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La préhistoire de la neuropsychologie

Dans le document Notions de neurolinguistique théorique (Page 158-168)

L’APPORT DES DISCIPLINES NEUROLOGIQUES

1. APERCU HISTORIQUE

1.1. La préhistoire de la neuropsychologie

Les premiers textes relatifs à la neurologie datent du XVIIe siècle avant notre ère. Le plus célèbre est le papyrus d'Imhotep, retrouvé en 1882 par Edwin Smith chez un brocanteur de Louxor et déchiffré une cinquantaine d'années plus tard par James Breasted5. Ce papyrus fournit

une description assez précise de symptômes dus à diverses blessures à la tête et au cou6 et constitue la première mention attestée d'une relation

5 BREASTED, J. H., The Edwin Smith surgical papyrus, Chicago, Chicago University Press (2 vol.), 1930 (référence citée par CHANGEUX, J. P., L'homme neuronal, Paris, Fayard, 1983, p. 13 et 348). Imhotep, Egyptien de l'époque archaïque, aurait été architecte et prêtre (cf. BOUTON, Ch. P., Le discours physique du langage. Histoire de la formation des concepts en neurolinguistique, Paris, Klincksieck, 1984). La datation du texte est fondée sur l'écriture hiéroglyphique ; mais il s'agit vraisemblablement d'une copie d'un texte beaucoup plus ancien, rédigé vers 3000 av. J.C. (cf. CHANGEUX, op. cit., p. 13). Il existe un autre papyrus de la même époque que celui d'Edwin Smith, découvert par Ebers, qui mentionne les céphalées, les vertige et l'épilepsie (cf. GIRARD, Paul, «Histoire de la neurologie», in Histoire de la médecine, de la pharmacie, de l'art dentaire et de l'art vétérinaire, dir. par POULET, J., SOURNIA, J.C. et MARTINY, M., Paris, Albin Michel/Laffont/Tchou, 1978, p. 325).

6 «On y trouve une liste de quarante-huit cas de blessures à la tête et au cou, présentés de manière fort concise et systématique, comportant pour chaque cas : titre, examen, diagnostic et traitement. La lecture du cas 6 nous informe que l'arrachement de la boîte

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causale entre lésions cérébrales et troubles sensori-moteurs. Mais dans le contexte religieux de l'Egypte ancienne, il était impossible d'apprécier toute la signification d'une telle relation. En effet, pour les Egyptiens, c'est le cœur qui est la puissance de vie et la source des pensées bonnes et mauvaises. Le cœur du défunt, comme l'enseigne Le Livre des morts, devait être pesé et mis en balance avec des plumes, afin que fût déterminé l'équilibre du bien et du mal après la mort. Le cerveau en revanche était un organe sans importance et généralement ignoré7.

Au cours de l'antiquité grecque, la thèse cérébrocentrique s'oppose à la thèse cardiocentrique. Les facultés intellectuelles et affectives, qui sont localisées dans le cerveau selon la première, le sont dans le cœur selon la seconde8. Alcméon de Crotone (1ère moitié du Ve siècle av. J.C.), l'un des premiers à pratiquer la dissection et la vivisection sur les animaux selon certains auteurs9, pensait que les organes des sens, source de l'intelligence, étaient reliés au cerveau par des canaux. C'est grâce au

Commentaire sur le Timée de Chalcidius (IVe siècle) que nous connaissons cet aspect des travaux d'Alcméon :

Il faut donc expliquer quelle est la nature de l’œil ; à ce sujet, la plupart des auteurs, et plus particulièrement Alcméon de Crotone – spécialiste des recherches sur la nature et le premier à avoir osé entreprendre une dissection –, Callisthène, le disciple d'Aristote, et aussi Hérophile ont fait la lumière sur nombre de points importants. Il existe deux conduits étroits qui, partant du cerveau, où est sise la partie maîtresse et directrice de l'âme, le relient aux orbites oculaires : c'est par là que circule le souffle vital.10

crânienne découvre des «rides semblables à celles qui se forment sur le cuivre en fusion», première évocation fort suggestive des scissures et circonvolutions cérébrales. Le cas 8 est capital : le scribe note qu'une «blessure qui est dans le crâne» s'accompagne d'une «déviation des globes oculaires» et que le malade «marche en traînant le pied». Cette observation doit le surprendre, car il répète quatre fois en l'espace de quelques lignes «cette blessure qui est dans le crâne», comme pour bien insister sur le paradoxe qu'un handicap moteur se manifeste alors au niveau des membres, à grande distance de la blessure. Plus loin, au cas 22, on lit : «Si tu examines un homme ayant la tempe enfoncée...lorsque tu l'appelles il ne répond pas, il a perdu l'usage de la parole.»« (CHANGEUX, ibid.) Ce dernier cas est particulièrement intéressant pour notre propos puisqu'il établit déjà une relation entre le cerveau et le langage.

