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Apport de l’analyse des grains minéraux : texture et image CM

à Langoiran et à Isle-Saint-Georges

3.3.1. Apport de l’analyse des grains minéraux : texture et image CM

La granulométrie des sédiments est une mesure très courante dans l’identification des paléo-milieux fluviaux. Elle vient confirmer ou compléter les observations qualitatives réalisées à l’œil nu (définition de la structure sédimentaire et estimation de la texture), en quantifiant la distribution des particules selon leur taille. Cela se révèle très utile pour renseigner le mode de transport et les milieux de dépôts via la méthode de l’image CM. Cette méthode mise au point par Passega (1957, 1964) se base sur deux paramètres statistiques clefs : la taille

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moyenne des grains de l’échantillon (M), qui traduit la compétence moyenne du cours d’eau, et son percentile le plus grossier (C), qui témoigne de la compétence maximale. Le premier est reporté en abscisse sur un graphique à double échelle logarithmique et le second en ordonnée. Le point qui en résulte est ensuite comparé à un modèle (image CM) qui détermine le mode de transport correspondant. L’image CM théorique établie par R. Passega pour le Mississippi distingue cinq modes de transport associés chacun à un segment de l’image (fig. 50) : 1) roulement (segment [NO]) ; 2) roulement majoritaire et suspension graduée (segment [OP]); 3) suspension graduée majoritaire et roulement (segment [PQ]) ; 4) suspension graduée (segment [QR]); 5) suspension uniforme (segment [RS]). Le segment [QR] est généralement délimité par deux valeurs seuils correspond à la taille maximale des particules transportées par suspension uniforme (Cu) et par suspension graduée (Cs) lors de la turbulence maximale de la masse d’eau en surface (Cu) et en son fond (Cs). Une dernière zone, nommée T, correspond aux sédiments déposés par décantation (ou suspension pélagique). Diverses études ont démontré que l’image CM permettait aussi de distinguer les différents milieux de sédimentation de la plaine alluviale mais qu’il était nécessaire d’établir, au préalable, un modèle de fonctionnement propre à l'environnement fluvial étudié (Bravard, 1983 ; Bravard et al., 1986 ; Peiry, 1988 ; Salvador, 1991 ; Arnaud-Fassetta, 1998 ; Bravard et Peiry, 1999 ; Houbrechts et al., 2013). En effet, chaque espace fluvial a des caractéristiques dynamiques qui, tout en lui étant propres, entraînent des variations granulométriques des unités sédimentaires. Il n’existe pas d’image CM universelle.

Au vu des apports de cette méthode, le choix a été fait de l’utiliser pour caractériser les paléo-milieux. Les prélèvements réalisés dans la plaine alluviale actuelle (cf. chapitre 1) ont permis de bâtir l’image CM qui servira de modèle à la reconstitution paléoenvironnementale (fig. 51).

Fig. 51 – Image CM (A) et tableau récapitulatif (B) des dépôts actuels de l’estuaire et de la Garonne fluviatile terminale.

Il s’agit cependant d’une image partielle car la charge (grossière et fine) du chenal actif n’a pu être échantillonnée. L’image CM a été établie à partir des sédiments de la plaine alluviale de la Garonne fluviatile (PK -5 ; fig. 5C), de la Garonne maritime (PK 39,5 et 78), de l’estuaire

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moyen (PK 111) et de l’estuaire marin (PK 142). Cette prise en compte des environnements amont et aval à la Garonne maritime est parue nécessaire puisque le caractère « maritime » du fleuve a été acquis au cours de l’Holocène. De fait, comparer simultanément les archives sédimentaires aux sédiments actuels de la Garonne fluviatile et de la Garonne maritime est susceptible d’aider à caractériser les changements de milieu, tout en suivant et étayant la chronologie de la remontée du niveau marin dans la basse vallée. Néanmoins, deux limites peuvent conduire à l’échec de cette méthode. D’une part, la compétence du cours d’eau a pu évoluer dans le temps indépendamment de l’influence marine. D’autre part, ces derniers siècles, l’Homme a largement contribué à modifier la géométrie et l’hydraulicité de la Garonne maritime et de sa plaine alluviale, contribuant aussi à l’affinement de la charge solide par les dragages notamment. Comparer les archives sédimentaires aux sédiments déposés dans des milieux sous plus forte influence marine (estuaire moyen et marin) peut aider à tester la pertinence de la méthode.

