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Mesmer contre les Académies : début des polémiques

Attribuant les cures traditionnelles au simple hasard, Mesmer allume un brasier de mécontentement chez des médecins déjà récalcitrants. Deslon, dans son ouvrage, ne manque pas d’attaquer les autres médecins depuis le début de sa relation avec le magnétiseur. Selon lui, les autres n’auraient pas la rigueur scientifique suffisante pour accepter la vérité : le magnétisme animal est une réalité. Deslon semble déçu par des académiciens qui ne reconnaissent pas cette solution salutaire universelle et perçoit cet immobilisme comme « un crime de négligence envers l’humanité. »197 Le Journal de médecine, toujours relativement bienveillant avec Deslon, accepte sa position et sa « sincérité » en la plaçant sous le signe d’une déception amère et une crainte du départ de Mesmer. Pourtant, le constat est là : Deslon attaque la base même de la médecine traditionnelle198.

Cet article comporte également la mention à une situation relativement atypique. Mesmer - pourtant en quête de reconnaissance - refuse de passer devant un jury pour obtenir un certificat officiel d’exercice qui pourrait lui permettre de promouvoir officiellement la pratique du magnétisme animal. Le Journal, sur un ton ironique, suggère un excès d’orgueil199 qui se traduit chez Deslon par une citation du Maître : « Ne suis-je pas moi-même un certificat mille fois plus authentique que tous les papiers ou tous les parchemins du monde. »200 Ainsi, Mesmer, en plus d’écraser sous son principe universel tous ces autres confrères médecins, de reléguer au rang de la simple chance des siècles d’évolution de la médecine, fait montre d’un grand mépris envers les institutions scientifiques en place.

       

197 Ibid., p.302.  198 Ibid., p.300. 

199 Ibid. : « Mais m. Mesmer peut avoir des singularités, ignorer les usages, avoir son propre système de

conduite ». 

Ben entendu, les académiciens ne souhaitant pas se laisser faire, une polémique s’installe autour de Mesmer et de ses disciples qui se multiplient. Robert Darnton fait état de cette polémique dans la seconde partie de son ouvrage avec le début de la radicalisation de ce mouvement. C’est cependant en 1784 que le point d’orgue est atteint avec deux événements que le Journal des Savants ne manque pas de souligner. Tout d’abord, en Octobre, le Journal

des Savants publie un article de l’Abbé Tessier reprenant les arguments d’un rapport écrit par

Thouret201 (présenté comme docteur régent de la faculté de médecine de Paris et membre de la société royale de médecine202). Ce mémoire et sa présentation dans le journal ont pour but d’exprimer des réserves plus que grandissantes et de critiquer le magnétisme animal, non pas sur des impressions faussées comme le dit souvent Deslon, mais sur des preuves et des exemples tangibles.

Premièrement, Thouret accuse Mesmer de n’être qu’un vulgaire plagiat, remettant sur le devant de la scène des théories vieilles de plus d’un siècle. Il cite entre autre Vanhelmont et Maxwell (des ressemblances jugées « palpables »203 par les auteurs), mais bien d’autres noms apparaissent, et l’auteur insiste sur la grande proximité avec Mesmer : « on entendoit par le mot magnétisme, absolument la même chose que m. Mesmer avec son magnétisme moderne »

204. Thouret expose ensuite, et de façon très technique et détaillée, la théorie des magnétismes

et comment cette utilisation en médecine est interprétée. L’auteur de l’article, l’abbé Tessier, s’étonne de cet immobilisme et ironise en disant qu’il est honnête de demander comment cent ans de théories identiques ont pu naître sans que Mesmer ait copié ses prédécesseurs205. Dans le domaine de la physique, les anciens adeptes du magnétisme parlaient de ce principe général capable de tous les exploits. C’est toutefois la médecine qui a été des plus touchées dès le début des âges magnétiques. Cet idéal de médecine tout à fait externe et universelle est selon m. Thouret :

« [Ce dogme] a servi de voile dans tous les temps aux imposteurs qu’on a vue paroître dans l’empire des Sciences, & surtout en médecine. »206

       

201 Thouret, Recherches et doutes sur le magnétisme animal, Paris, chez Prault, imprimeur du Roy, quai des

Augustins, 1784. 

202 Abbé Tessier, « Recherches et doutes sur le magnétisme animal », in Journal des savants, Paris, Octobre

1784, pp.653 à 662. 

203 Ibid., p.657.  204 Ibid., p.654.  205 Ibid., p.657.  206 Ibid., p.658. 

Ici le message est tout à fait clair : Mesmer est un imposteur qui succède à des générations d’imposteurs qui ont sévi et répandu des mensonges dans les sciences et la médecine :

« Toutes ces tentatives diverses, tant de fois renouvelées pour arriver à la médecine universelle, n’on été que des impostures vaines et ridicules. »207 Le savant sait donc reconnaître l’imposteur et - pour le bien commun - sait lui faire face. Thouret est très violent dans ces propos et accuse directement cette théorie de danger, prouvée et renouvelée au cours d’une histoire relativement longue.

Il expose ensuite en douze points des remarques sur les pratiques des magnétiseurs. Il les accuse souvent de réutiliser à leur avantage des procédés classiques mais détournés. Le douzième point a, lui, une importance capitale, car il expose brièvement l’effet d’imagination. Cette dernière serait à l’origine des convulsions et des effets du magnétisme animal chez le patient. La cure n’est en quelque sorte qu’une illusion. L’imagination fait office de base à la dénonciation du « magnétisme moderne » de M. Mesmer. Et à la fin de l’article est cité un extrait très virulent où Thouret fait sortir le fond de sa pensée et son amour profond pour la médecine et pour les Lumières. Il semble exécrer profondément cette nouvelle médecine qui se transforme sous sa plume en fléau moderne :

« Le savoir, les lumières, la connoissance du monde, ne sont pas toujours des préservatifs sûrs pour garantir des prestiges ou des écarts de l’imagination, ni des atteintes des empyriques & des Charlatans. Les gens de cette espèce ne respectent rien. 208»