• Aucun résultat trouvé

Limites et points critiques

Partie V : En guise de conclusion

5.2. Limites et points critiques

Les limites de ce travail sont nombreuses comme j’ai déjà eu l’occasion de le soulever tout au long du chapitre méthodologique ainsi que plus sporadiquement tout au long de ce travail. La première limite que je vois est le temps. En effet, s’inscrivant dans un travail de master, le temps à disposition est limité et balisé. Il implique au niveau de l’étudiante que je suis d’apprendre à accepter l’imperfection. Ayant choisi une problématique relativement vaste, mais je pense que cela reste valable pour tout travail de recherche, j’ai dû apprendre à accepter de ne pouvoir aller toujours plus en profondeur dans l’immensité théorique et expérimentale existante dans les disciplines considérées à l’échelle de ce travail. De plus, la problématique proposée reste selon moi trop vaste et devrait, pour des travaux ultérieurs s’affiner et se centrer davantage sur certains points spécifiques considérés dans les nombreuses hypothèses ponctuant la présentation des résultats. A cette problématique relativement vaste, s’est additionnée une méthodologie qui garde ouverte de nombreux possibles. De par une recherche exploratoire et qualitative, la masse de données récoltées a souvent été difficile à analyser, et cela dû essentiellement à la richesse de ces dernières. Je suis actuellement tiraillée entre l’impression qu’il serait nécessaire de mener des entretiens non directifs de par les arguments qui ont été avancés quant à l’utilisation d’une grille d’entretien et de les combiner avec des périodes d’observations. Selon moi, pour de prochaines recherches, une procédure méthodologique prenant en compte l’observation peut aider dans deux directions : 1) si elle est choisie en combinaison d’entretiens d’auto-confrontation cela pourrait aider les enquêtés à mieux expliciter leur pratique mais également leurs ressentis et leur vécu face à la tâche de répondre à une demande administrative (Clot, Faïta, Fernandez & Scheller, 2000) ; 2) pouvoir se détacher de la vision unique de l’enquêté afin de combiner cette dernière à l’observation effective des pratiques et des interactions. Je souhaite également noter ici que le choix de la problématique additionnée à une telle méthodologie m’a fait un peu glisser du côté de l’analyse du rapport usager-administration et de dévier de l’objet de recherche qui était à la base la demande administrative et la

171 construction de la réponse à cette dernière. Une méthodologie centrée également sur des récoltes de faits observables m’aurait permis sans doute d’obtenir davantage d’exemples concrets permettant de centrer encore davantage le résultat sur le processus d’élaboration de cette réponse. En effet, j’ai pu constater que d’une certaine manière et à de nombreuses reprises je n’ai pas pu aller assez en profondeur en donnant des exemples très concrets tirés de la pratique des personnes. J’étais consciente de ce risque au départ de la recherche et j’avais ajouté justement au sein de mes grilles d’entretien des questions de relance demandant aux enquêtés de me fournir des exemples concrets. Or, j’ai été confrontée à la difficulté des enquêtés à exprimer et extérioriser au moyen d’un discours construit leur pratique face aux demandes administratives. Ce constat me ramène à considérer ce que Bruner (1990/1997) avance lorsqu’il déclare

Une psychologie sensible à la dimension culturelle (surtout si elle accorde un rôle essentiel à la psychologie populaire comme facteur médiateur) s’appuie (et doit s’appuyer) non seulement sur ce que les gens font réellement, mais aussi sur ce qu’ils disent qu’ils font, et sur ce qu’ils disent des raisons qui les ont poussés à faire ce qu’ils ont fait. Elle doit également prendre en compte ce que les gens disent de ce que les autres font et des raisons qui les y ont poussés. Par-dessus tout, elle doit s’intéresser à ce que les gens disent du monde où ils vivent. (Bruner, 1990/1997, p.31)

Dans ce travail, j’ai souhaité privilégier l’axe de la parole des enquêtés sur leur pratique et ce qu’ils construisent comme signification au contact du système administratif. Toutefois, afin de pouvoir arriver réellement à saisir le processus plus finement, il est primordial, selon moi, de combiner cet angle de recherche avec l’observation de ce que les personnes font réellement. Je me suis également longtemps interrogée sur la pertinence de la recherche menée pour ce travail. Les courants choisis étaient-il les plus adéquats ? Présentaient-ils une pertinence dans le cadre d’une situation ancrée telle que celle engendrée par la réception des demandes administratives ?

