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P RIIME A L ’ EDUCATION ET

3. T HEORIE DES MARCHES INTERNES

Les institutionnalistes Doeringer et Piore (19851) ont développé dans les années soixante-dix une perspective du fonctionnement du marché du travail, à partir de l’entreprise et du concept de «marchés internes de travail». Les auteurs ont construit leur approche à partir des règles et des procédures que les entreprises utilisent pour gérer la main-d’œuvre.Ils sont arrivés à la conclusion que ces règles et ces procédures divisent la main-d’oeuvre en deux types de travailleurs: ceux qui composent le marché interne de travail et ceux qui sont liés au marché externe de travail. L’importance essentielle de la division de la main-d’oeuvre est de protéger certaines catégories de main-d’oeuvre – celles du marché interne, de l’influence directe du marché externe.

En ce qui concerne les contributions précédentes, la théorie des marchés internes avance des arguments de nature organisationnelle, mais elle s’éloigne du salaire d’efficience et de la théorie des contrats à payement différé parce qu’elle reconnaît le rôle central de l’organisation. C’est-à-dire, d’après Favereau (1989), que la théorie du salaire d’efficience a introduit l’organisation au marché du travail, selon une perspective de «théorie standard élargie», mais elle a maintenu la liaison avec la problématique de la productivité marginale. La théorie des marchés internes de travail se place clairement sur les «théories non-standard», qui accordent une importance centrale aux règles et aux procédures, au détriment de la productivité marginale (Favereau, 1989).

3.1. Le fonctionnement du marché interne

Les marchés internes représentent des processus de rendre internes, de la part des entreprises, des fonctions d’allocation et de fixation du prix du travail qui étaient, selon les approches néo-classiques du capital humain, coordonnées par le marché. C’est pourquoi, l’approche de Doeringer et Piore (1985) est considérée comme une autre manière d’observer la «boîte noire», car elle permet d’observer l’intervention de l’entreprise sur la fixation des salaires et, par conséquent, de mettre en évidence les règles précises qui ont été mises en oeuvre (Eustache, 1996).

Les facteurs qui expliquent le besoin de marchés internes, ceux qui protègent les travailleurs des pressions externes, sont: la spécificité des qualifications, la formation par le travail et les coutumes. Du côté de l’employeur, les marchés internes cherchent essentiellement à réduire les coûts de transaction, c’est-à-dire à garantir l’efficacité du recrutement et de la formation et à empêcher la rotation de la main-d’oeuvre. D’où l’importance des qualifications spécifiques.

Pour les travailleurs, les marchés internes sont bénéfiques car ils offrent une sécurité d’emploi, des chances d’évolution professionnelle et des avantages salariaux. Comme l’écrit Meurs, «les employeurs et les travailleurs sont dans un schéma de dépendance réciproque: l’entreprise a investi dans le salarié, mais la qualification acquise n’est valorisable qu’au sein de cette entreprise» (Meurs, 1995: 82).

Sur les marchés internes de travail, ce sont les règles salariales qui remplissent des fonctions incitatives (Meurs, 1995; Redor, 1999). L’effet incitatif se concrétise à partir des règles de fixation et d’évolution des salaires. C’est-à-dire que la rémunération individuelle ne dépend plus de la performance individuelle.

Plus précisément, sur les marchés internes, la fixation des salaires est le résultat des règles définies par les entreprises et relatives à trois dimensions: le niveau de salaire qui indique la compétition externe de l’entreprise; la différenciation verticale qui est liée aux postes de travail et appelée «structure interne des salaires»; et la différenciation horizontale qui est liée aux différences salariales des individus qui occupent les mêmes types de postes de travail.

Deux remarques à propos des dimensions de la structure salariale: premièrement, Doeringer et Piore admettent que les entreprises portent une préférence à la cohérence interne de la structure salariale. En effet, l’évaluation des postes et la structure qui en résulte sont prioritaires comparativement aux pressions du marché.

