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Chenalisation et dragage du milieu du XIX e au XXI e siècle

Portrait de la Garonne maritime et sa vallée

2.3.2. Chenalisation et dragage du milieu du XIX e au XXI e siècle

La seconde moitié du XIXe siècle marque l’apparition de grands aménagements dans l’estuaire de la Gironde en faveur, là encore, de la navigation. La passe de rive gauche est approfondie par d’importants dragages (800.000 m3 en 1882 ; Froidefond, 1982) tandis que des îles sont rattachées à la berge ou entre elles, à l’exemple du trio île Cazeau – île Verte – ïle du Nord dans l’estuaire moyen. Par ailleurs, des épis et des digues sont installés pour canaliser le courant de marée (Allen et al., 1979).

Au XXe siècle, l’endiguement se systématise en val de Garonne tandis que les dragages s’intensifient. L’endiguement de ce siècle visait essentiellement à se protéger des inondations pour éviter de nouvelles catastrophes comme la crue de 1875 qui a fait plus de 400 victimes et ravagé les cultures de fond de vallée. À ce jour, la Garonne maritime compte 106 km de digues de 1 à 4 m de hauteur (EPTB Garonne, 2012 ; fig. 32). Le dragage, qui aspirait au début au maintien de la profondeur navigable dans le chenal, s’est amplifié dans les années 1950 au profit de l’industrie du granulat, matériaux très utilisés pour la construction des routes et des bâtiments. Face à la demande, de très importantes extractions de granulats ont été réalisées en lit mineur, ce qui engendra des conséquences néfastes. En l’espace de quelques décennies seulement, la ligne d’eau s’est abaissée de près d’1,5 m en moyenne, la

charge de fond de la Garonne maritime s’est considérablement affinée, le fleuve a incisé pour compenser le déficit sédimentaire (Steiger et al., 1998), plusieurs zones humides ont été asséchées et les capacités d’autoépuration du fleuve ont diminué (Auzie et al., 2003). Face à ces multiples dommages, les pouvoirs publics ont finalement interdit l’extraction en lit mineur par décret en 1985. Depuis, les anciennes gravières ont été recolonisées par la végétation ou reconverties en plan d’eau, comme en basse Garonne, et les dragages n’ont plus qu’un seul but : limiter l’envasement des fonds estuariens pour maintenir une profondeur navigable dans l’estuaire. D’ailleurs, les embarcations de marchandises en provenance de l’océan se limitent essentiellement à la Gironde et ne naviguent plus en amont de Bordeaux, exception faite des barges spécialement conçues pour le transport des pièces de l’Airbus A380 qui remontent le fleuve jusqu’à Langon.

Le XXe siècle est aussi le siècle des grands aménagements hydrauliques en faveur de l’industrie hydroélectrique et de l’amortissement des risques fluviaux. Au total, environ 380 usines hydroélectriques, 150 barrages réservoirs et plus d’une trentaine de réservoirs de soutien d’étiage ont été construits dans le bassin-versant de la Garonne, dont aucun en Garonne maritime (fig. 33). Les réservoirs de soutien d’étiage visent notamment à contrer les effets néfastes de l’irrigation qui aggrave sans conteste les étiages.

Depuis la loi sur l’eau de 1992, les relations Homme/Garonne sont en plein renouveau. Les interventions n’ont plus qu’un objectif : restaurer et entretenir le lit et les berges tout en valorisant le patrimoine naturel.

En somme, tous les facteurs de contrôle de la dynamique fluviale sont susceptibles d’avoir agi sur la Garonne maritime au cours de l’Holocène. La tectonique a joué un rôle prépondérant dans la structuration de la vallée et il est donc tout à fait possible qu’elle ait rejoué à l’Holocène. Quant aux effets du climat et de l’eustatisme, leur rôle est avéré à l’Holocène. Les variations hydroclimatiques ont directement impacté la partie fluviatile de la Garonne tandis que la remontée du niveau marin a totalement édifié l’estuaire de la Gironde. Interface spatiale et hydro-sédimentaire entre ces deux systèmes, la Garonne maritime a donc considérablement évolué elle aussi. En outre, la limite d’atteinte de la marée dynamique se situait (en plan) dans l’actuel estuaire moyen vers 10.000 BP et aux environs de Bordeaux vers 8000 BP (fig. 34). La Garonne aujourd’hui maritime n’avait donc aucun caractère maritime au début de l’Holocène. Il est impossible pour l’heure de dire à quel moment de la période post-glaciaire l’influence tidale a atteint les sites d’étude puis son emplacement actuel. Par ailleurs, au cours de la transgression flandrienne, le lit de la Gironde a connu une aggradation quasi-continuelle (effet d’estuarisation) alors que la Garonne amont a incisé à plusieurs reprises, en particulier à l’Atlantique. Les premiers éléments d’information tendent à indiquer que la Garonne maritime bordelaise a connu une évolution très similaire à celle de la Gironde (fig. 35). Néanmoins, cela se base sur quelques rares séquences stratigraphiques situées à l’aval de la Garonne maritime. Il est envisageable qu’en amont le

