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La baguette divinatoire de Bleton, un sourcier grenoblois au cœur du Journal des Savants

  Bleton, ou Bléton229, est d’après Robert Darnton un sourcier issu des mêmes théories

mesmériennes.230 Il prétend trouver des sources d’eau au moyen d’une baguette qui - par communication du magnétisme ou du principe général (de Mesmer) - le fait légèrement convulser, et dans le même temps fait tourner sa baguette de métal entre ces doigts. Faujas de Saint Fond débat de ce curieux personnage le 21 Août 1782 lors d’une conversation avec le marquis de Condorcet :

« il m’a beaucoup parlé de Bleton, ayant assisté à une de ces expériences sur un sapin. […] je n’en ai jamais douté que M. Thouvenel est un fanatique et Bleton un imposteur. Comme il a été découvert sur l’article de la baguette, elle ne lui tourne plus dans ce moment … »231

Faujas toujours très sarcastique quand il s’agit de scientifiques douteux, paraît faire allusion à une lettre écrite le 26 juin et publiée dans le Journal des Savants d’Août de cette même année232.

De la Lande introduit Bleton comme « né dans un village près de Grenoble »233, et se réclamant sourcier. Il commence à « courir les campagnes » et se forge une solide réputation. Démasqué - dit la Lande - à Dijon et à Nancy, il continue pourtant son périple grâce à un fort

       

229 Les deux orthographes ont été vues pour cette même personne, avec un accent dans l’ouvrage de Robert

Darnton, p.110 et dans le journal de Faujas de Saint Fond, p.17.

230 Robert Darnton, op.cit., p.110.

231 Barthélémy Faujas de Saint Fond, op.cit., p.17. 

232 Joseph Jérôme Lefrançois de La Lande, « Lettre sur la baguette divinatoire », in Journal des savants, 

Paris, août 1782, pp.558 à .   

soutien. Comme avec Mesmer, Bleton rencontre un médecin décrit comme « connu, & estimable sans doute, qui, peu accoutumé à examiner les charlatans, regarda comme extraordinaires les mouvements de Bleton et de sa baguette »234. Ce médecin n’est autre que M. Thouvenel à qui Faujas ne semble pas accorder autant de crédit que la Lande.

Thouvenel, quant à lui, publie un ouvrage sur des analogies entre le magnétisme, la

baguette de Bleton et l’électricité ; paraissant dans les Nouvelles Littéraires de 1781235. Il se fait alors le premier défenseur du sourcier. C’est en septembre de la même année que le

Journal des savants, par la plume de Macquer, décortique de façon très critique ce

mémoire236. Divisé en trois parties, il commence par des rappels sur la prudence en physique, mais en y excluant les sourciers qui selon lui sont des liens entre le système animal et la terre.

Il décrit cette méthode comme « boussole hydrométrique »237. D’après Thouvenel, les

sourciers seraient dotés de dons particuliers qui permettraient aux fluides électriques, magnétiques et d’autres plus subtils, de passer en eux et de les aider à être réceptifs. Il compare cet état aux médecins par attouchement, en d’autres termes les magnétiseurs. Bleton, naît dans « une des Chartreuses du Dauphiné »238 est décrit comme « un pauvre paysan qu’on

assure n’être ni un imposteur ni un charlatan, & qui n’a certainement pas l’esprit d’être ni l’un

ni l’autre. »239 Un homme donc trop naïf pour être mauvais : c’est presque un enfant

prodigieux. Son don est découvert à l’âge de sept ans par le curé de sa paroisse après une crise de fièvre étrange et localisée. Cet état ne se manifesterait que si une source d’eau courante se trouve à proximité de lui, sans qu’il ne sache comment il put avoir une telle capacité. Thouvenel pense que cette capacité à trouver les sources est due au fait que le sourcier ressent l’électricité terrestre conduit par les courants souterrains. Mais Bleton n’est pas un cas isolé, et Macquer cite deux exemples d’autres sourciers contactés par Thouvenel pour étayer sa théorie. Toutefois, comme dans les exemples de thérapie mesmérienne, aucun nom n’est cité. Macquer s’étonne donc, non seulement de la théorie mais également que les justifications de Thouvenel ne soient pas vérifiables. Le doute sur la véridicité de ce don est prégnant dans cet article qui en quelque sorte entame une polémique qui s’apparente à celle existante entre mesmériens et académiciens.         234 Ibid.  235 Thouvenel, Mémoire physique et médicinal, montrant des rapports évidents entre les phénomènes de la  baguette divinatoire, du magnétisme et de l’électricité, Londres, 1781.   236 Macquer, "mémoire physique et médicinal, montrant des rapports évidents entre les phénomènes de la  baguette divinatoire, du magnétisme et de l’électricité », in Journal des savants, Paris, septembre 1782,  pp.623 à .  237 Ibid., p.623.  238 Ibid., p.624.  239 Ibid. 

La Lande, près d’un an plus tard, explique comment la polémique monte à partir de la publication de ce mémoire. Thouvenel fait monter le Dauphinois à Paris le 11 mai 1781240 pour le présenter à la communauté scientifique. Le 7 juin, il se rend chez M. Mongez où il est attendu pour y être piégé. Mongez raconte que Bleton « a trouvé le premier jour 53 sources […], et n’a pas reconnu nos canaux. »241 Pour prouver l’absence de véritables convulsions divinatoires, des savants dont M. Charles ont eu l’idée de placer Bleton sur un isolant au dessus d’un aqueduc. Bien entendu, le sourcier ne subit aucune convulsion communicative, toutefois M. Charles piège la galette isolante en y ajourant un élément de communication avec l’aqueduc. Il prouve par la même que les convulsions de Bleton et son tour de baguette ne sont qu’un prestige.

Le petit paysan fiévreux du Dauphiné réussit donc à s’attirer conjointement les éloges et les foudres de deux camps de scientifiques qui s’égosillaient déjà autour de Franz Anton Mesmer. Il trouve en effet des alliés dans les proches de Mesmer, comme le Dauphinois Joseph Michel Antoine Servan, qui - dans une lettre - semble ne pas être étranger à sa théorie. Bien que Faujas ironise sur le fait que sa baguette ne tourne plus dès l’été 1782, le sourcier réapparaît dans une source cinq années plus tard, et semble faire toujours des émules dans certains débats sur le principe général qu’énonce Mesmer dans ses ouvrages.

« Pour aller ensemble valider deux ou trois […] près d’un bacquet Orthodoxe…je ne vous dis rien de Bleton. Comme il est dauphinois Ainsi que vous et moi ; je ne désespère pas que nous ne puissions un Peu raisonner sur Bleton avec Bleton même. »242

   

       

240 Joseph Jérôme Lefrançois de La Lande, op.cit., p.560.   241 Ibid., p.561. 

242 J.M.A. Servan, Lettre à un correspondant inconnu, février 1785, bibliothèque municipale de Grenoble,

CHAPITRE VIII

Le Dauphiné terre de résistance : la pratique du magnétisme