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La glossogénie comme diachronie des synchronies

Dans le document Notions de neurolinguistique théorique (Page 31-35)

Nous restreindrons ici notre présentation de la notion de glossogénie aux changements linguistiques intervenant dans une langue donnée33. Comme nous l'avons déjà remarqué, la notion de glossogénie semble analogue à la notion saussurienne de diachronie. Mais G. Guillaume formule au moins deux reproches à ce qui, de la théorie saussurienne, s'exprime dans le couple synchronie/diachronie :

1°) la notion de synchronie renvoie, chez Saussure, à une réalité figée ; une synchronie est avant tout, pour Saussure, un état. Or une telle conception ne rend pas compte, selon Guillaume, du processus de systématisation dont découlent les faits synchroniques :

Dans la pensée de Saussure, les deux images dominantes sont celles du temps qui s'écoule et de l'instant qui s'arrête, et immobilise. Le schéma de sa vision est le suivant :

Temps instant 1

instant 2 instant 3 instant 4

Cette vision profonde reste, en la matière, un peu sommaire. Car la systématisation, rapportée par Saussure à chaque instant immobilisé dans la marche longitudinale du temps, n'est pas instantanée : elle a

33 Nous ne traiterons donc pas de la théorie des aires glossogéniques, théorie relative au problème de la typologie linguistique. Pour une présentation de cette théorie, cf. en particulier GUILLAUME, G., Leçons de linguistique, 1956-1957.

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demandé, elle demande et, puisqu'elle est changeante, demandera du temps, tout de même que le procès inverse de désorganisation à partir duquel elle opère.34

Il est donc plus juste de se représenter la synchronie comme portée en même temps par une force de systématisation, une force organisatrice, s'opposant à la force désorganisatrice de la diachronie au sens courant du terme :

Car dans une langue l'organisation systématique s'opère avec la désorganisation dont d'instant en instant la langue fait l'héritage. A la vérité, on se trouve en présence de deux forces dirigées en sens inverse et qui se rencontrent, l'une descendante, désorganisatrice, l'autre ascendante, organisatrice.35 En figure : Diachronie 1 (désorganisatrice) Diachronie 2 (organisatrice) Synchronie systématique

Ce schéma montre bien que « l'organisation – le système – apparaît au point de remontée et d'équilibre relatif […] des deux impulsions ».36

Plus concrètement et en langage saussurien, il vise à rendre compte de ce que les changements linguistiques liés aux réfections analogiques sont également des phénomènes qui se déroulent dans le temps.

2°) seconde insuffisance de l'analyse saussurienne, la diachronie semble restreinte à une « histoire concrète des faits linguistiques considérés isolément ».37 Or, ce dont procède un système synchronique, c'est d'un

34 GUILLAUME, G., Principes de linguistique théorique, p. 106-107.

35 Ibid., p. 107.

36 Ibid., p. 108.

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« système antécédent, aussi rigoureux, quoique différent. »38 La diachronie des faits linguistiques isolés s'inscrit donc dans une diachronie des systèmes, une diachronie des synchronies :

Les changements les plus importants et les plus intéressants sont ceux qui déclenchent ou qui accompagnent un changement systématique. Il convient alors, sans perdre de vue l'histoire des faits particuliers concrets, de percevoir en même temps l'histoire abstraite du système lui-même, qui n'est pas celle de ses supports matériels, mais celle du rapport qui s'établit entre eux ; autrement dit l'histoire non pas des choses liées, mais celle de leur liaison, de leur cohérence.39

Ajoutons enfin qu'il se dégage parfois de certains textes de Guillaume le sentiment qu'il concevait la glossogénie comme une téléologie. En témoigne par exemple l'extrait suivant, relatif à la dualité du physique et du mental, ces termes étant respectivement employés pour signe (i.e. signifiant dans la terminologie usuelle) et signifié40 :

Le langage physifie, si l'on ose dire ainsi, le mental. Le mental y appelle le physique qui le fera sensible, par vision ou par audition – c'est-à-dire par un recours à un moyen sensoriel dont le rôle, limité, est de produire une représentation physifiée du mental, représentation qui ne sera jamais une image trop fidèle du mental auquel elle s'ajuste. Le langage humain est, au cours de sa longue histoire structurale et architecturale, une recherche continuée – une causation continuée – de cet ajustement optimum.41

Cette recherche d'un ajustement optimum du signe au signifié suggère nettement une conception téléologique de la glossogénie. Nous reviendrons bientôt sur ce point précis42.

38 Ibid.

39 Ibid., p. 110.

40 Ce choix terminologique est estimé inadéquat car, comme chacun le sait, la nature du signe n'est aucunement physique.

41 Ibid., p. 121-122.

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* * *

Un développement plus complet sur la question de la successivité historique des systèmes n'aurait pas sa place dans la présente étude. Nous voudrions seulement insister ici sur un point qui nous paraît essentiel : l'aptitude de la linguistique guillaumienne à l'explication de nombreux faits de linguistique historique constitue un argument non négligeable quant à la validité et à l'efficience de son appareil conceptuel43. Or la plupart des théories linguistiques utilisées dans la recherche sur les pathologies du langage, le plus souvent d'origine américaine, ne peuvent se prévaloir de ce champ de validation qu'est l'histoire de la langue. De plus, et ceci nous semble un effet pervers de l'influence grandissante du cognitivisme, il n'est pas rare, dans ce même domaine de la recherche, de voir fleurir de petites théories ad hoc, pertinentes pour l'explication de tel fait pathologique, mais dont le champ de pertinence ne s'étend guère au delà. Réinventer une linguistique pour chaque nouveau problème ne nous paraît pas de bonne méthode. Il nous paraît infiniment préférable de chercher à bénéficier des enseignements d'une théorie qui, le fait est assez rare pour mériter d'être relevé, s'est intéressée aussi bien aux structures de la langue qu'à la diachronie des systèmes, sans négliger un domaine particulièrement précieux pour la recherche neuropsycholinguistique, celui de la praxéogénie, c'est-à-dire, dans un vocabulaire plus usuel, des opérations énonciatives.

43 Cf. par exemple, pour ce type d'étude, GUILLAUME, G., L'architectonique du temps dans les langues classiques, loc. cit. ; MARTIN, R., Le mot «rien» et ses concurrents en français (du XIVe siècle à l'époque contemporaine), Paris, Klincksieck, 1966 ; MOIGNET, G., Essai sur le mode subjonctif en latin postclassique et en ancien français, Paris, PUF, 1959 ; POTTIER, B., Systématique des éléments de relation. Etude de morphosyntaxe structurale romane, Paris, Klincksieck, 1962 ; SOUTET, O., Etudes d'ancien et de moyen français, Paris, PUF, 1992 ; STEFANINI, J., La voix pronominale en ancien et en moyen français, Aix-en-Provence, Ophrys, 1962.

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2. L'ANALYSE DES SYSTÈMES DE LA LANGUE SELON

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