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Les systèmes d’information sont-ils vraiment un avantage concurrentiel ?

Si les entreprises ont l’obligation de se servir des systèmes d’information à bon escient pour ne pas jouer avec un arc et des flèches dans une guerre économique mondiale, il reste une question. Est-ce que ces systèmes d’information sont des ressources rares, stratégiques, fondamentales pour asseoir un avantage concurrentiel majeur ? Ou est-ce que la standardisation des ressources de stockage, traitement et transport des données, ne fait pas simplement des TIC (Technologies d’information et de communication) une composante de plus de l’infrastructure économique à comparer aux systèmes d’eau potable, d’irrigation, d’assainissement, aux routes, aux trains, à l’infrastructure électrique… ?

Cette question, Nicholas G. Carr, un écrivain américain, se l’est posée et y a répondu avec un scepticisme au moins égal à l’enthousiasme de Thomas Friedman vis-à-vis de son monde plat, quant à l’importance stratégique des technologies de l’information pour les affaires.

En effectuant un parallèle avec le développement de l’électricité et celui de l’ère numérique, il argumente que les TIC sont devenus

une commodité semblable aux technologies liées aux transports et à l’électricité, incontournables, certes, mais non stratégiques. Aucune entreprise ne construit sa stratégie sur l’usage de l’électricité. D’où le conseil de G. Carr de gérer les TIC par les risques et les coûts, car « quand une ressource devient essentielle pour la compétition mais sans conséquence sur la stratégie, les risques qu’elle crée deviennent plus importants que les avantages qu’elle procure ».

Ils l’ont dit

IT doesn’t matter

C’est en premier le titre d’un article de Nicholas G. Carr, publié en mai 2003 dans l’édition de la Harvard Business Review. C’est ensuite devenu un livre de l’auteur : Does IT Matter? Information Technology and the Corrosion of Competitive Advantage, publié par les Éditions de la Harvard Business School.

Dans cet article, l’auteur examine l’évolution des technologies de l’information dans les affaires et établit le parallèle avec l’évolution de technologies plus anciennes telles que l’énergie électrique et les transports ferrés. Pour lui, l’évolution est strictement similaire et, si pendant une période, les TIC ont offert une opportunité pour les compagnies visionnaires de gagner un avantage compétitif sérieux, à partir de maintenant, la disponibilité d’applications standardisées et la diminution des coûts d’acquisition et de possession rendent les TIC invisibles aux yeux de la stratégie, ce qui fait que les « TIC n’ont pas d’importance ».

Selon Nicholas G. Carr, « derrière le changement de pensée envers l’informatique [considérée d’abord comme un outil de bas niveau puis une valeur stratégique] repose une hypothèse simple : comme la puissance et l’omniprésence des TIC ont augmenté, il en est de même de leur valeur stratégique. C’est une hypothèse sensée, et même intuitive. Mais elle est erronée. Ce qui rend une ressource réellement stratégique – ce qui lui donne la capacité à être à la base d’un avantage concurrentiel durable – n’est pas l’omniprésence mais la rareté. Vous ne pouvez gagner une longueur d’avance sur vos rivaux qu’en ayant ou en faisant quelque chose qu’ils ne peuvent avoir ou faire. Dès à présent, le noyau même des fonctionnalités de l’IT – le stockage, le traitement et le transport de données, est devenu accessible et abordable pour tous. Leur puissance et leur présence même les a transformés de ressources potentiellement stratégiques en des commodités facteurs de production. Les TIC sont devenus des coûts pour faire des affaires que tous doivent payer sans pour autant fournir de différenciation à aucun ».

Il faut toutefois nuancer la vision de Nicholas G. Carr. Il a en grande partie raison mais il a aussi tort.

Il a raison dans le sens où nous sommes effectivement arrivés à un point de bascule, aujourd’hui, où beaucoup d’applications propriétaires pèsent plus lourd en coût qu’elles ne valent.

Une petite entreprise peut très rapidement avoir accès à des puissances serveurs17 et des fonctionnalités qui étaient l’apanage

17 Les offres d’hébergement de machines virtuelles sont nombreuses, pour proposer des serveurs à la puissance flexible en infrastructure cloud. Amazon a fait figure de précurseur avec son offre EC2 mais on trouve également d’autres spécialistes plus petits sur ce terrain, dont Gandi, une société créée en 1999, à l’origine française, qui propose ce type de services d’hébergement en plus de l’enregistrement de nom de domaine (http://www.gandi.net/).

des grandes il y a peu. On voit bien, en effet, l’évolution des plates-formes applicatives, des applications en mode services qui viendront, tôt ou tard, concurrencer les éditeurs de progiciel.

