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Dans le chenal : charge de fond grossière, bouchon vaseux et crème de vase

Portrait de la Garonne maritime et sa vallée

1.3.1. Dans le chenal : charge de fond grossière, bouchon vaseux et crème de vase

Le chenal de la Garonne maritime peut être qualifié de « chenal à charge mixte » d’après la classification établie par S.A. Schumm (1963, 1985) : sa sinuosité est inférieure à 2, le rapport largeur/profondeur est compris entre 10 et 40 et les sédiments qui le composent sont de tailles diverses. Dans son fond, le chenal est tapissé d’un mélange de galets, de graviers et de sables fluviatiles. La granulométrie actuelle de cette charge de fond ne peut être plus amplement précisée, faute de données disponibles. Il est néanmoins avéré qu’elle est recouverte d’un manteau de sédiments fins dont l’épaisseur varie dans le temps et dans l’espace en fonction du bouchon vaseux.

Chaque année, le fleuve apporte entre 1,5 et 4 Mt de sédiments fins d’origine fluviatile (Migniot, 1969). Ces sédiments ne sont pas directement évacués vers l’océan. Ils sont d’abord piégés, tout du moins en partie, dans une zone de concentration supérieure à 1 g/l de matières en suspension (argiles et limons) : le bouchon vaseux. Cette zone de turbidité maximale se forme naturellement dans les estuaires en raison de la différence de densité entre les eaux douces fluviales et les eaux salées marines (bouchon vaseux de densité) et/ou de l’amortissement de l’onde de marée (bouchon vaseux dynamique ou tidal). En s’écoulant vers l’exutoire, la masse d’eau fluviale chargée en particules fines se heurte à la masse d’eau salée plus dense qui circule sur le fond du chenal (courants résiduels ; Allen, 1972). Une partie des matières en suspension est alors piégée en ce point nodal de densité et un mouvement convectif se met en place pour aboutir à la création d’une zone de forte turbidité (fig. 20).

Dans le cas girondin, cette circulation résiduelle de densité est considérée comme secondaire face au rôle joué par l’amortissement de la marée (Bonnet, 1976 ; Allen et al., 1980 ; Castaing, 1981 ; Sottocholio, 1999 ; Sottocholio et al., 2000). Pour rappel, l’onde de marée devient

dissymétrique vers l’amont : la vitesse du flot augmente, ce qui réduit sa durée, tandis que celle du jusant diminue, ce qui accroît sa durée. Lors du flot, la masse d’eau a donc plus d’énergie pour éroder le chenal, remobiliser les particules décantées lors de l’étale de basse mer (période intermédiaire entre le jusant et le flot durant laquelle le courant est nul) et les transporter sur de longues distances. Par conséquent, l’eau ascendante va se charger progressivement en sédiments fins et les transporter vers l’amont jusqu’à se heurter aux eaux fluviales descendantes. Cette rencontre en un point nodal de marée va produire une zone « dynamique » de turbidité, le bouchon vaseux.

On estime que dans la Gironde, le point nodal se situe généralement entre Bordeaux et le Bec d’Ambès et que l’intégralité du bouchon vaseux s’étend sur 70 à 80 km de long (Benadoua, 2008). Sa concentration totale est estimée à 2 à 5 Mt de matières en suspension (Allen, 1972), soit l’équivalent de 1 à 3 ans d’apports fluviatiles. Ces caractéristiques (emplacement, concentration) du bouchon vaseux varient fondamentalement au grès de l’hydrodynamique (fig. 21). Lors d’un cycle de marée, la turbidité est minimale aux étales de pleine et de basse mer tandis que le flot favorise une remontée dans l’estuaire. Lors des marées de vives eaux et du mascaret, la concentration en matières en suspension s’accroît et, là aussi, le bouchon migre vers l’amont. Des études ont démontré que le passage du mascaret faisait passer la concentration en matières en suspension de 1 à 100 g/l (maximal atteint en pleine mer ; Sottocholio et al., 2012), pour une valeur moyenne vers la basse mer de 60 g/l (Chanson et al., 2011). Les apports hydrologiques provenant de l’amont sont aussi déterminants. Le faible débit estival permet une remontée du bouchon vaseux alors que les hautes eaux hivernales le « repoussent » vers l’exutoire. Lorsqu’une crue survient, le bouchon vaseux est partiellement expulsé dans l’océan (fig. 22). À l’inverse, lors des étiages, il peut remonter l’estuaire fluvial sur des kilomètres. On le retrouve ainsi régulièrement à Portets, immédiatement en aval de Langoiran (Etcheber et al., 2007).

Fig. 21 – Turbidité, débit fluvial et coefficient de marée à Bordeaux en 2005. D’après Etcheber et al. (2007). Pour une meilleure visibilité, les débits ont été multipliés par deux.

46 Chapitre 1 - Cadre morpho-structural de la dynamique actuelle de la Garonne maritime

Fig. 22 – Position du bouchon vaseux dans l’estuaire girondin en fonction du débit fluvial. Mesures effectuées mensuellement entre 1975 et 1976 en mortes eaux à basse mer, d’après Castaing (1981), modifié.

Durant les mortes eaux et l’étale, le courant devient si faible qu’une partie des matières en suspension décante et s’accumule dans le fond du chenal pour former la crème de vase. Cette couche peut atteindre 2 à 3 m d’épaisseur (Benadoua, 2008). Elle présente une concentration en particules fines de plus de 100 g/l pour un stock total parfois supérieur à celui du bouchon vaseux. En effet, il a été démontré qu’en période de mortes eaux ou de moyenne marée, la crème de vase pouvait stocker à elle seule 2,5 à 6 Mt de sédiments fins, contre 1,7 à 2,3 Mt pour le bouchon vaseux (Jouanneau, 1979). Lors de la réactivation du courant, ce dépôt vaseux se subdivise en lentilles visqueuses qui suivent le courant. Si celui-ci devient trop soutenu, une partie des lentilles est alors remise en suspension, ce qui contribue à accroître la turbidité du bouchon vaseux.

En somme, l’hydrodynamique fluvio-estuarienne favorise à la fois une forte teneur en particules fines dans le chenal et l’alternance de phases d’érosion et de sédimentation. Cette sédimentation se fait essentiellement dans le fond du chenal, au grès notamment de la

migration du bouchon vaseux, mais concernent aussi le reste de l’espace de vie du chenal (berges) et la plaine d’inondation.

1.3.2. Dans les unités connexes au chenal : omniprésence des limons et