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Teixeira : […] il aime bien venir chez moi il boit une bière et puis on discute un peu

Partie IV : Analyses des données

M. Teixeira : […] il aime bien venir chez moi il boit une bière et puis on discute un peu

M. Teixeira : […] il aime bien venir chez moi il boit une bière et puis on discute un peu

je :: je pense que c’est :: et puis en même temps il ramène sa feuille pour que je la remplisse quoi.

(Extrait 23, ImRe+2-3, lignes 756-776) La prise d’informations et la démarche de réponse à une demande administrative peuvent aussi se faire directement sur le lieu de l’administration. M. Ranier (Adcom-2), chargé de l’inscription des nouveaux habitants pour une commune, explique que le formulaire d’annonce est généralement rempli au guichet de l’administration communale. Or, ce n’est pas toujours le cas pour d’autres demandes. Ainsi, l’analyse des données fait ressortir un phénomène qu’il me semble intéressant de relever. La réception d’une demande administrative est envisagée par les enquêtés de façon bimodale, cependant la dimension spatiale de la construction de la réponse est quant à elle multimodale comme le montre la figure ci-après.

Figure 11. Présentation des différents lieux de réception d’une demande administrative (en noir) et des lieux de construction de la réponse à ces demandes (orange).

La demande administrative est un objet qui, selon moi et au vu des résultats, peut être, durant son traitement, en déplacement, passant d’un lieu à l’autre. Comme le montre la figure 11,

Bureau de l’administration/ guichet Au domicile de la personne immigrée de première génération Bureau de l’administration/ guichet

Dans un lieu correspondant à la personne ressource (domicile de la personne ressource ou institution)

Dans un lieu correspondant à la personne immigrée de

première génération (domicile, lieu de travail,

98 bien que les entretiens annoncent les lieux de réception de la demande comme bimodal, à savoir le bureau de l’administration ou le domicile de la personne concernée, les lieux de construction de la réponse à la demande administrative, eux, peuvent se diversifier. Ainsi, les flèches établies dans la figure 11 représentent schématiquement les déplacements énoncés dans les entretiens. Il est également intéressant de constater qu’une demande reçue au niveau d’un guichet de l’administration semble souvent être traitée directement sur place (Adcom-2, Adcant-11). Il y a, ainsi, une notion d’immédiateté qui semble plus prépondérante dans ce cas de figure. Le schéma tiré de l’analyse des données peut laisser paraître également que l’enquêté, recevant sa demande à la maison, pourrait avoir davantage de possibilités dans les stratégies de réponse à la demande. Cela peut s’expliquer entre autre, et c’est une hypothèse que je fais, par le fait que la personne est inscrite dans plusieurs groupes ou sphères d’activités qui font que plusieurs possibles s’offrent à elle (Aebischer et Oberlé, 2012). J’utilise ici le conditionnel, car il me semble clair que ces possibles ne dépendent pas uniquement de cette dimension spatiale, ni du potentiel que la demande comporte en elle d’être en déplacement, mais bien également de choix et de stratégies que met en place la personne pour répondre à celle-ci. Par conséquent, cela peut, à mon avis, jouer un rôle dans les mobilisations des ressources et dans les stratégies volontaires ou non de réponse à la demande. Lors de l’entretien Re-5, Mme Béglin me présente le cas d’une maman qui a reçu à son domicile, de la part de l’administration, le formulaire de placement de son enfant dans une école spécialisée. Munie de ce formulaire, cette dame s’est rendue à l’institution pour laquelle Mme Béglin travaille afin d’obtenir de l’aide. Ils ont pu fixer plusieurs rendez-vous afin que Mme Béglin, certes, aide à remplir le formulaire, mais surtout explique les enjeux d’une telle demande. Ainsi, la demande a été reçue au domicile de la personne qui l’a apportée dans l’institution où travaille Mme Béglin pour être remplie. Dans un troisième temps, Mme Béglin m’explique qu’une fois le formulaire complété par ses soins, elle l’a remis à la dame pour que celle-ci en discute avec son mari et appose sa signature. La réponse à la demande se finalise ainsi chez l’usagère. Cet exemple est assez marquant, selon moi, car il est possible de s’imaginer que la situation aurait été sans doute différente si lors d’une entrevue à l’administration auprès du Service de l’enseignement, ce couple avait reçu le formulaire. La stratégie aurait été différente, le temps à disposition aurait été différent et surtout le cadre général de discussions relatives à la demande aurait été différent. Mon but n’est pas ici d’établir laquelle de ces situations est la plus adéquate pour la personne, mais de noter, selon ce que les analyses semblent montrer, que la dimension spatiale de la demande, indépendamment de sa forme ou de son contenu va influencer le processus de construction de la réponse.

