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CHAPITRE III : A l’intérieur des établissements

C) Les soldats présents dans les cabarets

Bien que peu présents quantitativement dans les procédures que nous avons étudiées ( 6% de l’échantillon de clients relevé), les soldats, d’après une importante part de l’historiographie du sujet, étaient des clients privilégiés des estaminets. Ils profitaient de leurs permissions pour goûter aux plaisirs simples de la boisson et des femmes dans les nombreux cabarets de la province. Ils échappaient par-là à une condition assez difficile pour eux dans la société de l’époque. Il convient de l’appréhender pour comprendre leur position dans les objets de notre étude.

En effet, nombreux sont les auteurs à plaindre la situation de soldat. Au premier rang desquels Arlette Farge. Celle-ci parle de soldat de misère, de mal aimé, devant partir pour la guerre ou en risque d’être recruté. Il est détesté, et même considéré comme la lie du peuple pour son acoquinement avec les prostitués 156. sa condition et son psyché sont analysés par l’historienne qui expose ainsi que « […]le soldat sait qu’il ne défend pas son pays[…]. Tous

savent que le Roi a décidé certains affrontements sanglants en pays étrangers et qu’il faut obéir. Le service du Roi n’est pas une vocation, c’est une fatalité, une déveine.[…]Ils partent, souffrance au ventre, laissant famille, pays et travaux des champs pour des marches épuisantes, des jours sans pain, des froids de misère et des batailles dont ils n’ont que faire

[…] »157. Celui-ci s’oublie alors dans le débit de boissons à la moindre occasion, il est homme de cabaret, de femmes et de nuits courtes.158

155 ADI 2B 4020 , 1er décembre 1706

156 Farge (Arlette), Le cours ordinaire des choses dans la cité au 18ème siècle, Paris, Seuil, 1994, p.83. 157Farge (Arlette), Le cours…, op.cit., p. 82.

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En Dauphiné le soldat est de plus très présent, les garnisons se développant en cette période de paix qu’augure le XVIIIème siècle après un siècle de passage de troupes et de conflits guerriers159 .

Si les procédures étudiées nous donnent quelques exemples impliquant des soldats au sein des estaminets, ceux-ci se situent fort logiquement à proximité des importantes garnisons de troupes. René Favier nomme les plus importantes comme étant Briançon, Embrun, Montdauphin, Barraux, Grenoble et Valence à partir de la fin du siècle160 .

Néanmoins nos sources ne nous donnent pas d’exemples de soldats de ces garnisons se rendant au cabaret, mais proposent cependant d’autre cas concrets impliquant des troupes de passage. En témoigne, durant l’année 1735, l’exemple de Jean Pichot161, cavalier du régiment du Berry, de passage dans la ville de Montélimar, et accusé de vol et de recel dans le cabaret de Jean Gautier qu’ « […]estois sur les quatres heures du soir […]dans sa maison […] et […]

avoit des cavaliers qui buvoient dans son cabaret […] » . Les magistrats instruisant la

procédure déclarent ainsi :

« […] Disant que le regiment de berry a cavalerie ayant séjournée en cette ville ce jourd’huy, un cavalier de ce regiment fut surpris ayant vollé dans un cabaret de cette ville de la vaisselle en etain et une serviette […] dans le dessein […] de vendre après avoir essayé d’effacer les marques qui estoient sur lesdittes pièces d’etain, et les presentant de meme que la serviette a plusieurs personnes pour les acheter, et ce fut dans ses circonstances que le cavalier fut découvert et surpris et que l’on luy ostat les effets vollés ; […]162 »

Le soldat, pris de vin, tente ainsi de vendre les effets volés, et est vite confondu. On peut s’interroger sur les raisons d’un tel acte, mais souvenons-nous de la misère dépeinte par Arlette Farge et ce type de comportement ne semble plus si étonnant. L’homme n’aura ainsi pour défense que son état fortement alcoolisé :

« […] interrogé pourquoy prendre l’assiette et la serviette […]

159 Favier (René), Les villes …, op.cit., p. 156. 160 Ibid., p. 56.

161 ADI 2B 4121, 1735 162

Repond et dit que s’il avoit été d’un sang froid il ne les auroit pas pris et s’il les a pris c’est parce qu’il etoit chaud de vin et qu’il ne ne sachoit ce qu’il faisoit […]163 »

Il sera de plus condamné de manière exemplaire, comme dans les nombreux autres cas de vols traités dans ce mémoire, marqué au fer de la lettre V, et condamné à une amende de 50 livres.