La question n’est pas de savoir si la recherche est ceci ou cela. Les questions sont de savoir, d’une part, si nos résultats de recherche apportent des réponses aux questions qui se posaient avant la recherche et, d’autre part, si ces réponses ont du sens dans le contexte où les questions ont été posées. Subsiste aussi la question de savoir si la démarche, allant des questions au sens des réponses, a une valeur en termes de connaissances nouvelles. Et cela, avec quel degré de fiabilité dans la réduction de l’incertitude ? Avec quelle marge d’erreurs et de communicabilité ? Avec quelle identification du type de reconnaissance apportée ? (Van der Maren, 2006, p.21).

Au fait, la question de la pertinence de la recherche, de sa contribution au développement des connaissances, n’a de sens qu’une fois la recherche terminée, quand on peut analyser de manière critique les adaptations conceptuelles, techniques et méthodologiques auxquelles on a été forcé de sacrifier pour, en tenant compte des contraintes du terrain, mener la recherche à son terme. Evidemment, on doit alors accepter le risque d’avoir mené une recherche dont on devra reconnaître qu’elle ne mène à pas grand-chose. Et l’on ne peut pas se réfugier derrière le prétexte d’un paradigme choisi, avant d’entreprendre la recherche, pour légitimer l’absence de productivité, la banalité des résultats et des conclusions. (Van der Maren, 2006, pp.22-23)

En termes d’ouverture aux possibles, je pense que cette recherche permet de soulever quelques points intéressants tant du côté de la migration que de l’apprentissage de connaissances et du développement de la personne. Or, je remarque également que cette largesse dans la problématique impose de ne pouvoir aller en profondeur de tous les sujets

172 avancés à ce jour dans ce travail et que c’est dans le cadre de futures recherches que les hypothèses produites aujourd’hui dans ce document pourront dans un deuxième temps générer peut-être de nouvelles connaissances ou des réorientations sur le plan théorique. Je reste néanmoins persuadée que s’intéresser à un objet tel que la demande administrative, objet profondément ancré dans le pays d’accueil et dont sa production est cadrée et orientée non pas vers la volonté de générer des apprentissages, mais plutôt de gérer les citoyens au niveau d’un Etat reste très intéressant pour mettre à l’épreuve certaines théories existantes aujourd’hui. Une autre limite à ce travail réside dans l’échantillon. Il est concevable de s’interroger d’abord sur la pertinence de poser la distinction entre personne immigrée de première génération et le citoyen résident en Suisse de façon plus générale. Toutefois, ce point me semble s’être résolu au cours de la présentation des résultats. Certes, il est concevable d’estimer que toute personne confrontée à l’administration publique peut rencontrer des difficultés. Néanmoins, la composante migratoire me semble tout de même tenir un rôle dans les stratégies qui peuvent être mises en place afin de s’adapter au nouveau système, de faire circuler les informations et les connaissances. Non, ma réflexion quant aux limites de l’échantillon se rapproche de celle faite pour la problématique. J’ai pris le parti dès le départ de favoriser un échantillon composé de profils très différents avec le risque cependant de n’avoir qu’un représentant dans certaines caractéristiques telles que c’est le cas pour Mme da Cuinta qui est la seule personne de l’échantillon à ne pas être devenue une personne ressource dans le domaine administratif. Cette diversité d’échantillons permet ainsi d’aborder la problématique sous de nombreux angles générant des résultats très divers. Toutefois, cela m’a empêchée de pouvoir approfondir certaines thématiques. J’étais dès lors contrainte à rester aux stades des suppositions et de l’énonciation d’hypothèses.

Les limites peuvent également se situer dans la passation de l’entretien. Ce travail m’a montré que mener un entretien implique de pouvoir s’adapter à tous les imprévus. Par exemple, le temps à disposition pour l’entretien peut être changé à la dernière minute. Lors de mon entretien avec M. Rinaldo par exemple, ce dernier avait oublié, en fixant la date de l’entretien qu’il devait donner une messe. C’est pourquoi, bien que je lui avais demandé de prévoir un temps allant de une heure à une heure trente, le temps effectif à disposition n’était que d’une cinquantaine de minutes. Les problèmes techniques pouvant intervenir au niveau du matériel d’enregistrement sont également des éléments externes auxquels il est nécessaire de pouvoir s’adapter. Ainsi, mener une recherche implique selon moi que le chercheur sache également s’adapter aux situations et cela d’autant plus dans une posture constructiviste où l’entretien est perçu comme la co-construction de connaissances et de savoir. Kvale (2007) l’exprime très bien lorsqu’il compare ainsi le travail de recherche à un voyage ou le chercheur à un voyageur. Ce dernier construit les connaissances et les savoirs au fil des rencontres qu’il peut faire et des recherches qu’il mène. Or, cette posture du chercheur n’est pas toujours évidente à considérer lorsqu’on se retrouve à devoir gérer le temps, le magnétophone, la grille d’entretien et de plus ne pas paraître trop anxieux ou stressé à l’idée que si l’entretien se passe mal alors nous n’aurions pas les données nécessaires et utiles pour nous permettre de répondre à notre problématique. Toutefois, avec le recul, Kvale (2007) ne mentionne pas que le voyage est un voyage de plaisance ! Et il est vrai que lorsque l’on arrive à prendre du recul après un entretien et analyser ce qu’il s’est passé, on se rapproche de l’impression d’avoir voyagé. Ces remarques entrent en résonnance également avec la notion de chercheur-bricoleur (Denzin & Lincoln, 1998).