Pour construire cette image CM de référence et les images CM des archives sédimentaires, tous les sédiments, actuels et anciens, ont subi un traitement identique. D’abord, ils ont été échantillonnés au gré des variations de faciès mais de façon systématique au sein des faciès identifiés. Pour les échantillons « actuels », provenant de transects effectués perpendiculairement à l’axe d’écoulement dans le fond de vallée, les prélèvements ont été réalisés entre 10 et 30 cm de profondeur afin d’éviter les perturbations de surface (dues notamment à la végétation). La distance entre chaque point de prélèvement a été mesurée avec un télémètre laser. Pour les échantillons « anciens », provenant de séquences verticales, les prélèvements ont été faits directement à la gouge, après rafraichissement de la surface d’affleurement, ou au sein de demi-carottes, quand celles-ci étaient tubées. Lorsque le mètre de sédiment était visuellement homogène (i.e., structure massive), seuls trois échantillons ont été prélevés : un à 10 cm de chaque extrémité et un au centre. L’ensemble des échantillons a été analysé au Laboratoire de Géographie Physique de Meudon (LGP) par Benoit Carlier (cas des 122 échantillons provenant des unités actuelles) et moi-même (cas des 1088 échantillons issus des stratigraphies), selon un protocole identique. Les grains inférieurs à 2 mm ont été prétraités au peroxyde d’hydrogène (fig. 52A), encore appelé eau oxygénée (H2O2), afin d’éliminer toute matière organique et ne conserver que la matière minérale. Certains échantillons provenant de l’estuaire moyen et marin contenaient également des restes coquilliers ce qui a nécessité, au préalable, une décarbonatation à l’acide chlorhydrique (HCl concentrée à 10 ‰). Le résidu minéral a été agité avec une solution d’héxamétaphosphate de sodium (Na2CO3) pendant 2 h pour disperser les particules avant d’être analysé par un granulomètre laser Beckman Coulter LS 230 (fig. 52B). Les sédiments comportant une fraction supérieure à 2 mm ont subi un traitement plus complexe. Après séchage et broyage pour homogénéiser le tout, ils ont été tamisés à 2 mm et 20 mm. La fraction inférieure à 2 mm a été traitée comme décrit précédemment. Celle comprise entre 2 et 20 mm a été agitée avec une solution de Na2CO3 pendant 2 h pour désolidariser les particules et enlever aisément la fraction inférieure à 2 mm persistante. Un second tamisage a été réalisé pour éliminer les résidus inférieurs à 2 mm. La fraction supérieure à 2 mm a été séchée une nouvelle fois puis tamisée via une colonne de tamis à 2,5, 3,15, 4, 5, 6,3, 8, 10, 16 et 20 mm (norme AFNOR). Les débris de taille supérieure à 20 mm ont été « nettoyés » aux ultrasons, séchés, et mesurés

au pied à coulisse (petit axe, axe médian et grand axe). À chaque étape du protocole, les fractions ont été pesées afin d’être intégrées à une même distribution statistique (fig. 53).

Fig. 52 – Analyse granulométrique des sédiments. A : Élimination de la matière organique au peroxyde d’hydrogène, avec un premier passage à froid puis à chaud ; B : Passage des sédiments au granulo-mètre laser Beckman Coulter LS 230.

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Au final, l’image CM « de référence » construite pour la Garonne-Gironde démontre une variation longitudinale des modes de transport associés à chacun des milieux de sédimentation (fig. 51) :

- les berges sous-aquatiques (BSA) sont actuellement édifiées dans la Garonne fluviatile par des sédiments grossiers roulés et charriés (segment NO ; C = 20.000-40.000 µm ; M = 3900-100.000 µm ; fig. 52) et dans l’estuaire par des sédiments très fins issus certainement d’une suspension uniforme (segment RS ; C = 40-400 µm ; M = 5-40 µm).

- dans la Garonne fluviatile, les bancs latéraux (BL) présentent des caractéristiques identiques à celles des berges sous-aquatiques (segment NO).

- les levées de berges (LDB) de la Garonne fluviatile sont constituées de sédiments hétérogènes mis en place majoritairement par suspension graduée (segment QR ; C = 200-1000 µm ; M = 10-100 µm) et ponctuellement par suspension et roulement (segment PQ ; C = 4500-20.000 µm ; M = 30-40 µm). La suspension graduée caractérise aussi une partie des levées de berge de la Garonne maritime amont (fig. 52). L’autre partie est plus fine et associée à une suspension uniforme (segment RS ; C = 40-400 µm ; M = 5-40 µm), comme dans la Garonne maritime aval et l’estuaire moyen. Dans le bas estuaire, les sédiments redeviennent grossiers (C = 1000-2000 µm ; M = 100-550 µm) et peuvent être associés à un mode de transport intermédiaire mêlant saltation et suspension graduée.

- les dépôts de plaine d’inondation (PI) sont limoneux et associés uniquement à un transport par suspension. Ils s’affinent légèrement d’amont en aval, passant d’un transport par suspension graduée (Garonne fluviatile, essentiel de la Garonne maritime amont, moitié de la Garonne maritime aval ; segment QR) à un transport par suspension uniforme (l’autre moitié de la Garonne maritime aval, estuaire moyen et bas estuaire ; segment SR). Trois échantillons provenant de la plaine d’inondation de la Garonne maritime ou de l’estuaire moyen se trouvent dans le segment P’Q’ ; ils sont assimilés à de la saltation et de la suspension graduée. Il s’agit des échantillons les plus éloignés du chenal actif dont les caractéristiques granulométriques sont dépendantes de l’anthropisation des terres (renforcement de la partie grossière ; dégradation du tri).

En somme, l’intégralité des milieux de sédimentation de l’estuaire maritime et de l’estuaire moyen, hors fond de chenal, est constituée de sédiments fins déposés par suspension, ce qui est à lier au stock de vase (dont le bouchon vaseux) résidant dans le secteur. En amont et en aval, des dépôts plus grossiers sont transportés par saltation ou roulement. Ces caractéristiques actuelles serviront d’analogue lors de la reconstitution paléoenvironnementale.