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Synthèse de la représentation interne

III. De l’analyse quantitative et chiffrée

3. Synthèse de la représentation interne

L’analyse de la représentation de ces aliments pour les sujets avec troubles se révèle être une entreprise fort difficile, car elle dépend énormément de variations individuelles et d’avis subjectifs. Néanmoins, quelques éléments se détachent des résultats obtenus au sujet des différents qualificatifs : nous tenterons donc d’en faire la synthèse.

L’envie de manger dépend pour beaucoup de la subjectivité de chacun, bien qu’il ait été possible qu’elle soit très forte pour tous les aliments, étant donné que l’heure de la passation avoisinait celle du repas. Remarquons que M. F. nous a dit, à quelques reprises, qu’il avait très envie de manger un aliment qu’il ne pouvait anatomiquement plus consommer, alors qu’il n’avait pas forcément envie de manger un

autre aliment, qui lui est plus accessible du fait de ses troubles. En guise d’exemple, nous pourrions donner la soupe : il sait qu’il peut consommer cet aliment (c’est d’ailleurs ce qu’il fait quotidiennement) mais c’est justement la raison pour laquelle il n’a pas envie de le consommer. Les aliments qu’il ne peut plus manger ont beaucoup plus d’attrait hédonique pour lui car ils représentent le plaisir de s’alimenter et surtout le plaisir de pouvoir les manger. Les appréciations hédoniques semblent donc, pour les patients avec troubles innés, inchangées car fortement dépendantes de l’individualité. Pour les patients avec troubles acquis, et surtout pour M. F., ces appréciations hédoniques sont parfois influencées par le trouble.

Remarquons que les considérations que nous avons appelées esthétiques (visuellement ou auditivement) peuvent conditionner l’envie de manger l’aliment en question. En effet, cela semble grandement influencer l’appétence, d’où la nécessité de la prise en compte de l’aspect des denrées. Pour les déficients visuels qui n’ont que très peu accès à la modalité visuelle, il semblerait qu’il y ait, parfois, un attachement tout particulier au fait d’entendre le nom de la denrée, ce qui stimulerait la faim et conditionnerait l’appréciation future. En revanche, ce n’est pas forcément sur la modalité auditive que s’appuient les personnes témoins des déficients visuels pour dire qu’elles ont envie ou non de manger lorsqu’elles entendent le nom de l’aliment : le visuel leur suffit pour cela.

Néanmoins, nous avons remarqué que, quand les patients disaient qu’ils avaient très envie de manger un aliment mais qu’ils ne le trouvaient pas du tout beau à voir, c’était parce qu’ils pensaient à leur propre représentation de la denrée et à leur manière de la consommer. Au contraire, ce n’est pas parce qu’ils trouvent l’aliment très beau à voir qu’ils ont forcément envie de le manger. Ainsi, la vision conditionne l’appétence et peut donner très envie ou, au contraire, rebuter (c’est le cas pour la soupe ou pour le plat mixé).

L’aisance praxique à la mastication est globalement la même pour les sujets pathologiques que pour leurs témoins. Cela est, tout comme l’envie de manger, un critère subjectif. Nous avons néanmoins noté qu’il était plus difficile pour les déficients auditifs de consommer la pomme et la demi-pomme, ce qui, comme nous l’avons précisé antérieurement, est peut-être lié au manque de retour auditif. Le seul patient qui a, en majorité, répondu pas du tout à ce qualificatif est celui dont les difficultés alimentaires fonctionnelles rendent difficiles les performances masticatoires et la déglutition. Nous pouvions nous attendre à ces réponses de sa part, car il reste attaché à l’actualité de ses troubles.