D’autres cas de soldats face à la justice à cause de leurs débordements sont visibles, tel l’exemple d’un groupe de soldats, parmi lesquels Jean Guichard, accusé de trouble de l’ordre public dans le cabaret du nommé Roux, à Lemps, dans le mandement de Vienne164 . Ou encore François Monge en 1713165, soldat de la compagnie de la colonelle, du régiment de Roussille, âgé de 20 ans, soupçonné du meurtre d’un berger. Les feuillets retraçant l’affaire sont difficilement lisibles et endommagés, néanmoins le témoignage de l’accusé révèle une journée des plus ordinaires, nommant un cabaret proche de la ville de Die:

« […]Interrogé s’il ne travailla pas mercredy compté le deuxième de ce mois pour Jean Pierre Nicolas […]

Repond qu’il travailla depuis le matin jusques environ les deux heures qu’il alla gouter dans un cabaret hors de la ville[…] Repond […] qu’il trouva dans le cabaret […] il alla gouter avec un paysan qu’y buvoit […]166 »

Le soldat travaille ainsi en tant que journalier avant d’aller terminer sa journée dans un cabaret. C’est pris de vin qu’il aura une altercation conduisant à la mort d’un berger.

Si le soldat est mal vu comme le décrit Arlette Farge, et s’il est objet de la même répression que les autres individus du Dauphiné au sein des procédures, il est utile pour conclure de spécifier qu’il est indispensable à la bonne marche des cabarets. En effet, la présence des troupes constituait un véritable marché, de nombreuse professions, telles les aubergistes ou cabaretiers, décuplant leurs chiffres grâce au passage de soldats167. René Favier dans son ouvrage sur les villes de la province souligne même qu’ « […]Un marché était

particulièrement sensible à cette présence militaire, celui du vin. Concurrencés par ceux de Provence, les médiocre vins de l’Embrunais, impossibles à commercialiser, avaient besoin d’une garnison pour être entièrement consommés sur place. « S’il n’y a point de garnisons,

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ADI 2B 4121, 1735, interrogatoire de Jean Pichot

164 ADI 2B 5842, 8 avril 1700 165 ADI 2B 3050, 1er septembre 1713

166 ADI 2B 3050, 1er septembre 1713, interrogatoire de François Monge 167

ses vins ne peuvent être vendus » affirmaient les consuls. […] Dans le Viennois et le Valentinois, la consommation des vins, de meilleure qualité mais aussi très abondants, nécessitait tout autant la présence de troupes nombreuses. Les consuls de Vienne demandaient au moins deux bataillons pour consommer leurs excédents en 1764.[…]168 »

La vision des autorités peut paraître cynique, le vin amenant les soldats à tous les excès, cependant elle n’en était pas moins opportuniste et révélatrice de la situation des soldats dans les cabarets Dauphinois au XVIIIème siècle.

Un important microcosme fréquente les cabarets, ces lieux devenant donc des lieux sociaux incontournables à l’époque. Qui dit population multiple et foisonnante dit également mœurs multiples, et les cabarets dauphinois vont en présenter un certain nombre.

II) Le débit de boissons et ses mœurs

Les nombreux témoignages présents lors de l’instruction effectuée par les magistrats offrent des informations non négligeables sur les mœurs et les comportements sociaux au cœur des établissements. En premier lieu, il est possible d’observer certaines constantes, certains comportements sociaux, reflets des pratiques courantes de la société de l’époque.