Me basant sur les études menées par Bonetti (1993) quant aux espaces et aux habitats comme bricolages imaginaires, je me permets d’émettre l’hypothèse que l’étape de transmission de la demande administrative peut jouer un rôle sur la détermination même de la stratégie que la personne immigrée de première génération peut mobiliser pour y répondre. En effet, Bonetti (1993) explique que les espaces et les lieux ne sont pas des objets inertes et vides de sens.

Bien que chacun transporte d’un lieu à l’autre ses façons d’agir, ses valeurs, ses sentiments et ses pensées profondes, ses conduites sont influencées par l’espace dans lequel elles se déploient, elles s’actualisent de manière spécifique selon les lieux qui leur servent de cadre. (Bonetti, 1993, p.16)

En observant ces résultats, il est possible d’avancer que la demande administrative comporte en elle une potentialité à être déplacée dans l’espace et que ce dernier peut, en étant porteur d’un certain cadre, influencer les conduites de l’usager ainsi que sa « stratégie » de mobilisation des ressources et de construction de la réponse. Cette hypothèse fait échos aux réflexions de Perret-Clermont (2001) quant à l’espace de pensée. Bien que cette auteure se détache un peu de l’aspect physique du concept d’espace, elle met en avant que toute situation se trouve être placée dans un cadre.

99 En effet, le cadre a notamment des limites de lieu, de temps, et donc des règles qui définissent les frontières et qu’il faut respecter. Celles-ci ont alors des effets structurants sur la relation et sur le processus de communication et, en conséquence, sur le développement personnel. (Perret-Clermont, 2001, p. 75)

Bonetti (1993), donnant un ancrage plus physique à la notion d’espace rejoint cependant l’idée proposée de Perret-Clermont (2001) en notant que les espaces ont une histoire, des significations qui dépendent de leur conception, mais qu’ils donnent également la possibilité à chacun d’y projeter le sens qu’ils y donnent. Ainsi, l’espace est un lieu de bricolage où se rencontrent des limites physiques – spatiales mais également temporelles-, des règles, des significations partagées mais également les éléments de sens propre aux personnes qui l’occupent le temps d’une situation donnée. Tous les espaces cependant ne favorisent pas le développement de la pensée. Consécutivement à ce constat, il est essentiel, selon moi, de tenir compte du lieu de réception de la demande. Aebischer et Oberlé (2012) explique notamment que certains lieux ainsi que certains systèmes de pensées et d’actions ont une tendance à emprisonner l’individu dans des comportements et des conduites souhaités sans pour autant laisser la possibilité d’élaborer du sens autre que la signification commune et d’accepter de possibles autres comportements. J’aurai l’occasion de revenir sur ce point lorsque j’aborderai plus en détail le système administratif et l’attente des agents administratifs quant aux conduites et aux productions des usagers. Pour l’heure, je peux constater que ces différentes modalités de réception des demandes est saillant dans le discours des enquêtés et qu’il découle sur une exemplification de différentes stratégies mises en place selon l’une ou l’autre de ces modalités.

Il est donc envisageable de penser que la construction d’une réponse à une demande peut varier selon le lieu, car ce dernier oriente la personne vers des espaces relationnels spécifiques qui sont plus ou moins hiérarchisés. Selon l’architecture du bâtiment, la représentation symbolique collective et individuelle qu’il mobilise ainsi que, comme le mentionne Aebischer et Oberlé (2012), l’espace relationnel qu’il permet ou non vont entraîner des différences aux niveaux des codes et des règles, autrement appelés de façon plus indistincte des valeurs, des normes, des modes de pensées et des conduites. Par conséquent, le lieu contribue à établir et indiquer à la personne les codes et les règles qui s’y appliquent.

Mais le lieu peut avoir une autre fonction qui, cette fois, agit directement sur le statut de la personne. En prenant l’exemple de l’architecture scolaire, Aebischer et Oberlé (2012) constatent que

Même l’architecte des lieux contribue au rappel et au renforcement des relations entre les gens et aux règles qui les gouvernent. Par exemple, l’architecture scolaire, qui, contrairement à l’architecture militaire ou religieuse, est une invention récente de l’histoire, est influencée par la pédagogie. En effet, dans le cadre scolaire, l’enfant ou l’adolescent devient un élève et apprenant. (p.167)

Si, je reprends les différentes modalités relevées par l’analyse des données, je peux aisément supposer que le statut ou le positionnement de la personne va changer selon qu’elle se trouve dans les locaux de l’administration ou à son domicile. Dans le premier cas de figure et suivant l’exemple d’Aebischer et Oberlé (2012), la personne devrait entrer dans un espace relationnel en tant qu’usager de l’administration. Cet espace relationnel a une plus grande propension à être hiérarchisé. Dans le deuxième cas de figure, la personne se trouve à son domicile et, dès lors, n’est pas soumise aux mêmes règles et codes. Comme j’aurai l’occasion de le développer plus en avant dans ce travail, en passant les portiques de l’administration, il est attendu de la personne qu’elle soit un usager comme les autres.