Car tout ce qui existe et a pu être pensé en termes d’édition logicielle aujourd’hui se verra progressivement proposé sous la forme d’abonnement de services, sans infrastructure lourde, sans équipe, sans développement spécifique à gérer, compte tenu de la rapidité des évolutions mises à disposition de tous. Vouloir concurrencer ce futur est inutile et coûteux. C’est le moment de profiter des opportunités qu’il offre. Mais cela sera plus facile pour des petites structures agiles que pour les groupes, moyens ou grands, qui n’ont pas su gérer leur héritage.

Quand ce qui a été développé en interne est devenu une meilleure pratique disponible sous forme de services Web, il est recommandé de basculer comme utilisateur de ces services plutôt que de maintenir un existant à tout prix. Ainsi, Carr évoque à juste titre l’exemple de AHS (American Hospital Supply), précurseur en 1976 avec ASAP, un système développé en interne qui permettait aux hôpitaux de passer des commandes électroniques de médicaments. Ce système, à l’origine de profits pendant plus de dix ans, a été dépassé par l’évolution d’Internet et du commerce en ligne dans le tournant des années 1990 et est devenu depuis une corde au cou des dirigeants, selon une étude de cas de la Harvard Business School.

En effet, les applications vieillissent et il y a un moment où ce qui a été développé en interne est à revoir. Ne rien faire amène inéluctablement à payer plus cher le manque de vision.

C’est là où Nicholas G. Carr a tort, quand il recommande de prendre une position défensive plutôt qu’offensive vis-à-vis des TIC, et d’attendre la disponibilité de nouveaux services plutôt que d’investir. L’approche n’est pas si manichéenne dans les choix.

Geler l’investissement fait peser le risque sur l’évolution des applications existantes et certaines ne peuvent pas se trouver sous forme de services communs à tous.

Nicholas G. Carr a doublement tort parce qu’il confond technologies informatiques et systèmes d’information. Sa vision est celle qui a conduit à dévoyer le découpage maîtrise d’ouvrage/maîtrise d’œuvre vers un découpage inefficace entre organisations métiers et organisations informatiques (voir chapitre 5, « Maîtrise d’œuvre et maîtrise d’ouvrage, un découpage dévoyé de son objectif » p.95).

Un système d’information d’entreprise ne manipule pas que des données parfaitement standardisées dans des tuyaux parfaitement interopérables, loin s’en faut ! Il représente une modélisation du cerveau et du corps d’une entreprise, il est la mémoire de ses

processus et les informations échangées ont un impact totalement différent suivant qui les lit. Pour poursuivre la comparaison avec l’électricité, si le besoin de lumière est quasiment le même partout, les besoins en partage d’information varient selon les objectifs individuels et collectifs.

Il y a des applications spécifiques qui peuvent apporter un avantage concurrentiel sérieux à des entreprises quand elles portent sur les processus liés à leur cœur de métier. Il s’agit là de la distinction que G. Carr fait lui-même entre les technologies propriétaires et ce qu’on peut appeler les technologies d’infrastructure. Parce que ces applications spécifiques n’appartiennent qu’à une seule compagnie et qu’elles ne sont pas facilement réplicables car liées profondément à son savoir-faire, à ses ressources humaines, à ses informations historiques (qui, soit dit en passant, sont aussi des biens de l’entreprise), l’usage de ces applications est un atout concurrentiel.

Oui, les systèmes d’information sont des armes à double tranchant.

Ils peuvent servir à des innovations d’usage et fournir des opportunités de différentiation. Mais si on les utilise pour développer ou maintenir en spécifique une application pour faire ce que tout le monde fait, fût-ce avec les dernières technologies, on se trompe de cible. D’autres sauront le faire à moindre coût et proposer des services que vos concurrents gagneront à acheter.

En effet, le service ou la fonction fournis par l’informatique n’établissent pas de réelle différenciation métier dès lors qu’ils sont largement adoptés, et standardisés dans les modes de fonctionnement de la plupart des entreprises. Ce sont là des commodités dont Nicholas G. Carr peut dire sans hésiter qu’on ne peut pas ne pas les avoir, sans pour autant qu’elles soient stratégiques.

Le patrimoine applicatif : entre