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Physique, machines électriques et commerce dans le Paris de

Le matériel est une des conditions sine qua non à la bonne tenue d’expériences de toutes sortes, et en particulier pour celles concernant l’électricité qui nécessitent des manipulations toutes particulières. Mais bien entendu, ce matériel et ces machines ont un coût et nombreuses sont les enseignes profitant de ce coût scientifique pour créer un marché des instruments. Et notamment le marché parisien dont Faujas nous livre témoignage et nous permet d’en appréhender quelques aspects et les façons de faire commerce dans ce Paris en effervescence intellectuelle et scientifique.

Le cinq décembre, Faujas visite au Palais Royal un marchand de machines électriques nommé Syken vendant, dit-il : « une superbe machine électrique à cylindre de verre de Londres donnant des étincelles à 16 pouces de distance, elle coûte mille francs du moins il en demande cette somme »84. Une indication très intéressante sur le prix fixé par ce vendeur qui semble renommé du fait de sa situation géographique : il est en effet - d’après le texte - installé au « Palais Royal », ce qui lui permettrait de toucher la clientèle la plus aisée de Paris, voire du Royaume tout entier. Pourtant, Faujas semble sceptique sur le bien fondé du prix de cette machine car il rectifie les termes « elle coute » par un « du moins il en demande cette somme », on peut par conséquent se demander si ce prix est une réalité du marché en vigueur ou un prix déraisonnable destiné à satisfaire une clientèle de prestige peu regardante. L’indication du prix de vente reste cependant assez floue car elle reste l’unique mention

       

82 Ibid., p.108.   83 Ibid., p.110.  84 Ibid., p.82. 

présente dans tout le voyage. Néanmoins, la qualité des instruments semble convenir à notre Drômois qui deux jours plus tard revient sur les lieux : « J’ai fait des emplettes en outre une petite machine électrique de poche en verre bleu et ses accessoires pour 9 #. »85 Encore une fois, le prix est précisément indiqué dans cet exemple, mais il ne permet pas de faire des jugements trop tranchés, et on est encore loin de cerner la réalité d’un marché qui semble relativement étendu et internationaliste. En effet, Syken semble vendre des appareils anglais, d’autres vendeurs cités montrent des confrères venus de toute l’Europe.

Le vingt décembre 178286, Faujas et son fidèle compère physicien le Duc de Chaulnes se rendent, au sortir d’une vente aux enchères d’objets d’art exotiques, chez un physicien faiseur et vendeur de machines électriques : « nous sommes allés avec Le Duc de Chaulnes dans la rue St Honoré chez M. Bianchi Physicien qui a de très beaux instruments qu’il vend.» Ici un autre indice est présent : ce monsieur Bianchi est présenté comme physicien, ce qui n’est pas le cas de Syken. On peut en déduire que certains scientifiques utilisent leurs pratiques à des fins autant savantes que marchandes, et se servent de ces ventes d’objets pour leurs propres recherches. Il est à noter que la dureté et le cynisme de Faujas envers les faux scientifiques est révélatrice du niveau des gens croisés sur son chemin, et si ce physicien est reconnu comme tel c’est que le duc et Faujas lui accordent un certain crédit. On peut alors se demander si des savants, peut-être moins aisés, jouent sur les deux tableaux de la science et du commerce. De plus, cet homme est complimenté sur la qualité des produits qu’il propose : « des plateaux électriques d’un verre bleu foncé qui paraissent excellents » ; « j’ai vu des cannes qui forment des espèces de paratonnerres forts ingénieux et très propres à faire des expériences électriques sur les atmosphères ce qui peut être fort utile pour ceux qui voyagent sur les montagnes. » Des instruments de cabinet, mais également de plein air qui semblent ravir ces savants.

Un troisième lieu est cité le trente et un décembre 1782, jour durant lequel Faujas se rend chez « le sieur Mortier faiseur d’instruments de physique »87. Il n’est pas fait mention de « physicien » dans cet exemple, mais d’une dénomination plus artisanale qui se précise : « j’ai trouvé que cet artiste étoît encore moins cher que Connuchi ». Trois informations sont ici des plus intéressantes : tout d’abord, Mortier est présenté comme un artiste, ce qui démontre un certain savoir-faire et la qualité de ses articles, mais le terme « artiste » montre également la distinction que fait Faujas entre Bianchi d’un côté, et Syken et Mortier de l’autre. On retrouve

       

85 Ibid., p.82.  86 Ibid., p.87.  87 Ibid., p.93. 

la distinction entre savant et non savant qui court dans tout ce journal. On peut ainsi isoler trois catégories de vendeurs : Skyken, qui propose des machines étrangères ; Mortier, décrit plus comme un artisan fabriquant des machines dans un but commercial ; et Bianchi, tout de suite étiqueté physicien, et qui semble jouer sur les deux tableaux. On voit également apparaître un nouveau revendeur du nom de Connuchi ; toutefois il n’est plus cité à nouveau dans le journal et le seul indice concernant ce dernier est l’étonnement qu’a Faujas de Saint- Fond pour les prix étonnamment bas de Mortier, on peut donc supposer que Connuchi devait être connu pour l’attractivité de ses prix. Enfin, l’auteur conclut ce passage en détaillant ses achats : « je lui ai acheté un petit carillon électrique et je lui ai commandé une lampe à air inflammable pour le prix de 48 # plus un endiomètre de Volta pour 3 Louis. »88 Voila donc ce que l’on peut supposer être des prix relativement bas sur le marché des instruments scientifiques en physique et en chimie. Mais encore une fois il ne faut pas se précipiter vers des conclusions trop hâtives et rester sensible à une vision des prix conditionnée par un certain niveau de vie, et ce, même si Faujas ne se gênait pas pour critiquer certains fastes de cour et la déraison de certains prix dans les ventes aux enchères d’arts exotiques.

Le commerce des instruments scientifiques semble donc faire partie d’un marché relativement étendu qui ne se limite pas à une ou deux enseignes. La concurrence semble aussi être présente et le client qu’est Faujas ne cesse de s’émerveiller devant les nouvelles trouvailles qu’il réalise. Pourtant, c’est sur les prix de vente des instruments que les informations deviennent pratiques et explicatives des situations économiques des sciences. Il est bien entendu que tout matériel à un coût, ne serait-ce que celui des matières premières, et ce, surtout en chimie ou l’on brûle et fond ces dernières. En physique électrique, le prix semble être fonction des matières utilisées et de la qualité du verre, la capacité à créer des aigrettes lumineuses si prisées par les démonstrateurs. Si Syken demande tant pour une machine déjà montée, il doit bien entendu avoir un argument de vente : les aigrettes de seize pouces, bien visibles à l’œil nu. Chez Bianchi, c’est le verre qui prime. Et cher Mortier, la qualité de la réalisation semble ravir Faujas.

Barthélemy Faujas de Saint-Fond, minéralogiste, géologue, chimiste et physicien à ses heures, est une incarnation du savant de l’époque moderne. Des hommes dont l’érudition peut nous sembler démesurée, et qui leur permettait de converser et de relier leurs savoirs dans un

       

tout savant que l’on appelait la République des sciences. Ces gens de science sont des curieux s’intéressant au monde dans son ensemble. On l’a vu avec Lavoisier, le cloisonnement n’est pas encore effectué. Néanmoins, ce journal montre également comment ces savants appréhendaient les sciences.