100 Suite aux résultats d’analyse des données et aux théories mettant en évidence le rôle que peut jouer la dimension spatiale, je me suis interrogée sur l’impact que celle-ci peut avoir. J’ai tenté de le détecter dans le discours des enquêtés entre une réponse construite directement dans un lieu tel que l’administration ou un lieu tel qu’une association ou encore au domicile de la personne. Il s’agit d’une variation du cadre de la situation – entendu par là une variation des espaces relationnels possibles mais également des règles et des codes s’appliquant à la situation - et de l’activité des personnes. Ces différents lieux engendrent des cadres de communication différents, mais également des attitudes et des codes divers. Je prends pour exemple le cas que Mme Béglin (Re-5) donne lorsqu’elle présente un accompagnement qu’elle a dû faire pour deux personnes qui devaient se rendre au guichet de la commune. Lorsque Mme Béglin expose une situation où elle se rend à la commune avec deux femmes afin de régler une demande administrative, elle explique l’échange bref qui se passe entre l’agent administratif et ces dernières. Il y a très peu d’échange, une dame reste même silencieuse jusqu’à ce que le fait administratif soit réglé et, à ce moment-là, elle murmure un « merci » (Re-5, lignes 548-564). Mme Béglin explique que la démarche d’aller à la commune, de se retrouver au guichet et d’entrer dans le bâtiment de l’hôtel de ville qui, selon elle, « en impose » (Re-5, lignes 582-583), a joué un rôle dans la situation. En revanche, lorsque Mme Béglin m’explique plus loin dans l’entretien la démarche qu’elle a faite pour aider une mère à remplir le formulaire de placement de son enfant en école spécialisée, l’analyse montre un changement de cadre. Certes, il ne s’agit pas de la même demande et les enjeux sont différents, mais il est également fait mention de se permettre de prendre plusieurs heures pour bien expliquer la situation et remplir le formulaire. L’impact du lieu sur la définition du cadre est encore plus flagrant si je prends l’exemple que me donne M. Teixeira (cf. extrait 23). Dans la mesure où la réponse se construit chez lui, il y a cet échange plus souple où les personnes partagent un verre et discutent d’autres aspects de la vie parallèlement à la construction de la réponse à la demande administrative. A ce moment, les espaces relationnels engagés pour construire la réponse sont différents.

Ce premier constat ressorti de l’analyse des données soulève tout un pan de discussions relatif aux conditions favorisant l’acquisition de connaissances, de savoirs mais également la construction du sens de la situation elle-même. S’il est fait abstraction de la question de la réussite ou de l’échec de la réponse à la demande administrative, puisque généralement l’échec n’est pas envisageable du côté de l’usager, mais que la demande peut aboutir à une décision négative de la part de l’administration, il pourrait être intéressant de mener plus en avant des recherches quant à l’impact que peuvent avoir ces différents lieux sur la construction même du dossier de l’usager et sur le développement de connaissances mais également de l’identité administrative de ce dernier. Des études et des réflexions telles que celles menées par Latour (2007) vont dans ce sens en mettant en avant les obstacles que peuvent présenter l’architecture même des lieux avec un guichet. Comme le relève Latour (2007) dans son exemple sur le guichet d’une poste, l’interaction qui a lieu est uniquement et essentiellement canalisée sur le fait administratif. Ce qui n’est pas le cas peut-être pour d’autres lieux de construction de la réponse. L’exemple de M. Teixeira est parlant. La personne vient chez lui et partage une bière. Sans doute qu’ils discutent également de beaucoup d’autres sujets n’ayant pas court directement avec la demande. Ainsi, menant une réflexion sur l’hygiaphone, Latour (2007) explique que

Les objets n’apparaissent plus que sous trois modes : l’outillage invisible et fidèle, la superstructure déterminante, l’écran de projection. Comme outils, ils transmettent fidèlement l’intention sociale qui les traverse sans rien recevoir d’eux et sans rien leur donner. Comme infrastructures, ils sont reliés entre eux formant une base continue de matière, sur laquelle se trouve ensuite coulé le monde social des représentations et des signes. Comme écrans, ils ne peuvent que refléter le statut social et servir de support

