• Aucun résultat trouvé

Temps et économie animale, le Docteur Retz face aux forces du ciel

A en juger par les conclusions de M. Macquer, auteur de l’article du Journal des

savants117, le mémoire du docteur Retz118 (décrit comme « médecin à Arras », puis comme

« médecin instruit et éclairé »119 par l’auteur de l’article) ne semble pourtant pas faire l’unanimité. Toutefois, il réussit tout de même à soulever des prétentions quelque peu analogues à notre intérêt. En effet, il effectue - même si ses conclusions sont jugées farfelues par Macquer - vingt huit années de relevés météorologiques aux Pays Bas, et en déduit des analogies entre les variations climatiques, les différents vents et l’état de santé des Hommes. De plus, ce mémoire répondant à un concours académique (« Décrire la température ordinaire des saisons, des Pays-Bas, & en indiquer l’influence, tant sur l’économie animale que végétale ; marquer les suites fâcheuses que peuvent avoir les changements notables dans cette température […] ») a remporté le prix de l’Académie Royale et Impériale de Bruxelles. Il fait partie de productions importantes pour les débats scientifiques sur l’invisible influence de la nature sur la vie. Une grande partie de l’article critique les méthodes de relevés et de moyennes du mémoire, mais il y a tout de même quelques annotations sur des résultats et des théories pour le moins intéressantes.

       

117 Macquer, « Météorologie appliquée à la médecine et à l’agriculture », in Journal des savants, Juillet 1780, pp.

493-504. 

118 Retz, Météorologie appliquée à la médecine et à l’agriculture, chez J.B. Carron fils, imprimeur du roi, Paris,

Amiens, 1779. 

Tout d’abord il aborde l’effet des vents sur la santé. Le vent d’Est, bénéfique en été, rendrait l’Homme mou et en état d’énervement constant. Celui de Sud-est influencerait les comportements, rendant triste, mélancolique, dur et querelleur. Le vent du Sud exacerbe les humeurs120 et leur « dilatation » quand il est sec et des fièvres « catharrales, vermineuses et putrides » ainsi que la coqueluche aux enfants, quand il est humide. Par contre, le vent de Sud-ouest serait bon pour la santé, et celui d’Ouest ne serait dangereux que pour les malades car il aggraverait les maux. Enfin, c’est le vent du Nord qui serait le plus saint car engendrant dans ces régions des beaux jours121. Aussi étrange que cela puisse paraître au prime abord, il faut rappeler que ces théories sont basées sur les critères expérimentaux de la science de l’époque. Ainsi, le Docteur Retz tente de prouver que le vent, pourtant invisible dans sa constitution propre, crée des effets visibles sur la santé humaine. Il admet par là que des forces en présence influencent le fonctionnement de la vie sans que le savant ne puisse totalement le prouver de visu. La philosophie du principe vital de Barthez est une composante de ces sciences invisibles qui n’ont pour base que des observations externes. Toutefois, le traité de Retz, en informant des dangers de certains vents, place l’Homme en position d’action et non de passivité, contrairement au principe vital qui agit de lui-même.

Mais, le vent n’est pas le seul facteur de dérèglement. L’atmosphère influe également sur l’économie animale, et l'« excès de légèreté » - autrement dit la dépression de l’atmosphère - entraînerait systématiquement des « apoplexies, des épilepsies, & des morts subites », alors que les fortes pressions ou « excès de pesanteur de l’atmosphère », engendrerait, aux Pays-Bas, « des asphyxies, des épilepsies, et des mort subites »122. Ainsi, la pression est telle que le ciel et la Terre elle-même influencent l’état de santé des individus. Des situations de dérèglements atmosphériques entraînant des maux graves et même la mort de certains sujets. C’est un constat assez alarmiste de la puissance de la nature s’imposant à l’être humain et à son intégrité physique. M. Retz ajoute dans sa démonstration que tous les maux engendrés par les variations atmosphériques sont observables directement pendant les périodes de dérèglement, et sont exclusifs à ces périodes. Il se justifie ainsi et évite de paraître piètre expérimentateur. Il tente d’énoncer des résultats de vingt-huit ans d’observations catégorisées en une soixantaine de segments d’analyse, Macquer appuyant cette méthode et parlant même de « preuves des plus concluantes que les observations puissent fournir. »123

       

120 Il faut considérer humeur comme un mauvais état de santé, et non comme un état psychologique comme on

l’entant aujourd’hui.  

121 Macquer, op.cit., Journal des savants, p.498.   122 Ibid., p.502. 

Mais ce n’est pas tout. Un dernier facteur est à prendre en compte selon le docteur Retz : celui du climat. La chaleur occasionne des maladies inflammatoires, et le froid des inflammations lymphatiques. Certains facteurs pouvant aussi jouer de paire, la sècheresse du vent ou sa trop grande humidité, puis chaleur et humidité, pression et climat, etc. Tous les maux du corps sont aggravés par la variation climatique et atmosphérique, mais une grande pluralité des changements et des vents créerait un climat défavorable aux épidémies, rares selon le Docteur. L’article se termine par une citation des conclusions de Retz énoncées en plusieurs points et expliquant les nombreuses maladies et aggravations causées par les forces invisibles de la nature124.

Enfin, une révélation intéressante montre que Retz se place dans la continuité des théories universalistes de nos auteurs car il attribue ces mouvements atmosphériques à des « altérations de l’air » directement causées par : « des pluies, des vents et de la matière électrique »125. Une fois encore, l’électricité invisible et volatile influence la nature et l’humain. Ici, la matière électrique devient une des conditions des variations atmosphériques qui font, bien entendu, la pluie et le beau temps sur Terre. On admet par là que des forces invisibles agissent sur les états visibles et observables de la nature. De plus, grâce à ce mémoire, la communauté scientifique s’insère dans une forme de médecine innovatrice qui prend en compte des éléments nouveaux qui ne placent plus la maladie comme conséquence des dérèglements de l’âme, ou l’épidémie comme une punition divine. Retz est très clair, les Pays-Bas ne sont pas soumis aux épidémies grâce à leur climat, rien de plus. C’est un double de mouvement de désacralisation de la maladie et de désacralisation de forces naturelles, invisibles certes, mais non divines. On peut donc lutter en connaissant son environnement et en se prémunissant des dangers qu’occasionne la nature.

Le vivant est rattaché à des forces nouvelles, des forces que les savants du XVIIIe siècle commencent à découvrir et à appréhender. L’invisible est une notion admise, mais les affections de l’âme ou la punition divine ne rentrant plus en jeu, il faut trouver de nouvelles façons de voir le monde et la nature des connexions entre le vivant. L’Humain et les invisibles matières flottent dans l’air et influencent la vie.

Toutefois, l’Homme n’est pas que passif devant ces nouveaux éléments médicaux. L’électricité, force naturelle et invisible, est depuis longtemps domptée par les savants. Une nouvelle force engendre une nouvelle façon de faire de la médecine. Le renouvellement des

       

124 Ibid., p.504.  125 Ibid., p.503. 

sciences physiques a permis aux savants de diversifier leurs connaissances et de les réunir pour servir la santé des Hommes. Des physiciens-médecins, de nouveaux médecins qui dispensent et prêchent une nouvelle façon de soulager les maux - bien loin des herboristes et des apothicaires - apparaissent. La médication devient scientifique et physique. L’Homme devient le cobaye, branché et conducteur d’énergies nouvelles peut-être miraculeuses.

Chapitre V