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L’ouvrage pamphlétaire, une forme de contestation presque académique

Toujours adjacent à notre débat, il nous faut observer un autre type de contestation. Cette fois plus policé, il intervient directement après la publication du rapport contre le magnétisme. J.M.A Servan se présente ici comme un fervent défenseur de Mesmer et de ce magnétisme qui - selon lui - est le seul qui put guérir ses maux. Les conclusions des Académies sonnent par conséquent comme une atteinte à ce droit de vivre et d’être sauvé que les partisans du magnétisme revendiquent. Servan tente ici de faire la lumière sur tout le mode opératoire des Académies dans le but de montrer que leurs conclusions ne sont que de simples énumérations d’idées préétablies, sans fondements scientifiques. On retrouve en quelque sorte l’argumentaire de Mesmer lui-même.

La grande particularité de cet ouvrage, qui vient d’un certaine habilité rhétorique, est le fait que Servan tente de se placer en spectateur259, hors du jeu et des débats, mais soucieux néanmoins de faire éclater la vérité sur une affaire populaire. Bien sûr, Servan est un partisan de Mesmer, toutefois ce procédé est construit pour tenter de donner un ton neutre à son argumentaire. Le lecteur peu averti peut donc se faire prendre dans le piège de cette objectivité de façade. Un pastiche vite démenti par l’affirmation que le magnétisme l’a « soulagé » à l’instar de médecins académiques vus comme des :

« Empoisonneurs et des empoisonneuses, qui s’occupent à l’envie à écumer la pauvre race humaine ».260

Avant même de passer aux doutes, l’introduction de cet ouvrage est une attaque en règle contre les médecins, les académiciens, et en quelque sorte contre un certain ordre établi qui ne supporte pas d’être mis en concurrence. On retrouve facilement les différents arguments des partisans de Mesmer s’exprimant dans les journaux. Il présente comme eux les médecins comme des bourreaux, et les magnétiseurs comme des sauveurs venus soulager un peuple qui souffre.

S’en suit toute la série des fameux « doutes »261, qui expriment un certain manque de confiance dans les procédés d’expérimentation et d’objectivité262. Le contenu de cet ouvrage

       

259 J.M.A. Servan, Doutes d'un provincial proposés à MM. les médecins-commissaires chargés par le Roi de

l'examen du magnétisme animal, p.1 : « Je ne suis ni médecin ni mesmérien ». 

260 Ibid., 

reste toutefois, après relecture et réflexion, moins original qu’il paraît car l’argumentaire reste assez classique. Servan retranscrit de façon plus pure et policée les arguments de cette mouvance magnétique. Il rejoint par là même les différentes lettres, discours et ouvrages en faveur du magnétisme. Mesmer lui-même revient souvent sur les procédés d’expérimentation et sur cette douce « illusion » qui sauve des vies et soulage le peuple français.

Autre sujet intéressant dans cet ouvrage, le chapitre sur « la vraisemblance du magnétisme animal »263. Servan revient sur les flux magnétiques et les choses invisibles qui transcendent les êtres humains et les relient. Comme nous le verrons plus tard, Servan se défend de tout rapprochement avec un certain philosophe hollandais, à qui on donnait le sobriquet de « juif athée d’Amsterdam » ; pourtant, ce fluide universel magnétique rappelle bien cette autre « matière infinie et créant une infinité de choses »264, mais également tout ce terreau de réflexion tournant autour des fluides aériformes et de l’acceptation de l’invisible. Servan nous livre donc dans cet ouvrage une reprise des points du débat du côté des pros- Mesmer. Un ouvrage certes doté d’une rhétorique sans failles mais qui reste ancré dans les arguments du « Grand Maître » magnétiseur, sans vraiment apporter de nouvelles clefs de réflexions. Ainsi, on a encore une fois l’impression de relire le même discours, écrit différemment certes mais n’apportant pas de réelles innovations depuis les premiers discours et écrits de Deslon.

