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d'après l'imposition sur les hotelleries de

B) La tenancière de débit mariée

Attardons-nous tout d’abord sur le cas des femmes mariées. Comme nous l’avons déjà souligné, la famille tient une place importante dans la société de l’Ancien Régime. De plus, tel que le rappelle Dominique Godineau, « […]la femme mariée est « en puissance de mari », c'est-à-dire sous son pouvoir légal. Maître de la société conjugale, il est « son chef, son seigneur et son maître », lui impose son nom, son domicile, sa condition (noble ou roturière) ; et si les enfants doivent soumission et respect à leur mère, son autonomie reste subordonnée à celle du père, qui l’emporte en cas de désaccord […] »122. Néanmoins, loin de nous l’idée de placer la femme sous la tutelle complète de son mari. Le mariage en tant que tel, et tel qu’il est conçu en ce XVIIIème siècle, implique le régime de la communauté des biens, renvoyant à l’idéal du mariage chrétien dans lequel les deux époux ne font plus qu’un 123. La femme a donc des droits sur les biens de son mari et se doit donc de gérer son affaire dans de multiples cas. Le couple est une « association de travailleurs », l’homme apporte l’argent et l’épouse doit s’occuper des enfants et gérer le ménage au quotidien124. Il est possible de considérer que l’homme propriétaire de l’établissement gère l’affaire au général, sa femme se doit d’administrer l’affaire dans le concret, que ce soit par l’accueil des clients ou la gestion des revenus. En effet dans les classes moyennes, épouses de maîtres artisans, marchands ou négociants, sont associées aux affaires de leurs maris125. Trônant derrière son comptoir, elle commercialise la production, elle est la première interlocutrice des clients, ce qui la place au cœur des disputes qui ne manquent pas de survenir avec les uns et les autres126.(p58) Ce point est déterminant dans la mesure où les conflits sont à l’origine de la constitution des procédures judiciaires que nous étudions.

Ainsi de nombreux conflits au cœur des estaminets Dauphinois impliquent des femmes et les divers témoignages au sein des procédures nous en apprennent plus sur leur place. En voici pour preuve une procédure datée du 22 septembre 1773 dans laquelle une épouse d’aubergiste témoigne :

« […]Repond après avoir preté serment la main levée de dire verité, qu’elle se nomme Elisabeth Martellon, femme de joseph Guichard, aubergiste au lieu de rives le bas, qu’elle y habite et qu’elle est agée d’environ quarante deux années […]

122

Godineau (Dominique), Les femmes dans la …, op.cit., p. 20.

123 Ibid., p. 20. 124 Ibid., p. 35.

125 Godineau (Dominique), Les femmes dans la …, op.cit., p. 56. 126

Interrogée si le mardi onzième du mois de may dernier Joseph Garnier etant allé chez elle pour y ferrer des chevaux que des marchands avoit dans son écurie, et comme il etoit dans la basse cour de son auberge, elle n’en sortit ayant un baton caché sous son tablier

Repond que sachant que jospeh garnier est très suspect, qu’il a été accusé de différents vols, y ayant meme eu des informations sur lui […] elle vit ledit joseph garnier qui etoit dans l’écurie n’ayant ni tablier ni marteau pour ferrer un cheval[…] lui cria defense d’entrer dans son auberge, elle avoit une petite verge a la main […] Entra dans l’écurie pour obliger ledit garnier a en sortir […] 127»

Comme exposé précédemment, la femme possède tout autant l’auberge que son mari, Elisabeth Martellon parlant de « son » auberge. Elle est au contact des clients, surveillant les abords de l’établissement et les écuries. La tenancière s’implique même ici directement en tentant de faire fuir l’individu non désiré. Nombreux sont les cas où la femme de l’aubergiste prend directement part au rixes. La procédure ADI 2B 3316 en est également représentative, présentant un marchand , Jean Baptiste Fugit Blanc , âgé de 63 ans, pris de vin dans une auberge de Voiron et déclenchant une rixe. Il joue avec un autre client dans une des chambres de l’auberge. Bien qu’endommagés les feuillets nous relatent l’intervention de la femme de l’aubergiste :

« […]Interrogé si le onze octoibre dernier, a sept hures du soir, il n’étoit dans le cabaret de jacques meyer[…]

Repond […] qu’il jouoit […]aux cartes[…] avec le nommée Duet[…] [et]avoit gagné quatres points […], alors le plaintif luy repondit qu’il etoit un coquin, qu’etant revenu en maurienne il avoit emporté les deniers du roy de sardaigne ou il étoit venu refugier […] le répondant luy dit alors que cela etoit faux, et dans la chaleur de l’action Il luy dit quelques injures pour lerepousser […] et la femme audit Meyer etant montée dans la chambre ou ils etoient, l’insulta aussi, et le repondant luy repliqua des injures dont il n’est memoratif […]128 »

Une fois de plus la femme du cabaretier prend part au conflit, montrant bien sa situation au plus près des clients de l’auberge. Dans le cas présent l’établissement est au nom du mari, Jacques Meyer.

127 ADI 2B 3871, 22 septembre 1773, interrogatoire d’Elisabeth Martellon. 128

Aussi pouvons-nous affirmer ceci : la femme de l’aubergiste, bien que non citée la plupart du temps sur l’acte de propriété de l’établissement, est néanmoins très présente dans la réalité des faits. Lorsque cette dernière possède l’auberge, selon les dires des procédures, son influence n’ y est que plus importante.

Dans son ouvrage sur les femmes dans la société de l’époque, Dominique Godineau effectue également une remarque appropriée : « […] Dans toutes les villes du royaume, les hôtelières, cabaretières, tavernières s’imposent dans le paysage urbain, leur commerce étant parfois enregistré sous le nom de leur mari qui exerce en fait une autre profession […]129». Ceci explique peut-être bon nombre des allusions présentes dans les procédures, même si rien ne nous permet de le prouver, les accords étant tacites. Il existe également d’autres cas où la femme gère « l’entreprise », les cas de veuvage.