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Apport de l’analyse faunique : les ostracodes

à Langoiran et à Isle-Saint-Georges

3.3.2. Apport de l’analyse faunique : les ostracodes

La détermination des milieux de sédimentation par la seule image CM est soumise à plusieurs limites (conditions de vie dans le milieu de sédimentation). Des indicateurs biologiques ont donc été utilisés pour préciser les environnements et les conditions de vie associés aux différentes unités stratigraphiques. Parmi les indicateurs fauniques existants (foraminifères, mollusques, ostracodes), les ostracodes fossiles ont paru particulièrement appropriés pour préciser les conditions de vie des environnements aquatiques.

Les ostracodes sont des arthropodes crustacés vivant dans tout type de milieu aquatique (mer, lac, fleuve, marais, étang ; eau douce, salée, saumâtre). Ils possèdent une carapace bivalve carbonatée et articulée dorsalement, de taille moyenne comprise entre 0,15 et 2 mm (fig. 54). Le choix de ce marqueur résulte de trois constats : 1) aucune macrofaune n’est présente dans les échantillons, 2) les ostracodes sont d’excellents marqueurs de l’écologie des milieux et de l’hydrodynamique, 3) un référentiel sur les ostracodes actuels de l’estuaire de la Garonne-Gironde existe (Carbonel 1971, 1973 ; Allen, 1974). En effet, les échantillons prélevés dans la plaine alluviale de la Garonne maritime ne possèdent aucune faune visible à l’œil nu. Seuls huit coquilles de mollusques ont été retrouvées parmi l’ensemble des séquences extraites, dont six uniquement dans la séquence ISG1001. Ces coquilles ont été soumises à l’expertise de Nicole Limondin-Lozouet, malacologue rattachée au LGP. Face à cette pauvreté faunique, il fallait trouver un autre bio-indicateur. L’ostracode est rapidement apparu comme le plus approprié grâce à la diversité des milieux qu’il recouvre et à sa sensibilité écologique et hydrologique. De fait, la répartition des ostracodes dépend de nombreux facteurs tels que la salinité, le pH, la température, la nature du substrat et la matière organique présente (Carbonel, 1980 ; Whatley, 1983 ; Henderson, 1990 ; Ikeya et al., 2011 ; Horne et al., 2012 ; Ruiz et al., 2013). Des espèces sont spécialement adaptées aux conditions salées. En général, leur carapace est très ornementée contrairement aux espèces d’eau douce. Le pH, la température et la matière organique sont plutôt des facteurs limitants : les milieux trop acides, mal oxygénés, contenant peu de nutriments et dont la température varie, ne serait-ce que de quelques degrés, limitent le développement des ostracodes ou, tout du moins, engendrent une diminution drastique du nombre d’individus, certaines espèces tolérant tout de même les variations écologiques. Le substrat (i.e., support de vie) joue aussi un rôle important car les ostracodes sont presque exclusivement benthiques. Ils vivent dans les premiers centimètres des sédiments, préférentiellement dans les argiles et les limons. Les sables purs accueillent, généralement, une population très limitée. Quelle que soit la nature de ces divers facteurs, le plus important est la stabilité du milieu, qui est directement contrôlée par les conditions hydrologiques et hydrodynamiques. Une force tractrice trop importante ou trop changeante dans le chenal fluvial est souvent défavorable au développement et à la diversité des populations. À l’inverse, les milieux calmes favorisent le développement de la matière organique et la multiplication des individus. Ainsi, une population dense, diversifiée et contenant de nombreux individus juvéniles sera plutôt significative d’un milieu aquatique calme et/ou stable voire très profond, la profondeur favorisant la stabilité des conditions de vie. Les associations d’ostracodes fossiles peuvent donc fournir de précieuses indications sur la nature des milieux aquatiques (chenal, marais ou autre), leur écologie (salinité, abondance en matière organique…) et leur hydrodynamique (stabilité hydrologique, courant plus ou moins important). Au-delà des caractéristiques de vie des ostracodes, leur état fossile peut aussi renseigner sur un éventuel remaniement fluvial, en cas de valves très abimés notamment. En tout point, les ostracodes sont donc un très bon marqueur des variations environnementales. Il est d’autant plus intéressant d’utiliser ce bio-marqueur qu’un référentiel a été établi dans les années 1970 sur les espèces contemporaines de l’estuaire de la Garonne-Gironde (Carbonel 1971, 1973 ; Allen, 1974). Il met en exergue la présence de cinq espèces dans la Garonne maritime : Candona neglecta (Sars, 1887), Candona compressa (Koch,