7 Cf. GREGORY, R.L., «Egypte : le concept d'esprit», in Le cerveau, un inconnu. Dictionnaire encyclopédique, dir. par R. L. GREGORY (Oxford University Press, 1987), Paris, Editions Robert Laffont, 1993 (pour la traduction et l'adaptation française).

8 Ch. Bouton note qu'on peut observer des traces de la thèse cardiocentrique jusqu'au XIXe siècle : «Bichat, Pinel et Esquirol voient encore dans le coeur le centre des sentiments affectifs.» (BOUTON, op. cit., p. 34).

9 BOUTON, op. cit., p. 13.

10 CHALCIDIUS, Commentaire sur le Timée, éd. Wrobel, p. 279 (Cité par DUMONT, J. P., Les présocratiques, Paris, Gallimard, coll. « Bibl. de la Pléiade », 1988, p. 221).

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On trouve déjà une attestation de cette idée chez Théophraste, qui résume ainsi l'enseignement d'Alcméon sur la perception visuelle :

Toutes ces sensations sont acheminées au cerveau selon un certain processus ; et c'est au cours de cette transmission qu'interviennent les altérations de la perception, quand le sujet bouge ou qu'il se déplace : car il y a alors compression des conduits par où passent les sensations.11

Une telle représentation, qui suppose des conduits creux véhiculant les atomes, le pneuma ou les esprits animaux, va influencer pendant longtemps la physiologie du système nerveux.

Hippocrate de Cos (né vers 460 av. J.C.) et Platon (428-348 av. J.C.) sont les seuls autres penseurs de l'antiquité grecque à soutenir que le cerveau est l'organe central de la pensée12. Pour Aristote, c'est le coeur qui tient lieu de sensorium commune, « siège des sens internes où aboutissent les informations sensorielles venues des cinq sens et où s'élaborent les images13 ». Le cerveau n'est selon lui qu'un organe secondaire où le pneuma se refroidit. J. P. Changeux a tenté de justifier cette étrange théorie :

Aristote, comme Platon, ignore l'existence des nerfs, mais a observé les vaisseaux sanguins ainsi que leur convergence vers le coeur. N'est-ce pas là le moyen de mettre en relation la périphérie du corps avec l'organe de commande centrale ? Aristote constate aussi, ce qui est vrai, que le cerveau mis à nu est insensible à la stimulation mécanique, alors

Notons que l'opinion selon laquelle Alcméon aurait pratiqué la dissection ne repose, pour G. E. R. Lloyd, sur aucun fondement : « La principale indication citée pour la soutenir, écrit-il, est une référence à des recherches sur l'oeil trouvée dans le commentaire du Timée de Platon écrit par Chalcidius au IVe siècle de notre ère. Mais même si – comme Chalcidius peut le suggérer – Alcméon utilisa un couteau à cette occasion, il est presque certain que ce ne fut pas pour pratiquer une dissection de l'oeil, sans parler d'ouvrir le crâne pour étudier les structures en rapport avec l'oeil à l'intérieur du crâne lui-même, mais seulement pour extraire le globe oculaire et montrer que l'arrière de l'oeil est rattaché au cerveau. » (LLOYD, Geoffroy Ernest Richard, « Grèce antique : études sur l'esprit et les sens », in Le cerveau, un inconnu, 1993). Selon cet auteur, qui s'appuie essentiellement sur le Corpus hippocratique, il faut attendre Aristote pour trouver les preuves d'une pratique de la dissection qui ne soit pas seulement occasionnelle.

11 THEOPHRASTE (v. 372 - v. 287 av. J.C.), Du sens, 25-26 (Cité par DUMONT, op. cit., p. 220).

12 Pour Démocrite (460?-370? av. J.C.) et Anaxagore de Clazomènes (Ve siècle av. J.C.), la pensée n'est pas localisée uniquement dans le cerveau (BOUTON, op. cit., p. 14-15). Rappelons que Platon divise l'âme en trois parties, intellectuelle, irascible et concupiscible, et que c'est la première qu'il loge dans le cerveau.