La recherche est un voyage dont le chercheur est un voyageur, certes, mais elle n’est pas moins un voyage en compagnie d’enquêtés. De ce fait, la question du respect de ce dernier et de l’éthique se pose. Ces enquêtés nous invitent chez eux, nous confient une partie de leur vécu, parfois des choses qu’ils estiment être délicates ou relativement secrètes. Il ne s’agit pas dès lors d’arriver en tant que chercheur, de mener l’entretien avec un maximum de distance et

173 de repartir muni des données qui peuvent nous intéresser. Il s’agit réellement d’une rencontre et je dois le dire d’une rencontre où au fil de l’entretien des rapports de confiance s’établissent. Ces rencontres et moments échangés ont été, pour ma part, à la base de la volonté de tenter de rester au plus proche de leur propos, de ce qu’eux m’ont amené. Bien entendu, en tant que chercheuse je me référais également aux codes déontologiques. Toutefois ce contact avec l’enquêté où lui comme moi sommes investis dans un moment de partage autour d’une thématique renforce ce sentiment de « devoir » et de « préservation » - le mot est peut-être un peu fort – de son propos. C’est pourquoi, tout au long de l’analyse des questions telles que « est-ce vraiment ce qu’il a voulu dire ? », « est-ce que je rapporte bien ses propos ? » m’ont accompagnée.

Ce point soulève la dernière notion que je souhaiterais aborder pour conclure cette partie réflexive, à savoir la notion de généralisation. En choisissant de mener une analyse par théorisation ancrée (Paillé, 1994) se pose automatiquement la question de la généralisation des propos. Il est question ici de deux types de généralisation : 1) au niveau des propos, mais également 2) à l’application des résultats de recherche à des contextes qui ne sont pas contenus dans cette recherche précise. Je pense avoir travaillé à la généralisation des propos en tentant de les faire résonner constamment avec d’autres recherches ou d’autres théories produites dans d’autres contextes. La généralisation des propos, que Paillé (1994) considère également comme l’extraction progressive d’une théorie, est nécessaire, selon moi, lorsque l’on fait une recherche. Elle fournit l’espace nécessaire au chercheur pour qu’il puisse y inclure sa vision, les liens qu’il fait entre ce qu’il a acquis dans son histoire de vie – en tant qu’étudiante pour ma part mais également en tant qu’être humain et que professionnel de l’administration publique – et ce que lui apportent ses rencontres avec les enquêtés. Sans ce travail de généralisation des propos, la recherche resterait à un niveau purement descriptif, voir même à l’exposition unique des transcriptions des entretiens. Ce premier niveau de généralisation permet ainsi d’amener de nouvelles hypothèses, de nouvelles pistes de recherches. Je la conçois un peu comme la construction finale à laquelle j’ai pu parvenir en fonction de l’objet de ma recherche mais également du cadre de contraintes, de règles dans lequel elle s’inscrit. Cette construction peut être le point de départ de l’envie de construire d’un autre chercheur qui à son tour aura l’occasion d’infirmer ou de confirmer certains propos tenus ou certaines hypothèses amenées. J’en arrive ainsi au deuxième niveau de généralisation qui lui s’attache davantage à la transférabilité de la recherche. Le travail de recherche ne vise pas la réplication perpétuelle du même travail dans le même contexte. D’ailleurs, dans une posture constructiviste, il semble très complexe de concevoir qu’une recherche puisse être répliquée. Dès lors, il y a la nécessité que certains points au moins de ce travail puissent être transférables dans d’autres contextes. Cela me semble être le cas lorsque j’aborde par exemple les résultats quant à l’espace de confiance et l’espace d’erreur, la dimension temporelle s’exerçant sur la mobilisation des ressources sociales et institutionnelles sous-entendant par-là que c’est d’abord la famille et les proches, soit des personnes intervenant dans le réseau informel et dans une relation de lien fort au sens de Granovetter (1973) qui aident les personnes immigrées de première génération, l’impact de la rupture linguistique, le processus de transition et de développement des personnes qui font le choix d’être disponible en tant que ressources sociales, etc. Cette transférabilité est appelée ainsi par (Ritchie et Lewis, 2003) une « généralisation inférentielle » (p.264).