurs moyens de propagande. Un de ces moyens, – le plus puissant peut-être, – est l’imagerie populaire. Nous en avons recherché, pour les soumettre à la curiosité de nos lecteurs, les échantillons les plus caractéristiques. Ceux que nous donnons aujourd’hui nous sont fournis par les publications illustrées socialistes, placards, journaux, brochures et revues qui paraissent dans les deux mondes215.

Reproduisant les deux œuvres de Walter Crane analysées par Grand-Carteret, ainsi que des œuvres parues dans les journaux néerlandais, autrichiens, espagnols et

214 « Le Premier mai ». Le Figaro-Graphic. Revue de la presse illustrée des deux mondes, n ° 6 (1 mai

1892), p. 1.

Fig. 19. « Le Premier mai », Le Figaro-Graphic, 1er mai 1892, p. 1. [Illustration retirée]

Fig. 20. « Le Premier mai », Le Figaro-Graphic, 1er mai 1892, p. 2. [Illustration retirée]

allemands, dont les textes et légendes sont traduits et adaptés en français, le Figaro-

Graphic ne semble pas faire plus de cas que la Revue encyclopédique de l’imagerie

révolutionnaire française.

Ces reportages journalistiques, explicitant leur raison d’être dans l’actualité des attentats anarchistes en France, semblent y voir les rebondissements de l’activité révolutionnaire internationale sans se préoccuper des modes de diffusion en France, des idées du mouvement international. Soulignant également le « caractère d’art très relevé216 » des œuvres de Crane, le Figaro-Graphic reproduit des extraits du poème

accompagnant la représentation faite de la Commune par l'artiste britannique et conclut : « ces vers sont signés J. Motteler, un Allemand; Walter Crane, un Anglais est l’auteur du dessin, et c’est en Suisse, à Zurich, qu’il a été imprimé en placard. Difficile d’être plus international217. »

À la vue de ces deux comptes rendus du développement de l’imagerie révolutionnaire, force est de constater que la production de propagande par l’image en France n'attire que peu le regard des contemporains. Si Grand-Carteret exprime directement ce qu’il conçoit être la faiblesse de la production révolutionnaire française, le Figaro-Graphic semble indiquer que cette production n’existe tout simplement pas. Tout se passe comme si les anarchistes n’avaient produit et diffusé aucune propagande visuelle qui puisse témoigner de l’actualité révolutionnaire

216 Ibid. 217 Ibid.

française et de l’implication des mouvements français dans l’Internationale. Ce point de vue est instructif à plusieurs égards et correspond assez bien aux limites réelles de l’illustration anarchiste, qui n'est diffusée régulièrement que par Le Père peinard. À l’évidence, le public et les journaux généralistes estiment q u e l a p r o p a g a n d e révolutionnaire française participe peu au mouvement international qu’ils décèlent dans

les corpus choisis pour illustrer leur reportage.

Si ces publications constituent de vivants témoignages de l’actualité révolutionnaire internationale, c’est un journal littéraire et artistique qui, le premier, semble vouloir rendre compte de la relation entre l'actualité politique parisienne et la propagande révolutionnaire en France. En effet, un numéro de La Plume218 [Fig. 21]

consacré à la philosophie de l’anarchisme révèle les dimensions de l’organisation du

218 Léon Deschamps (éd.), « Philosophie de l’anarchie », La Plume, n° 97 (1er mai 1893).

Fig. 21. Léon Deschamps (éd.), « Couverture. Philosophie de l'Anarchie », La Plume, n° 97 (1er mai