L’appréciation du caractère convivial des denrées proposées est sensiblement similaire entre les sujets pathologiques et leurs homologues. Notons que cet aspect peut être influencé par les difficultés de consommation alimentaire des sujets avec troubles acquis, ainsi que par le manque de flexibilité de la pensée d’un des patients déficients visuels. Par définition, tous les aliments peuvent être partagés et quasiment tous les patients interrogés utilisaient le terme beaucoup, lorsqu’il leur était demandé si l’aliment était convivial, et s’ils le considéraient effectivement comme tel. Ils pouvaient répondre pas du tout si l’aliment leur plaisait vraiment beaucoup et qu’ils aimaient le garder pour eux seuls. Les aliments en portion individuelle (pomme, demi-pomme) étaient souvent considérés comme ne pouvant pas être partagés. Tous les autres, bien qu’ils soient présentés dans des assiettes individuelles, étaient reconnus comme étant susceptibles d’être partagés avec autrui, ce qui montre que l’alimentation a vraiment un caractère éminemment convivial, qu’il y ait trouble ou non. En guise d’exemple, nous pouvons citer celui du croissant : bien qu’il ait été seul sur la photographie, de nombreux sujets parvenaient à s’extraire de cette donnée (apportée par la représentation visuelle) afin de considérer la viennoiserie dans un contexte, qui était celui du petit-déjeuner, partagé en famille ou entre amis.

En ce qui concerne la considération de la santé, il s’agissait bel et bien d’un critère très implicite et très difficile à quantifier, même pour les personnes témoins. Nous retrouvons, globalement, une bonne conscience et une bonne connaissance des informations sanitaires, hormis pour la plus jeune patiente déficiente auditive. Il semblerait que son monde sensoriel à quatre facettes uniquement ne lui permette pas d’avoir toutes les informations nécessaires sur les aliments puisque la petite fille à laquelle elle a été

appariée dit pouvoir répondre à cette question grâce à ce qu’elle a entendu. De plus, les campagnes de santé publique restent très ciblées sur des aliments ou des aspects alimentaires en particulier. Cela ressort donc dans les réponses apportées par les sujets, qui sont très tranchés en ce qui concerne certaines denrées et moins pour d’autres, qui ne font pas l’objet de sensibilisations particulières. Nous remarquons néanmoins une tension implicite entre le plaisir alimentaire que peuvent procurer certains aliments, et la raison relative à leurs éventuels effets néfastes sur la santé, et ce d’un point de vue social et personnel. Egalement, l’âge et la pathologie auraient une incidence sur l’approche de l’aspect sanitaire des denrées.

Dans l’ensemble, les déficients auditifs et les sujets avec troubles acquis sont les patients qui se rapprochent le plus de leurs homologues témoins. Cela s’explique certainement, pour les déficients auditifs, par le fait que leur déficit sensoriel, en partie résolu grâce à l’appareillage (qui n’est pas forcément porté, rappelons-le), ne les empêche pas forcément d’avoir une représentation identique des aliments. Nous pourrions donc imaginer que l’ouïe, comme évoqué précédemment, n’a pas un impact des plus primordiaux dans l’acte alimentaire et dans la construction représentative que les déficients auditifs réalisent autour des aliments. Nous pouvons simplement modérer cette hypothèse pour la patiente la plus jeune et la plus déficitaire, qui, à de nombreuses reprises, dit qu’elle ne sait pas pour le critère santé. Cela est peut-être dû à son manque sensoriel, qui l’empêche d’avoir toutes les données, ici sociales, sur les aliments.

Pour les personnes avec troubles acquis, cela s’explique certainement par la relative conservation de la représentation de l’aliment malgré le trouble, étant donné qu’il y a eu une construction représentative autour de l’aliment sans les déficits sensoriels ou alimentaires. Nous employons le terme relative car, lorsque nous nous attachons à observer chaque aliment un par un, nous pouvons remarquer que, parfois, au contraire, le trouble modifie complètement la représentation de l’aliment, qui franchit donc des paliers inférieurs sur tous les plans.

Les déficients visuels, et en particulier l’un d’entre eux, semble manquer de flexibilité mentale. Cette dernière est certainement causée par le trouble sensoriel et influence donc ses réponses de manière parfois notable, avec des affirmations très tranchées et une grande influence d’une réponse sur toutes les autres. Les troubles sensoriels ou alimentaires peuvent donc parfois influencer la représentation que les sujets ont des aliments.