68 Chapitre 2 - État des connaissances sur l’évolution de la Garonne maritime

tronçon touché plus tardivement par l’influence tidale ait connu une évolution plus proche du système fluviatile. Un ultime facteur doit être pris en considération dans la réflexion : l’anthropisation. Dès le Néolithique, l’Homme a impacté le couvert végétal, ce qui a pu réduire les apports sédimentaires et engendrer là aussi des modifications morphologiques. D’ailleurs, l’Homme a modifié directement la géométrie du chenal depuis le XVIIIe siècle, en plus d’installer divers obstacles au bon transfert des débits liquide et solide. Il sera donc intéressant de voir la réponse du fleuve et le rôle précis joué par chacun des facteurs dans l’évolution récente.

Fig. 35 – Synthèse des hypothèses d’évolution holocène de la Garonne à Toulouse, à Bordeaux et en Gironde.

Conclusion

De la Réole au Bec d’Ambès, la Garonne possède aujourd’hui un chenal unique et sinueux soumis à la fois 1) aux processus fluviaux (crue, étiage, apports sédimentaires) déterminés par les caractéristiques du bassin-versant (climat, nature des roches, pente, réseau hydrographique) et 2) aux processus maritimes (marée, houle, mascaret) déterminés par les astres et les conditions météorologiques. Cette particularité est rendue possible par la cote marine actuelle et la morphologie du chenal (forme en entonnoir, faible pente) qui favorise la remontée de la marée dans le chenal fluvial. Le niveau marin a fortement augmenté au cours de l’Holocène, ce qui a fait migrer vers l’amont la limite d’atteinte de la marée dynamique, en plus de modeler la morphologie de l’estuaire en entonnoir. Il est donc certain que pendant une partie de l’Holocène, la Garonne maritime n’avait ni ses limites ni sa morphologie actuelles. Les premiers éléments acquis dans les environs de Bordeaux tendent à démontrer que l’évolution du secteur est assez comparable à celle de la Gironde, avec le passage de chenaux multiples anastomosés à un chenal unique et sinueux, suivie d’une sédimentation vaseuse dans le chenal (Gironde) et à l’arrière des berges (Gironde, Garonne vers Bordeaux). Cela nécessite néanmoins des investigations complémentaires, d’autant plus que Bordeaux se situe dans le tiers aval de la Garonne maritime. Il est possible qu’en amont, l’évolution ait été plus similaire à celle de la Garonne fluviatile, ou du moins pendant plus longtemps. L’enjeu de la seconde partie de cette thèse va être de reconstituer l’évolution du fond de vallée à l’échelle des sites témoins de Langoiran et d’Isle-Saint-Georges. Ces sites se situent dans le tiers central de l’estuaire mais marquent la limite entre une partie amont relativement proche de la morphologie fluviatile (chenal sinueux, bancs de convexité, largeur stable ; site de Langoiran) et une partie aval plus proche de la morphologie girondine (chenal subrectiligne, évasement du chenal vers l’aval ; site d’Isle-Saint-Georges). Ces sites se situent également dans la zone de migration du bouchon vaseux, qui confère au tronçon un important enrichissement en fines dans tous les milieux de sédimentation. En outre, la comparaison entre les archives sédimentaires et le référentiel granulométrique acquis dans les milieux de sédimentation actuels devrait permettre : 1) de constater une évolution de la compétence du cours d’eau, 2) de situer les points de prélèvement par rapports aux paléo-milieux de sédimentation et 3) de voir si ces paléo-milieux de sédimentation sont plus proches de la Garonne fluviatile ou de la partie amont, centrale ou aval de l’estuaire actuel. Enfin, il faudra également garder en mémoire que d’autres facteurs ont pu contribuer à l’évolution du fleuve : la tectonique et l’Homme. La tectonique a un rôle ancestral dans l’histoire de la vallée. De nombreuses failles lui sont sous-jacentes et ont pu engendrer, en cas de réactivation, un déplacement du chenal. L’anthropisation est un fait bien plus récent mais tout aussi conséquent, l’Homme intervenant à la fois directement sur la morphologie du cours d’eau (chenalisation) et indirectement via le couvert végétal (déforestation), l’état des sols (érosion, bétonisation), la charge solide (extraction de granulat) et la charge liquide (prélèvement pour l’agriculture).