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SÉMIOLOGIE DE L'APHASIE

Dans le document Notions de neurolinguistique théorique (Page 196-200)

1 Signalons que seul Exner postule un centre graphique

4. SÉMIOLOGIE DE L'APHASIE

Il existe une liste à peu près close des anomalies que présente le comportement langagier des aphasiques dans ses modalités expressives ou réceptives, à l'oral ou à l'écrit10.

4. 1. Troubles de l'expression orale - Anomalies du débit :

- réduction du débit, pauses fréquentes (aphasiques non fluents)

- accélération du débit, logorrhée (aphasiques fluents11) - Suppression ou mutisme : absence totale d'émission verbale12. - Réduction qualitative et stéréotypie : la réduction qualitative désigne une diminution du nombre de mots différents encore disponibles. Elle peut aller jusqu'à la stéréotypie, émission répétitive d'un même segment linguistique. La stéréotypie peut être un mot de langue ou une courte phrase, ou ne pas être un mot de langue13.

- Dysprosodie :

- atténuation de la mélodie du discours (monotonie) - tendance à la syllabation

10 Ce chapitre s'inspire de LECOURS - LHERMITTE, op. cit., p. 112-124 et de RONDAL, J.A., SERON, X.(dir.), Troubles du langage. Diagnostic et rééducation, Liège, Pierre Mardaga, 1982.

11 La distinction entre aphasiques fluents et aphasiques non fluents est due à Goodglass.

12 Cet état apparaît souvent en début de maladie et précède une réduction quantitative (cf. RONDAL - SERON, op. cit., p. 136.

13 Exemples de stéréotypies : « tan-tan » (un malade de Broca), « Cré nom » (Baudelaire), « Bonsoir les choses d'ici-bas » (un malade d'Alajouanine).

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- parfois, survenue d'un pseudo-accent : le patient parle comme s'il avait un accent étranger14.

- Manque du mot : difficulté ou impossibilité à produire un mot dans différentes conditions d'énonciation.

Ces divers troubles sont des anomalies assez globales de l'expression orale. Il existe, toujours pour l'expression orale, des déviances plus précises, qu'on regroupe sous le titre de transformations du langage oral.

4. 2. Transformations du langage oral

- Transformations phonétiques : émission inadéquate des phonèmes de la langue (due à des difficultés arthriques) conduisant à des anomalies dans la réalisation de leurs traits constitutifs. Par exemple, un malade qui aura tenté de dire le mot «coquelicot» ([kokliko]) prononcera [kotliko] : il y a eu remplacement d'une occlusive postérieure par une occlusive antérieure. Mais le phonème produit peut aussi ne plus appartenir à la langue maternelle de l'aphasique. Il peut s'agir de transformations approximatives d'occlusives en constrictives, d'orales en nasales, de sourdes en sonores etc. On peut également observer la production de pseudodiphtongues ou de pseudopolyphtongues (par exemple le mot « constitution » est répété « caoonstitution »), des assimilations antérogrades ([klaRte] répété [klaRke]) ou des assimilations rétrogrades (« découverte » devient « técouverte »). Ce sont les aboutissements de ces diverses transformations qu'on regroupe sous la dénomination de syndrome de désintégration phonétique15. - Paraphasies phonémiques : mauvaise prononciation par addition, omission, déplacement de phonèmes en l'absence de toute difficulté arthrique. Les phonèmes produits appartiennent à la langue mais ce ne sont pas les phonèmes attendus qui sont sélectionnés. Par exemple, « tabouret » devient « paturet » ou « alumette » devient « palumelle ».

14 Chez un aphasique francophone, un pseudo-accent britannique apparaît progressivement lorsque le trouble arthrique est à prédominance parétique (faiblesse des mouvements articulatoires, insuffisance du souffle trachéal). Lorsque le trouble arthrique est à prédominance dystonique (exagération des mouvements constitutifs des traits phonétiques quant à leur force et à leur durée) on observe l'émergence d'un pseudo-accent germanique (cf. LECOURS - LHERMITTE, op. cit., p. 90).

15 Les anomalies phonétiques de la parole des aphasiques ont été décrites sous ce nom par Alajouanine, Ombredane et Durand dans Le syndrome de désintégration phonétique dans l'aphasie, Masson, Paris, 1939. Nous y reviendrons longuement dans notre seconde partie.

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- Paraphasies verbales. Elles sont de deux types :

- paraphasie verbale morphologique : remplacement d'un mot par un autre lui ressemblant par la forme. Par exemple, «caviar» est dit pour « cadavre », « grasse » pour « grande », « gant » ou « blanc » pour « banc ». Dans la conversation, les paraphasies verbales morphologiques se mêlent aux paraphasies phonémiques.

- paraphasie verbale sémantique : le mot à prononcer est remplacé par un mot ayant un rapport conceptuel avec lui. Par exemple, dans une situation de dénomination d'image, on aura les transformations suivantes :

Image Mot prononcé

table banc

pied main

chaussette sandale

Dans une situation de lecture à voix haute, on pourra observer les transformations suivantes :

Mot à lire Mot prononcé

bateau navire

main doigt

- Néologisme : on appelle néologisme un segment linguistique émis comme mot, alors que ce mot n'existe pas dans la langue de la communauté verbale du sujet.