13 BOUTON, op. cit., p. 16, note 25. Homère et Empédocle sont deux autres célèbres partisans de la thèse cardiocentrique.

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que le coeur, lui, l'est. Enfin, il n'existe rien qui ressemble au cerveau (des vertébrés) chez les animaux sans vertèbres : vers, insectes ou crustacés. Aristote juge ces observations suffisantes pour abandonner la doctrine platonicienne.14

De plus, si l'on en croit Ch. Bouton, la Grèce antique connaît beaucoup plus de partisans de la thèse cardiocentrique que de la thèse cérébrocentrique. Cette situation peut être expliquée de la manière suivante :

La prééminence du coeur sur le cerveau procède, en profondeur, des représentations de l'imaginaire collectif. Le coeur est spectaculairement l'organe de la vie, son arrêt marque la mort et ce sont les accélérations de ses battements qui traduisent le plus nettement les sensations et les sentiments humains.15

Malgré les observations d'Hérophile et d'Erasistrate16, malgré les critiques de Galien17, la thèse aristotélicienne perdure au moyen-âge. En vérité, la cohérence interne du discours et l'autorité de l'énonciateur importent plus que l'adéquation aux réalités anatomiques ou physiologiques. C'est ainsi qu'Avincenne (980-1037), compilateur de textes empruntés à la tradition médicale grecque, se fonde encore sur l'infaillibilité d'Aristote pour défendre la position des cardiocentristes.

14 CHANGEUX, op. cit., p. 16.

15 Ibid., p. 33.

16 Hérophile (vers 300 av. J.C.) et Erasistrate (vers 260 av. J.C.) sont deux savants anatomistes d'Alexandrie qui ont bénéficié de la protection d'un prince éclairé, Ptolémée Ier, lequel autorisa sous son règne la dissection de cadavres humains. Tous deux défendaient la thèse cérébrocentrique. Comme l'écrit G. E. R. Lloyd, « alors que les théoriciens antérieurs avaient vaguement parlé de canaux ou de pores comme des voies par lesquelles étaient transmis les sensations et les mouvements, et que le terme de neuron avait été appliqué indifféremment à ce que nous appelons les tendons et aux nerfs, Hérophile et Erasistrate identifièrent les nerfs en tant que tels et commencèrent à en établir une classification, distinguant par exemple les nerfs sensoriels et moteurs. » (LLOYD, art. cit., p. 555) Erasistrate, avec une intuition remarquable, déclara qu'il existait un rapport entre le développement de l'intelligence et la complexité des circonvolutions cérébrales. Les travaux de ces anatomistes nous sont connus notamment grâce aux textes de Rufus et de Galien. Selon J. P. Changeux, «il faudra attendre le XVII e siècle en Europe pour dépasser ce niveau de connaissance anatomique du cerveau humain » (CHANGEUX, op. cit., p. 17).

17 « A son tour, Galien croit apporter des preuves irréfutables qui font du cerveau l'organe de la pensée. A l'occasion d'une controverse où il s'opposait à l'opinion d'Erasistrate selon laquelle les artères contenaient de l'air ou des esprits, Galien est conduit à montrer que tandis qu'une pression exercée sur le coeur ne rendait pas un animal insensible et privé du mouvement, une pression sur le cerveau produisait ces effets. Par conséquent, les masses les plus importantes d'esprit n'étaient pas dans le coeur mais dans le cerveau » (BOUTON, Op. cit., p. 33). Notons que Galien, chirurgien de gladiateurs, était bien placé pour connaître certaines conséquences des lésions cérébrales chez l'homme.

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En fait, on peut considérer que la substitution du coeur au cerveau, comme organe ayant une fonction centrale dans la commande du corps et dans l'activité mentale, brouillera les esprits jusqu'au XVIIIe siècle18.

Il reste que les théories cérébrocentriques elles-mêmes véhiculent une autre idée fausse, qui résistera à la perspicacité des savants aussi longtemps que le cardiocentrisme. La tradition enseignait en effet d'après Galien la théorie suivante, qui repose notamment sur la distinction entre le pneuma vital, principe de la vie animale, et le pneuma psychique, principe de la vie intellectuelle :

Le pneuma ou esprit est un fluide subtil, un souffle aérien qui, sans se confondre avec l'air, vient néanmoins de l'air. Il est aspiré par les poumons à chaque inspiration. Des poumons, il passe dans le coeur, grâce à la communication supposée des bronchioles avec certains vaisseaux (nos veines pulmonaires) qui le portent dans le ventricule gauche, lequel l'élabore et le transforme en pneuma vital ou esprit vital. Ce pneuma ou esprit vital n'est pas en réalité du pneuma pur et simple ; c'est un mélange de pneuma et de sang [sang passé du ventricule droit dans le ventricule gauche par les pertuis imaginaires de la cloison intraventriculaire].19

Quant au pneuma psychique, il est issu de la transformation d'une part de pneuma vital qui monte aux carotides internes et aux artères vertébrales. Cette transformation de pneuma en pneuma psychique a lieu dans le rete

mirabile, réseau vasculaire situé à la base du crâne20.