En plus de manier l’art de la rhétorique avec une grande aisance, Servan dans son combat contre les Académiciens, prend également sa plume dans un domaine connu pour son impact direct et violent : le pamphlet.

Dans un second opuscule d’une cinquantaine de pages265, Servan ironise sur toute une série de points montrés du doigt comme d’odieux préjugés. Il se sert d’un nom d’emprunt totalement farfelu et invente même une petite biographie tout à fait cocasse (qui n’est pas sans rappeler celle de Mesmer lui-même). Rhubardini de Purgandis, fraîchement sorti de la faculté de médecine, observe ce débat en toute naïveté et pose un certain nombre de questions directement aux académiciens, dans le but de savoir comment répondre aux vils mesmériens. Il est évident que se placer du point de vue d’un médecin a pour but de tourner en ridicule

      

262 J.M.A. Servan, op.cit. p. « Doutes. Sur ce que vous n'avez point voulu faire » ; « Doutes. Sur la manière dont

les expériences ont été faites » ; etc. 

263 Ibid., p.79 à 89 

264 Baruch Spinoza, Court traité de Dieu, de l'homme et de la béatitude, œuvre manuscrite vers 1660, première

publication Bohemer, 1852. 

265 J.M.A. Servan, Questions du jeune docteur Rhubardini de Purgandis adressées à MM. les docteurs-régents

ceux, qui comme Mr de La Condamine, se rient des exploits magnétiques. Les questions rejoignent vite les points soulevés dans les doutes, mais ils sont ici tournés en dérision ce qui permet de les rendre bien plus agréables à lire.

Servan recrée le débat, tout en restant dans le domaine de l’exagération. Mesmer, sorti d’une université de théologie, est taxé « d’exécrable athéisme », et que son « cœur pervers » est venu de Germanie pour « frapper touts croyances et toutes médecine », comme Luther avait frappé avant lui les braves chrétiens d’occident. On pourrait presque croire que Mesmer est l’antéchrist contre une médecine dite « fille du ciel ». C’est un ennemi de la médecine. Servan - bien qu’ironisant - revient sur les dernières lignes du rapport dans lequel les

Académiciens traitent du magnétisme animal comme d’une science dangereuse266. Une

dangerosité qui s’exprime dans le vocabulaire qu’emploie le jeune médecin dans son introduction. A travers ce jeune homme, il exprime tous les soubassements et les bassesses intellectuelles dont on fait preuve. Un rapport vu comme une expression d’un certain conservatisme voire même de concurrence entre les deux théories :

« Il a touché à l’Homme et à l’Homme malade qui est à nous, notre domaine, notre bien propre depuis quatre milles ans; comment supporter ce vol, cet attentat ! »267.

C’est cet attentat qui crée des querelles, voire une guerre idéologique entre ces deux partis : « les sophismes de nos ennemis ». Le ton très ironique de l’indignation du jeune médecin est une arme habilement maniée qui dénonce l’acharnement des académiciens à l’encontre de Mesmer. Ces sophismes, une contre-théorie, une fausse théorie faite par des ennemis dont il faut se débarrasser à tout prix. Il les qualifie même de créatures sataniques : « D’incubes, de succubes, de vampires » pour les magnétiseurs, et « d’acteurs » pour les convulsionnaires. Il va donc bien plus loin que l’image du charlatan classique ; en opposition aux Académiciens, bons chrétiens qui par la lumière de leur rapport chassent ce démon de Mesmer268.

L’humour comme arme de dénonciation est palpable dans cet opuscule qui reste néanmoins une attaque très virulente contre les commissaires. Toutefois, le front de soutien à Mesmer ne se limite pas aux écrits publics. Dans la sphère privée le débat fait également rage, et ce même si cette dernière s’exprime avec toute la courtoisie et la retenue d’un homme des Lumières.

       

266 Rapport des commissaires chargés par le Roi de l’examen du magnétisme animal, page 80.  267 J.M.A. Servan, op.cit., page 12.