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Synthèse sur les paléoenvironnements fluviaux à Isle-Saint-Georges

à Langoiran et à Isle-Saint-Georges

4.2.5. Synthèse sur les paléoenvironnements fluviaux à Isle-Saint-Georges

Un grand nombre d’archives sédimentaires asynchrones ont été conservées à Isle-Saint-Georges. Leur diversité témoigne de l’instabilité latérale, longitudinale et hydrologique de la Garonne depuis l’Atlantique, ce qui rend la reconstitution paléoenvironnementale très complexe. Quelques grands temps forts de l’histoire fluviale locale peuvent tout de même être esquissés en considérant les résultats chronométriques fiables (fig. 110).

À partir de 5650 av. J.-C. (± 100 ans), une sédimentation organique a contribué au remblaiement d’un profond chenal (> 13 m pour 130 m de large ; chenal n°1), situé à proximité du versant de rive droite, et à la fossilisation des milieux environnants parmi lesquels un large banc graveleux. Cette sédimentation a exhaussé le fond de vallée des millénaires durant, malgré une période d’interruption, jusqu’à une altitude d’environ +2 m NGF. La chronologie n’a pu être précisée. Par ailleurs, le faible ratio largeur/profondeur du chenal remblayé (< 10) et la présence d’un large banc latéral tendent à démontrer que le chenal n’est pas unique mais de type anastomosé. Ce résultat s’appuie sur les similitudes géométriques qu’entretient le chenal d’Isle-Saint-Georges avec ceux de Langoiran contemporains de l’Atlantique ancien.

De l’âge des Métaux au Moyen Âge classique, plusieurs chenaux synchrones et asynchrones ont pris place à proximité du bourg d’Isle-Saint-Georges. Il est particulièrement difficile de déterminer leur agencement spatio-temporel car les vestiges sont parsemés, entrecoupés par des plaines alluviales rarement pleinement identifiées et peu, ou mal, calées dans le temps. Les seules certitudes – sous réserve de l’exactitude des repères chronologiques – est la présence de quatre portions fluviales totalement ou partiellement asynchrones autour de l’habitat ancien :

- un chenal aux dimensions modérées (largeur moyenne supposée ≈ 180 m, profondeur ≈ 6 m ; chenal n°3) contournait l’agglomération ancienne par l’ouest au Bronze final. Il a

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connu une forte variabilité hydrologique au cours du IXe siècle av. J.-C. jusqu’au second âge du Fer, au plus tard. Son début d’activité remonte certainement au IIe millénaire av. J.-C. (au moins) ;

- un autre chenal plus large (l ≈ 260 m ; chenal n°4) contournait l’habitat ancien par le nord et l’est. Il a fonctionné énergiquement depuis au moins le début du second âge du Fer jusqu’à la fin du haut Moyen Âge/début du Moyen Âge classique. Un accroissement de la compétence du fleuve a été observé entre ces deux périodes. Parallèlement, le chenal actif (n°4) a aggradé de plusieurs mètres, ce qui a réduit sa profondeur (estimée à environ 6 m au IVe siècle av. J.-C. contre 4,3 m au Xe siècle apr. J.-C.) ;

- un chenal aux dimensions réduites (l ≈ 60 m, p ≈ 5 m ; chenal n°2) était aussi actif au haut Moyen Âge au sud du bourg. Il a été remblayé rapidement par des dépôts sableux suite à la réduction de son hydraulicité. Sa fin d’activité est datée du VIIe siècle apr. J.-C.

- un chenal de même largeur mais à profondeur indéterminée isolait une île de 930 m de long au XIIIe siècle apr. J.-C. au nord d’Isle-Saint-Georges. Elle a été rattachée à la berge depuis au moins le XVIIIe siècle.

La stratigraphie permet de supposer que 1) le chenal (n°3) du Bronze final excisait une île à l’emplacement de l’habitat protohistorique et 2) ce chenal (n°3) situé à l’ouest du bourg est synchrone de l’âge du Fer (1er voire 2nd) avec le chenal (n°4) actif à l’est du bourg aux époques protohistorique, antique et médiéval.

Enfin, les épées mises au jour par dragage semblent indiquer qu’un autre chenal du Bronze final épousait le tracé actuel de la Garonne entre Cambes et Isle-Saint-Georges.