Mais avec Vésale et Berengario Da Carpi, au XVIe siècle, la physiologie pneumatique du système nerveux semble atteinte dans ses principes constitutifs. Vésale, en dépit de sa fidélité à Galien, dut avouer qu'il n'avait jamais pu observer les pertuis par lesquels le sang devait suinter du ventricule droit au ventricule gauche21. Et si le sang ne passe pas dans le ventricule droit, le pneuma vital est ruiné dans son principe puisqu'il était supposé résulter d'un mélange de pneuma et de sang dans

18 Cf. CHANGEUX, op. cit., p. 18.

19 SOUQUES, A., «Les connaissances neurologiques de Galien», p. 320, in Rev. Neurol., I, n°3, mars 1933, p. 297-340.

20 Hérophile, malgré ses dissections sur des cadavres humains, est le premier à avoir prétendu observer ce rete mirabile - qui n'existe pas chez l'homme.

21 Dans sa deuxième édition du De humani corporis fabrica, en 1555, Vésale écrit : « Aucune de ces fosses, qui pourtant sont bien visibles, ne pénètre du ventricule droit dans le gauche, pour autant qu'on puisse le percevoir par les sens» (Cité par RULLIERE, R., «La cardiologie jusqu'à la fin du XVIIIe siècle », in Histoire de la médecine, de la pharmacie, de l'art dentaire et de l'art vétérinaire, 1978, p. 289). Notons que les historiens de la médecine ne sont pas toujours clairs sur cet apport de Vésale.

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ce même ventricule22. D'autre part, en 1522, Berengario Da Carpi affirma que chez l'homme, le rete mirabile n'existait pas. Vésale comprit l'origine de l'erreur: Galien n'avait jamais disséqué de cadavres humains ; il avait décrit le cerveau d'un bœuf, non celui d'un homme. L'élaboration du pneuma psychique devenait ainsi doublement impossible23.

Pourtant, au XVIIIe siècle, on trouve encore incontestablement des traces de la physiologie pneumatique. Les travaux d'Antonj Van Leeuwenhoek (1632-1723), qui fut le premier à examiner du tissu nerveux au microscope, sont particulièrement révélateurs de cette influence profonde de la tradition au détriment de l'observation. Selon la théorie pneumatique (ou ventriculaire) fondée par Hérophile et Erasistrate et développée par Galien, les nerfs doivent être creux puisque c'est en eux que circulent les esprits animaux. Or Leeuwenhoek, pénétré de cette idée, constate en 1675 avec étonnement que les nerfs ne sont pas creux. Sans penser à mettre en cause l'hypothèse des esprits animaux, il en conclut que son expérience était mauvaise. Il reviendra à maintes reprises sur la même question. Et en 1717, plus de quarante ans après sa première expérience, il croit enfin avoir trouvé la preuve qui confirme le fait que les nerfs sont creux24. Ainsi, quelles que soient ses qualités ou sa précision, l'observation se révèle inapte à vaincre les préjugés. Bien au contraire, ce sont eux qui orientent le regard. La physiologie pneumatique ne sera réellement détrônée qu'après la découverte de l'électricité animale.

Toutefois, la préhistoire de la neuropsychologie ne se réduit pas à l'accumulation de méprises théoriques. Dès le moyen-âge en effet, mais surtout à partir du XVIe et du XVIIe siècles - où l'anatomie du cerveau progresse considérablement –, certains problèmes apparaissent sous des formulations comparables aux formulations modernes. Nous en mentionnerons deux, les plus importants pour notre propos : le problème des localisations cérébrales et le conflit entre dualisme et monisme.

Pour Galien, comme nous l'avons vu, le pneuma psychique qui circule dans les nerfs est principalement stocké dans le cerveau - ou plus précisément dans les ventricules cérébraux -, après son élaboration dans

22 Rappelons que la découverte de la circulation du sang par Harvey date de 1628.

23 L'anatomie du cerveau a progressé au XVIe siècle non seulement grâce aux travaux de Vésale et de Berengario Da Carpi, mais aussi grâce aux descriptions de Léonard de Vinci, de Varole et de Fresnel (cf. CHANGEUX, op. cit., p. 19).