Deuxièmement, les auteurs admettent la possibilité d’individualiser les salaires à partir de la différenciation intra-niveau. Mais la cohérence interne est prioritaire et l’individualisation doit respecter cette cohérence (Doeringer et Piore, 1985).

Pour suivre le raisonnement de Doeringer et Piore, il nous faut également aborder les contributions de Thurow (1976), à propos de la détermination du niveau de salaire. Chez Thurow, la productivité du travail dépend de l’emploi et par conséquent le salaire est déterminé à partir de l’emploi occupé. C’est-à-dire que les emplois sont, selon Thurow, hétérogènes et ils font appel à des connaissances et à des capacités distinctes. Par conséquent, des travailleurs possédant les mêmes qualifications peuvent être affectés à des postes de travail différents et percevoir des salaires différents. En résumé, c’est la redistribution des individus sur les emplois qui est aléatoire, ce qui explique les différences salariales observées sur le marché du travail.

Finalement, en ce qui concerne l’allocation de la main-d’oeuvre aux postes de travail, il existe aussi des règles d’allocation et de mobilité interne définies par l’entreprise. En effet, sur les marchés internes, les postes sont pourvus à partir de l’évolution interne, notamment la promotion professionnelle, et sur les marchés externes ils sont pourvus à partir des emplois qui constituent des «portes d’entrée».

Avec les changements économiques, technologiques, organisationnels et culturels, l’importance des marchés internes a diminué suite à la combinaison de plusieurs raisons. Les raisons que nous allons aborder dans la section suivante sont au nombre de deux: la remise en question de la spécificité des qualifications et des processus d’allocation de la main-d’oeuvre.

3.2. L’érosion des piliers des marchés internes

De l’examen des travaux de Ballot et Piateckhi (1996) et Frey et Croce (2001) menés sur la viabilité d’une structure de marché de travail supporté par marchés internes, émerge la question sur l’affaiblissement des marchés internes. Pour les auteurs, l’ouverture des marchés internes, qui remet en question les principes d’affectation de la main-d’oeuvre, et la transférabilité des compétences ne fait que traduire l’affaiblissement des piliers fondamentaux des marchés internes. En outre, l’individualisation des salaires a conduit également à débattre la logique des marchés internes. Cette dernière question sera étudiée dans la section suivante.

3.2.1 Le dégré d’ouverture des marchés internes

Dans son article de 1996, «Le marché interne ouvert: un modèle», Ballot et Piateckhi tentent d’apporter des arguments à la thèse de l’ouverture des marchés internes. En prenant des recherches et des observations sur les comportements des entreprises, les auteurs ont décelé que «… des flux d’entrée dans l’entreprise par catégorie et des études de cas plus fines montrent que les promotions et recrutements externes peuvent coexister, non seulement pour le même échelon hiérarchique, mais aussi le même type de poste» (Ballot et Piateckhi, 1996: 121).

Dans les entreprises, la logique d’allocation de la main-d’oeuvre écarte les processus d’allocation selon le modèle des marchés internes. C’est-à-dire que les auteurs ont observé l’«ouverture des marchés internes» qui indique la proportion d’emplois pourvus à partir de l’offre externe de main-d’oeuvre (Bosworth, Dawkins et Stromback, 1996). Plus précisément, dans la logique de marchés internes, le recrutement se fait à partir d’emplois appelés «portes d’entrée». Tous les autres emplois sont pourvus grâce à la promotion interne. Dans un marché interne ouvert, par contre, il est possible de recruter sur le marché du travail des travailleurs pour tous les niveaux de la hiérarchie professionnelle.

Chez Ballot et Piatecki, l’ouverture du marché interne correspond fondamentalement à l’arbitrage que les entreprises doivent opérer entre l’effet incitatif de la promotion professionnelle et la qualité de la main-d’oeuvre du marché externe. Il s’agit alors de la qualité plus élevée des candidats externes qui naturellement appartiennent à

C’est pourquoi les auteurs ont construit un modèle qui pose le problème de l’arbitrage entre les propriétés incitatives et de motivation des travailleurs vers la promotion, et le recours au marché externe pour profiter des investissements en capital humain réalisés par les individus. Ainsi, «le marché interne pur et le marché externe pur sont des formes organisationnelles limite de notre modèle, et apparaissent sous certaines conditions comme des solutions optimales» (Ballot et Piateckhi, 1996: 127).