- Agrammatisme : l'agrammatisme correspond à une réduction quantitative et à une simplification des structures syntaxiques dans le discours (style télégraphique). Il se caractérise également par l'élision et la substitution des «mots-outils» (ou des «mots grammaticaux»), par la prédominance des «mots lexicaux» et donc par une tendance à la juxtaposition. Lorsque des verbes sont employés, il sont très souvent à l'infinitif.

- Dyssyntaxie (ou paragrammatisme) : ce terme qualifie une production linguistique dans laquelle on observe un nombre assez important de phrases transgressant les règles de la syntaxe. Par exemple, un malade auquel on a demandé de produire une phrase avec les deux mots «foins» et «juin» a proposé «les foins coupent en juin les cultivateurs.» Avec «opticien» et «lunettes», on a obtenu «l'opticien est vérifié la lunette.»

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Pour certains auteurs, la transformation dyssyntaxique n'est jamais qu'un résultat de paraphasies verbales. Par exemple, en racontant l'histoire du petit chaperon rouge, un malade dit : «Elle portait une galette sur sa grand-mère».; ou encore, au cours d'une conversation, un autre malade dit : «J'étais dans la couturière ; j'ai toujours fait des robes.» Les transformations de chez en sur et de couture en

couturière sont des paraphasies verbales d'où dérive l'effet

dyssyntaxique.

- Jargonaphasie : ce terme désigne des productions linguistiques caractérisées par une abondante production paraphasique. On parle de jargon phonémique lorsque la production paraphasique est pour l'essentiel constituée de paraphasies phonémiques et morphologiques. On parle de jargon sémantique lorsque les paraphasies sont majoritairement sémantiques. Le discours du jargonaphasique se distingue de celui de l'agrammatique par son inefficacité beaucoup plus marquée à transmettre l'information. On le constate sur cet exemple qui est extrait de deux commentaires des événements de mai 1968, le premier par un agrammatique, le second par un jargonaphasique (cf. Lecours - Lhermitte, Op. cit., p. 81) :

Agrammatisme

Ah oui ! Grèves ↓ euh, grèves, euh, drapeaux rouges. Euh, euh, matraques, enfin matraques, Facultés. Euh, ah oui ! Dix pour cent, euh, salaire. Euh, bah ! c’est tout.

Jargonaphasie

Mais un jour, euh, vous aurez, dans la France entière, réparti dans la France ↓ Vous aurez, dans la France ↓ Vous aurez la France. Vous aurez Paris qui sera, vraisemblablement, euh, une partie qui sera difficile à tenir, puis tout le reste sera ↓ – Je ne veux pas dire tout dans l’ensemble – sera l’ensemble de la France, mais l’ensemble de la France sera à peu près convenable.

4. 3. Troubles de la compréhension orale

Les troubles de la compréhension du langage parlé semblent moins riches que ceux de l'expression orale parce qu'ils se prêtent difficilement à une description précise. Tout dépend de l'ingéniosité des tests élaborés pour les déceler. On peut cependant distinguer les cas suivants :

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- surdité verbale pure : la surdité verbale pure est un trouble de l'identification et de la discrimination des bruits linguistiques. Le malade entend des sons qui n'ont pour lui aucune valeur linguistique. L'existence isolée de ce trouble est contestée.

- troubles de la compréhension orale reposant sur un mauvais traitement phonémique du message.

- troubles de la compréhension orale se rapportant à l'extraction des valeurs sémantiques de l'information.

4. 4. Troubles de l'expression écrite

C'est habituellement l'expression linguistique dans son ensemble qui est affectée dans l'aphasie. Cependant, hormis quelques exceptions, on remarque que la langue écrite est souvent plus touchée que la langue parlée et que sa récupération est plus lente et moins complète. Les causes présumées de cette dissymétrie sont les suivantes :

- le langage écrit serait plus fragile que le langage oral parce qu'il est acquis plus tardivement ;

- la langue écrite étant très souvent moins utilisée que la langue orale, son apprentissage serait moins bien ancré ;

- les structures de l'écrit seraient plus diverses et plus complexes que celles de l'oral.

Par ailleurs, on peut toujours expliquer la désorganisation de la langue écrite comme une conséquence de la désorganisation de la langue orale. En effet, pour de nombreux locuteurs, l'écrit est fortement tributaire de l'oral16.

On retrouve, à l'écrit, la sémiologie des troubles de l'expression orale, mais sous la forme graphique :

- Anomalies du débit : en général, même quand il n'existe pas de troubles spécifiques du graphisme chez le malade, le débit d'écriture

16 Dans la majorité des cas, l'apprentissage du mot écrit ne se fonde pas sur la constitution d'un lien associatif entre le mot écrit et les attributs de l'objet, mais entre le mot écrit et son homologue oral. Si l'apprentissage de la langue écrite a été suffisamment long, on pense que son substrat anatomique acquiert une certaine indépendance (car les structures de l'écrit sont très différentes de celles de l'oral). Si ce n'est pas le cas, le substrat anatomique de la langue écrite reste tributaire de celui de la langue parlée (l'écrit se limitant à la réduplication des thèmes et des formes de la conversation quotidienne).

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