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Les temps du passé

Dans le document Notions de neurolinguistique théorique (Page 83-86)

a. Passé simple

Vision prospective sur chronotype α, le passé simple donne une image globale du passé33. Comme nous l'avons vu, une telle représentation implique que le déroulement du procès au passé simple est vu en survenance pure, à partir de son instant initial et en direction de son instant final. Autrement dit, les limites de début et de fin du procès sont envisagées ; le procès est vu de l'extérieur, comme un tout révolu. D'où les effets de sens suivants34 :

- traduction de l'événement passé dans son unicité : Louis XIV régna

soixante-douze ans. On remarquera au passage que le passé simple n'a

rien de nécessairement «ponctuel» et peut aisément traduire la durée. Mais il est vrai que les limites du procès étant englobées dans la

33 Etant donné le sens restrictif que nous donnons au mot aspect, nous parlerons de vision globale ou de vision sécante et non d'aspect global ou sécant (cf. supra.)

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représentation du passé fournie par le passé simple, l'espace de durée interne qui sépare ces limites peut être réduit au minimum : la voiture

s'écrasa contre un platane35.

- traduction de l'événement passé comme appartenant à une série d'événements comparables : Il voyagea / Il connut la mélancolie des

paquebots […] / Il revient / Il fréquenta le monde (Flaubert). Puisque

les limites du procès sont envisagées, une juxtaposition de verbes au passé simple produit un effet de succession.

- traduction de l'événement passé comme se détachant sur un arrière-plan traduit par l'imparfait : il chantait quand son frère entra. Le contraste entre passé simple et imparfait apparaît très bien dans ce type d'exemples : l'événement «entra» survient (cf. définition du passé simple sur chronotype α, la survenance pure) à un moment du passé où le chant avait déjà une partie accomplie et une autre partie à accomplir (cf. définition de l'imparfait sur les deux chronotypes α et ω)36.

- passé simple de répétition : Pierre mangea trois fois du gâteau. - emploi gnomique, par réitération infinie de la répétition dans le passé : Un repas réchauffé ne valut jamais rien.

b. Imparfait :

Construit sur deux chronotypes, l'imparfait donne une image sécante du procès. De cette représentation, découle le fait que les limites de début et de fin du procès sont à l'imparfait rejetées hors perspective.

35 Mais à l'imparfait, où les limites du procès sont envisagées, il est plus difficile de réduire la durée interne. D'où l'effet de ralenti de Soudain, la voiture s'écrasait contre un platane : la mise hors perspective des limites du procès entraîne un élargissement de la durée interne. Schématiquement :

Imparfait Passé simple

36 Ces trois premiers effets de sens, issus de la position en système du passé simple, font de ce dernier le temps privilégié du récit. On notera en outre que la composition systématique du passé simple, excluant le chronotype ω, signifie une séparation avec le présent (cf. ce que nous avons dit plut haut du futur). Cette absence de contact en système, entre passé simple et présent, s'accorde fort bien avec l'appartenance du premier à l'ordre du récit (au sens de Benveniste), puisque celui-ci se définit par sa rupture avec le présent de l'énonciation.

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L'imparfait connaît tout d'abord une série d'emplois temporels, fondés sur une interprétation chronologique du passé et dont la variété s'explique par une exploitation de la dualité chronotypique37 :

- α = 0 (nullité de la partie à accomplir) : Au moment de son

abdication, Edouard VIII régnait depuis quelques mois seulement.

- α + ω (une partie du procès est accomplie ; l'autre reste à accomplir, une continuation est possible) : Quand j'entrai, Pierre lisait. Cet imparfait peut avoir une valeur de répétition : Il se levait chaque jour à

huit heures.

- ω → 0 (accompli très réduit ; prépondérance de la partie prospective) : Le lendemain je recevais une lettre de mon frère. Il s'agit de l'imparfait «pittoresque».

- ω = 0 (nullité de la partie accomplie) : Sans toi, il se noyait (irréel du passé).

Nous ne cherchons pas ici l'exhaustivité : sous l'influence du contexte, diverses autres valeurs stylistiques de l'imparfait sont possibles, toujours dans le cadre temporel.

Mais l'imparfait admet également de nombreuses valeurs modales. La notion de passé peut en effet être interprétée non plus chronologiquement, mais dans divers autres ordres. Relevons les deux principaux :

- ordre logique : l'imparfait est apte à traduire l'antériorité logique qui existe entre l'hypothèse et sa conséquence, lorsque cette dernière est exprimée au conditionnel : s'il était là, il te répondrait (irréel du présent) ; s'il venait demain, il te répondrait (irréel du futur ou potentiel).

Par sa position en système, l'imparfait est en effet l'antérieur logique du conditionnel. Il traduit donc l'antériorité logique de l'hypothèse sur la conséquence. On notera que lorsque la conséquence est exprimée au futur, c'est le présent qui se charge de signifier l'hypothèse : s'il vient

demain, il te répondra. Ceci provient de ce que l'antérieur logique du

futur est le présent38 :

37 Les exemples qui suivent sont empruntés à MOIGNET, G., op. cit., p. 79.

38 Nous avons bien vu auparavant qu'en système le futur s'adosse au présent tandis que le conditionnel s'adosse à l'imparfait.

85 AVANT APRES hypothèse présent imparfait conséquence futur conditionnel

- ordre affectif : l'image de passé traduite par l'imparfait peut être interprétée en termes d'éloignement, comme établissant une distance du locuteur à l'allocutaire

- valeur de politesse : Je venais dire à Madame que le dîner

était servi

- valeur hypocoristique : Il était bien mignon, le gros bébé.

Le passé que représente l'imparfait, lorsqu'il n'est pas temporel, est perçu comme le signe d'une moindre actualisation du procès.

Dans le document Notions de neurolinguistique théorique (Page 83-86)