98 Chapitre 3 - Sources et méthodes d’étude

1838), Ilyocypris gibba (Ramdohr, 1808), Cypridopsis vidua (Müller, 1776) et Limnocythere inopinata (Baird, 1843). Il s’agit d’espèces d’eau douce tolérant les eaux légèrement saumâtres et vivant dans une variété de milieux aquatiques : étang, lac, marais, rivière, ruisseau. Malgré ce caractère ubiquiste, leur présence dans les archives sédimentaires ou, au contraire, leur absence au profit d’autres assemblages sera riche en renseignement sur la nature et l’évolution du milieu.

Fig. 54 – Exemple d’ostracodes. A : Cypria Ophtalmica (Jurine, 1820) vivant ; B : Cypria Ophtalmica (Jurine, 1820) fossile, LG1202_436, un seul individu présent ; C : Population de Ilyocypris gibba (Ramdohr, 1808), LG13T3_195.

La présence d’ostracodes fossiles a d’abord été vérifiée au sein d’une séquence-test provenant de Langoiran, la LG1202 (fig. 45). C’est Maria Eugenia Montenegro (Paris) qui m’a initié de longues semaines à l’analyse ostracologique. Le test fut assez concluant puisque plusieurs populations de Candona compressa ont été identifiées dans les deux mètres superficiels. Quelques individus furent également retrouvés à 4 et 8 m de profondeur, mais ces derniers ne peuvent pas être pleinement considérés au vu de leur faible densité. Il est probable qu’ils résultent plutôt d’un remaniement (ingestion et transport par un oiseau par exemple). La présence d’ostracodes dans cette carotte-test a conduit à étendre l’analyse à toutes les carottes extraites sous tubes opaques, ainsi qu’à celle prélevée pour la palynologie (7 au total ; fig. 45 et 46). Le choix des échantillons (296 au total) s’est basé sur le même critère que la granulométrie, à savoir les variations de faciès. Tous les échantillons prélevés pour l’ostracologie l’ont donc également été pour la granulométrie. L’extraction des ostracodes s’est faite par simple tamisage humide à 63 μm de 20 à 50 g de sédiments humides. D’autres techniques existent pour préparer les échantillons, en particulier pour désolidariser plus

rapidement les argiles : chauffe de l’échantillon, séparation par liqueurs denses, passage aux ultrasons, alternance de gel-dégel, traitement à l’H2O2, à l’acide, au « calgonite », ou bien encore au solvant (Thomas et Murney, 1981 ; Hodgkinson, 1991 ; De Vernal et al., 1996). Néanmoins, celles-ci nécessitent plus de consommables et peuvent abîmer considérablement les valves (Hodgkinson, 1991). Après tamisage, les sédiments ont été séchés naturellement puis observés à la loupe binoculaire.

Malheureusement, aucun ostracode fossile n’a été retrouvé dans les trois séquences provenant d’Isle-Saint-Georges, les échantillons contenant uniquement des minéraux et de la matière organique. À Langoiran, hormis la carotte-test, une séquence (LG14P1) fait état d’une vingtaine de valves entre 100 et 130 cm de profondeur et une autre (LG13T3) présente une alternance de niveaux stériles et de diverses populations (fig. 54C) jusqu’à 870 cm de profondeur. Les deux autres séquences de Langoiran n’ont donné aucun résultat. L’absence de microfaune dans la majorité des échantillons est décevante mais doit être considérée comme un indice à part entière. Aussi cette absence pourrait-elle s’expliquer par un milieu défavorable à la formation d’ostracodes (milieu instable, anaérobique, salinité changeante…) ou par une disparition des fossiles. La première hypothèse paraît bien plus probable, la seconde impliquant une dissolution des valves carbonatées qui dépasse le cadre temporel de l’Holocène.