De là, il semble pertinent de proposer le scénario d’un style fluvial proche de l’anastomose à l’Âge du Bronze et métamorphosé au Moyen Âge classique. L’acquisition du style anastomosé pourrait résulter de la réactivation de bras secondaires atlantiques dans un contexte d’incision. S’en est suivi une forte instabilité hydrologique dès la fin du Bronze final qui a conduit au remblaiement hétérogène de certains bras, tel que celui à l’ouest du bourg, au profit d’un gain de compétence d’autres chenaux, comme celui oriental. Il est possible que des zones humides se soient mises en place parallèlement dans la plaine d’inondation, comme le suggère une zone très conductrice au NW du bourg (anomalie E2 et une partie de E3 ; fig. 103) qui ne correspond pas à un paléochenal (profil ERT P4). Entre le second âge du Fer et la fin du haut Moyen Âge, la désactivation des chenaux secondaires s’est poursuivie, provoquant de facto une réduction de leur puissance spécifique (< 10 W/m²) et un phénomène d’aggradation dans les chenaux restés actifs. Au Moyen Âge classique, le fleuve a définitivement adopté un style à chenal unique suivant un tracé sensiblement similaire à l’actuel. De rares îles fluviales de dimension modestes ont persisté quelques siècles dans le chenal actif avant d’être rattachées à la berge. De nos jours, le fleuve affiche un chenal subrectiligne à Isle-Saint-Georges avec une unique île fluviale – l’une des seules dans la Garonne maritime –, une profondeur relativement importante en comparaison de celle médiévale et une puissance spécifique très faible qui indique, désormais, une tendance à la sédimentation.

Fig. 110 – Scénario simplifié de l’évolution holocène de la Garonne à Isle-Saint-Georges. Cette proposition n’intègre pas le paysage végétal et comprend diverses incertitudes, en particulier concernant la période atlantique. La cartographie repose sur un couplage entre stratigraphie, réseau hydrographique actuel, morphologie du parcellaire, mesures électriques, microtopographie et données archéologiques.

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4.2.6. Conclusions géoarchéologiques sur l’agglomération protohistorique à antique d’Isle-Saint-Georges

D’après le scénario tout juste présenté et les données archéologiques (fig. 90), les sociétés de la toute fin de l’âge du Bronze final se sont établies sur une île fluviale de dimensions modérées (~ 900 de long, 400 m de large ; fig. 111). Dans le même temps, la Garonne est passée d’une dynamique d’incision à une dynamique d’aggradation ce qui a enclenché une métamorphose fluviale : les bras secondaires ont été progressivement remblayés puis abandonnés un à un de l’âge du Fer au haut Moyen Âge. Les chenaux excisant par le nord et l’ouest l’île d’accueil de l’agglomération protohistorique ont été très remblayés au premier âge du Fer par réduction irrégulière de leur hydraulicité ; et abandonnés définitivement au second âge du Fer, au plus tard. Cette période d’abandon est synchrone de la phase de repli de l’habitat à l’est de l’île, du IIIe au Ier siècle av. J.-C. (fig. 90). On peut donc émettre l’hypothèse d’une causalité entre la dynamique fluviale et la dynamique anthropique. À l’ouest, les chenaux inactifs ne présentaient plus grand intérêt (pêche et transport impossibles) et pouvaient occasionner des problèmes d’humidité liés à la stagnation de eaux de crues dans les dépressions laissées par le passage du fleuve (Lescure et Arnaud-Fassetta, 2015). À l’est, le chenal encore actif a gagné en puissance, favorisant ainsi le transport fluvial. La partie orientale de l’île est donc devenue bien plus attractive que celle orientale, ce qui pourrait avoir poussé les habitants à se regrouper à l’est. La grande extension de l’habitat qui a suivi entre le Ier siècle av. J.-C. et le Ier siècle apr. J.-C. (fig. 90) peut avoir été aidée par le remblaiement définitif des chenaux occidentaux qui a abouti à la fusion de l’île habitée avec celles environnantes (fig. 90). En somme, il y a une synchronisation certaine entre les dynamiques d’occupation du sol protohistorique et antique et la dynamique fluviale (sous réserve de l’exactitude du scénario paléoenvironnemental et des datations utilisées). Le milieu a contribué aux dynamiques de l’habitat mais n’en est probablement pas le moteur principal, à l’inverse des motivations économiques et des dynamiques régionales (Colin et al., 2015a).

Au final, les deux sites (Langoiran, Isle-Saint-Georges) se sont révélés très complémentaires pour retracer l’évolution des paléoenvironnements fluviaux à l’échelle de tout l’Holocène. Dans le secteur de Langoiran, la Garonne a entamé une migration latérale dès le XIe siècle, qui a remanié une grande partie des témoins du passé. La zone épargnée par cette divagation garde les empreintes d’un paléochenal anastomosé au début de l’Atlantique puis fossilisé par une zone humide de 5500 av. J.-C. (Atlantique récent) à 3200 av. J.-C. (Subboréal). Cet épisode s’est sans doute accompagné d’un changement de style fluvial avec le passage à un chenal unique (première métamorphose). À plus petite échelle, cette phase d’anastomose s’inscrit dans une période de grands changements paysagers marqués par l’ouverture du milieu. À Isle-Saint-Georges, l’absence d’étude palynologique ne permet pas d’apporter de telles précisions. En revanche, la stabilité latérale du chenal depuis le bas Moyen Âge a permis de retracer une partie de l’histoire subatlantique. Ainsi, il semblerait qu’à l’Âge du Bronze, la Garonne ait ré-adopté un style à chenaux multiples (anastomose ?) en réactivant