Des résultats des simulations il faut retenir que le choix entre marché interne et marché externe répond aux critères d’efficience économique. Et la décision d’allocation interne dépend de la sensibilité des travailleurs à la politique de promotion de l’entreprise.

3.2.2 Compétences spécifiques contre compétences transférables

En partant de la notion de compétences transférables de Stevens2 (1996) et d’autres apports récents de la théorie du capital humain, Frey et Croce (2001) se questionnent sur la solidité de la structure traditionnelle du marché de travail. Dans son travail sur le secteur financier italien, Frey et Croce tentent d’analyser s’il est possible, sur un marché où la concurrence est imparfaite, de maintenir la structure du marché de travail dominée par les marchés internes solides et fermés qui caractérise ce secteur.

À partir d’une analyse qualitative, conduite dans le cadre du TSER, les auteurs ont conclu que les mutations économiques, technologiques et organisationnelle des dix à quinze dernières années, ont touché les structures traditionnelles du marché du travail. La structure dominée par des marchés internes solides n’est plus adaptée pour répondre aux besoins des nouvelles compétences qui ont émergé de ces mutations.

En premier lieu, la formation sur le poste du travail ne parvient plus à produire les compétences nécessaires. Traditionnellement, les compétences ont été acquises à partir du recrutement de jeunes peu qualifiés mais plus scolarisés, ce qui permet de substituer la formation et de réduire les coûts de formation. Selon Frey et Croce cette option n’est plus pertinente car l’éducation et la formation se complètent plus qu’elles ne s’excluent.

En deuxième lieu, le marché du travail est imparfait. C’est-à-dire, que le marché du travail connaît des problèmes de poaching, i.e. des situations où des entreprises qui n’ont pas investi en formation profitent des investissements en formation faits par d’autres

entreprises. Ainsi, certaines entreprises déclarent des rendements de la formation mais n’en partagent pas les coûts. De cette façon, Frey et Croce mettent l’accent sur les conséquences des problèmes de poaching externalities sur le marché du travail.

Les auteurs admettent la possibilité de la réduction des investissements en formation, de la part de l’entreprise et l’émergence de marchés professionnels du travail. Comme l’écrivent les auteurs: «… la crise des marchés internes peut aboutir à un niveau insuffisant d’investissements en formation dans le secteur (financier)» (Frey et Croce, 2001: 9).

D’ailleurs, les auteurs signalent aussi, comme alternative, la formation à partir de l’utilisation des nouvelles technologies. Ces schémas visent le développement des compétences et en même temps la réduction des coûts de formation. À notre avis, ces nouvelles formes de formation visent en particulier à transférer la responsabilité de la formation aux travailleurs. Étant donné que la formation est disponible «on line», l’acquisition de compétences dépend de l’initiative des travailleurs.

D’autre part, les auteurs admettent également l’émergence des marchés professionnels qui sont des marchés qui couvrent un vaste domaine d’emplois dans divers secteurs. Chez Frey et Croce, les compétences générales présupposent qu’un ensemble d’emplois du secteur financier soient plus liés aux marchés professionnels qu’aux marchés internes (Frey et Croce, 2001).

Ainsi retenons que les contributions de Stevens et de Frey et Croce ont mis en avance quatre propositions:

− la distinction de Becker est insuffisante pour aborder le type de compétences qui sont vraiment nécessaires;

− la transférabilité des compétences remet en question les décisions d’investissements en formation de la part des entreprises;

− la problématique des coûts de formation peut relancer le débat sur le financement de la formation, proposé par Becker;

− la responsabilité de l’acquisition de compétences est maintenant remise en question par les nouveaux moyens, connus par «e-learning», avec lesquels l’initiative de la formation repose sur les travailleurs.