101 aux jeux subtils de la distinction. Dans notre exemple de tout à l’heure, le guichet prendra successivement ces trois rôles. Comme outil, l’hygiaphone servira seulement à empêcher les postillons d’atteindre la guichetière, et sa fonction s’épuisera d’elle-même sans porter sur l’interaction, sinon pour la faciliter ou pour la gêner. Comme infrastructure, l’hygiaphone se reliera directement aux murs, aux partitions, aux ordinateurs pour composer un monde matériel qui moulera ensuite complètement le reste des relations comme un gaufrier le ferait d’une gaufre. Enfin, considéré comme un simple écran de projection, le même hygiaphone n’aura ni verre, ni bois, ni orifice, ni matière, il deviendra signe, se distinguera des glaces, des portillons, des baies vitrées, des bureaux paysagers, pour signaler la différence de statut ou pour signifier la modernisation du service public. (Latour, 2007, p.47)

M’étant essentiellement basée sur une méthodologie centrée sur le discours des enquêtés, je n’ai pas récolté de données permettant d’aller plus en avant dans ce premier facteur influençant la construction de la réponse à une demande administrative. Afin d’analyser cet aspect spécifique plus en détails, il serait nécessaire, soit de mener des observations au sein des différents lieux ou alors de faire parvenir la même demande administrative une fois au domicile d’une personne et une fois auprès de l’administration directement et d’observer de façon beaucoup plus expérimentale les deux modalités de passation. Cette expérience ne devrait cependant pas se centrer sur le résultat puisque la demande administrative n’admet qu’une seule réponse valide, mais davantage sur la construction du sens que fait l’usager de cette demande ainsi que sur le type de médiation que propose la personne aidante. Il serait également intéressant d’analyser sur le plan purement du processus de construction de la réponse. La dernière méthode qui serait intéressante de mettre en place et pourrait venir compléter ces observations, serait de mener une étude de réseau sur la demande administrative elle-même afin de suivre cette dernière dans les lieux où elle est mobilisée. Cela permettrait d’analyser plus finement le comportement et l’activation de ressources, peut-être différentes selon les lieux, mais également les codes, les règles et les changements sur le plan des espaces relationnels. Je peux imaginer que la préparation de la personne varie également sensiblement selon qu’elle reçoive une demande auprès de l’administration ou alors chez elle. Ces éléments ressortent également des analyses, lorsque j’étudie les entretiens des agents administratifs.

Je ne souhaite pas, dans ce chapitre, développer davantage ce point car il trouve des résonnances dans les chapitres qui suivent et sera donc repris. L’hypothèse de départ relative à cette notion de dimension spatiale est ainsi de dire que le lieu de réception de la demande administrative et le lieu de construction de la réponse a une influence tant sur le cadre que sur les espaces relationnels possibles ou encore sur la personne immigrée de première génération (statut, positionnement, stratégie d’établissement de la réponse, etc.). Cette dimension est, selon moi, importante, car elle se retrouve dans la majorité des entretiens, présentant des petits marqueurs de lieux.

4.2.2. Le format

Un deuxième aspect lié aux demandes administratives concerne le support de la demande elle-même. Lors de l’analyse des données, de nombreux supports différents ont été mentionnés. Il y a tout d’abord la demande orale, reçue au guichet ou par téléphone (Adcom-2, Adcant-6, Adcant-11, ImRe+2-9, Im-2-8, ImRe+2-3, Im-2-10). Il existe également la demande écrite sous forme de formulaires, de questionnaires ou de lettres (Im+2-1, Re-5, 6, Adcant-11, Adcant-2, ImRe+2-9, Im-2-10). Cependant, même s’il existe des demandes orales, celles-ci sont généralement accompagnées ou succédées par une demande écrite de type formulaire ou questionnaire. Dans la catégorie des demandes écrites, j’ai également été surprise de voir apparaître le support sms. En effet, lors de ma rencontre avec les familles Silva et Almeida

102 (Im-2-8), j’ai appris qu’un agent administratif communal utilisait le support sms afin de transmettre des demandes administratives.

Int : Et si vous en receviez une aujourd’hui une ::: lettre qui vous demande par exemple

des photos passeport etc. vous vous y prendriez comment pour répondre ? Vous appelleriez directement :::

Traducteur [M. Teixeira] transmet la question. Mme Silva prend la parole et répond.