plusieurs bras atlantiques. S’en est suivi une période de grande instabilité hydrologique à l’âge du Fer, qui a conduit au remblaiement et à l’abandon progressif des chenaux secondaires. Cette seconde métamorphose fluviale a pris fin au Moyen Âge classique avec l’adoption d’un unique chenal subrectiligne. Depuis, la Garonne en plan a très peu évolué mais a gagné en profondeur et perdu en puissance spécifique. Sa charge en transit s’est aussi nettement affinée. Cette variabilité spatio-temporelle holocène a partiellement guidé les dynamiques locales de l’habitat médiéval à Langoiran et protohistorique et antique à Isle-Saint-Georges.

Fig. 111 – La Garonne contemporaine de l’agglomération protohistorique à antique d’Isle-Saint-Georges.

Conclusion

Le couplage des données géomorphologiques, chronostratigraphiques, biologiques, historiques et archéologiques s’est révélé indispensable pour identifier les paléomilieux de sédimentation holocènes et, surtout, comprendre leur succession spatio-temporelle. En effet, le fleuve a divagué à plusieurs reprises, avec parfois plusieurs chenaux synchrones, ce qui s’est traduit sur site par une forte variabilité latérale, longitudinale et verticale des archives stratigraphiques, voire par leur érosion. À cette difficulté se surimpose une relative faiblesse chronologique, due notamment à des problèmes d’inversion, et une quasi-absence d’ostracodes fossiles. Beaucoup d’attentes avaient été formulées concernant ce bio-indicateur qui, finalement, n’est présent en nombre significatif qu’au sein de la séquence médiévale de Langoiran. Malgré tout, plusieurs grands chapitres de l’histoire du fond de vallée ont pu être reconstitués sur chaque site. À Langoiran, le fleuve adoptait un style à chenaux multiples anastomosés au début de l’Atlantique. Il a ensuite été fossilisé par une zone humide étendue et en aggradation entre 5500 et 3200 av. J.-C. L’anastomose est supposée à l’Atlantique à Isle-Saint-Georges et la zone humide y est attestée. Là, elle a cessé à une altitude similaire (+2 m NGF) mais semble avoir débuté environ 150 ans auparavant. Cette dynamique sédimentaire a considérablement contribué à l’exhaussement du fond de vallée et conduit à une première métamorphose fluviale, la Garonne passant à un chenal unique. L’histoire postérieure est méconnue à Langoiran du fait d’une migration latérale entamée vers le XIe siècle apr. J.-C., qui a recoupé la majorité du fond de vallée. Heureusement, les sites se révèlent complémentaires puisque les investigations à Isle-Saint-Georges renseignent essentiellement la période subatlantique. Elles tendent à démontrer l’occurrence d’une seconde métamorphose fluviale à l’âge du Bronze (passage d’un chenal unique à des chenaux multiples), certainement par réactivation des bras secondaires atlantiques. Cette phase d’activité accrue s’est affaiblie dès l’âge du Bronze, conduisant au remblaiement puis à l’abandon des chenaux par réduction (et instabilité) de leur hydraulicité. Il est probable que, dès le Moyen Age classique, la Garonne a occupé de nouveau un seul et unique chenal à Isle-Saint-Georges, dans une configuration en plan assez similaire à l’actuelle, ce qui correspondrait à la troisième métamorphose fluviale enregistrée dans la basse vallée de la Garonne. À l’inverse, la configuration verticale et hydraulique a changé, la puissance fluviale étant aujourd’hui très faible et la profondeur du chenal accrue. Dans l’ensemble, il semblerait que le talweg ait atteint une altitude maximale au Moyen Âge, eu égard au remblaiement du chenal. L’hydrologie et les paramètres hydrauliques des paléochenaux n’ont pu être véritablement caractérisés à cause d’une faiblesse chronologique (peu de taux de sédimentation calculés), d’une géométrie imprécise et/ou de chenaux à bras multiples, lesquels devenant alors inaptes aux quantifications hydrauliques prévues. Cette évolution holocène de l’espace fluvial est synchrone à d’importantes modifications paysagères qui résultent de facteurs globaux (climat, eustatisme). Pour comprendre au mieux l’histoire du fleuve, il est désormais nécessaire de changer d’échelle, à la fois en modélisant l’évolution de toute la basse vallée de la Garonne et en s’intéressant de plus près aux variables de contrôle susceptibles d’avoir engendré les modifications spatiales et hydrologiques du fleuve.