24 Sur Leeuwenhoek, cf. BOUTON, Op. cit., p. 87-88, 93, 103, 139, 215 ainsi que CHANGEUX, op. cit., p. 35-36.

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le rete mirabile. Bien qu'il ait proposé une subdivision de l'âme en trois facultés (motrice, sensible - qui inclut les cinq sens -, et raisonnable), Galien s'est toutefois gardé d'assigner à chacune de celles-ci une localisation particulière dans le cerveau1. J. P. Changeux nous le rappelle, ce sont les Pères de l'Eglise primitive, Némésius, évêque d'Emèse, et Saint-Augustin, qui ont franchi ce pas, aux IVe et Ve siècles, sans pour autant avoir fourni de nouvelles observations :

Ils logent ces trois facultés respectivement dans les ventricules antérieur (imagination), moyen (raison) et postérieur (raison). Simpliste, ce schéma présente néanmoins l'intérêt majeur d'assigner à des régions discrètes du cerveau des fonctions spécialisées.2

Ainsi apparaît la première formulation du principe des localisations cérébrales, principe qui sera redécouvert au XIXe siècle par Gall - à cette différence près qu'il s'appuiera désormais sur une topographie externe et non plus interne du cerveau3.

C'est au XVIIe siècle qu'apparaît avec Descartes une première théorie dualiste des relations entre les fonctions psychiques, l’âme (res cogitans) étant conçue comme ayant une nature différente de celle du corps (res

cogitans). Précisons tout d'abord que le mécanisme cartésien interdit la

survie de l'opposition entre pneuma psychique et pneuma corporel. Descartes reprend l'appellation traditionnelle d'esprits animaux équivalente à celle de pneuma, mais ceux-ci sont pour lui de nature corporelle : « Car ce que je nomme ici des esprits ne sont que des corps » (Passions de l'âme, art. 10). Toute l'anatomo-physiologie du système nerveux repose ainsi chez Descartes sur la circulation de ces esprits animaux considérés comme des corps de très petite taille. La connaissance du corps peut alors être médiatisée par l'interposition du modèle de la machine, à laquelle peuvent s'appliquer les lois de la physique. Quant à la relation entre l'âme4 et le corps, elle s'effectue grâce grâce à la glande pinéale, dont Descartes ne donne pas une topographie

1 Cf. CHANGEUX, op. cit., p. 19.

2 Ibid.

3 Notons toutefois que l'ancienne théorie des localisations ventriculaires a été transmise par de nombreux dessins et gravures jusqu'au XVIIe siècle. Les illustrations les plus connues, et presque systématiquement reproduites dans les ouvrages qui traitent de l'histoire des localisations cérébrales, sont le diagramme de Robert Fludd, paru dans Utrisque cosmi maioris scilicet et minoris metaphysica...(Francfort, 1619-1621) et une gravure de Johannes Romberch de Kyrspe, extraite de son Congestorium artificiose memoriae (Venise, 1520). Sur ce point, cf. CHANGEUX, ibid.

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très précise1. En traversant cette glande, les esprits animaux la font se mouvoir et peuvent ainsi affecter l'âme. Inversement, l'âme a la faculté d'agir sur le corps par l'intermédiaire de la même glande qui, agitée par l'action de l'âme, entraîne le mouvement des esprits animaux :

Toute l'action de l'âme consiste en ce que, par cela seul que l'âme veut quelque chose, elle fait que la petite glande, à qui elle est étroitement jointe, se meut à la façon qui est requise pour produire l'effet qui se rapporte à cette volonté.2

Pourquoi Descartes a-t-il choisi la glande pinéale comme « principal siège de l'âme » ? Tout d'abord parce que sa petite taille et sa position centrale dans le cerveau où elle est suspendue font qu'elle est très facilement associée aux mouvements des esprits animaux dans les ventricules. Mais aussi parce qu'il n'existe qu'une seule glande pinéale, alors que toutes les autres parties de notre cerveau sont doubles :

[...] D'autant que nous n'avons qu'une seule et simple pensée d'une même chose en même temps, il faut nécessairement qu'il y ait quelque lieu où les deux images qui viennent par les deux yeux, où les deux autres impressions qui viennent d'un seul objet par les doubles organes des autres sens se puissent assembler en une avant qu'elles parviennent

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