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La prise en charge orthophonique de ces patients après leur opération

III. De la difficulté sensorielle « innée » à la difficulté sensorielle « acquise » et

1. De la difficulté sensorielle « innée »

3.3. La prise en charge orthophonique de ces patients après leur opération

Les troubles de la déglutition sont donc consécutifs à ces chirurgies. Il est également important de savoir que la radiothérapie, dont nous avons parlé précédemment, est proposée de manière quasi systématique après une chirurgie, ce qui rajoute aux troubles de la déglutition des troubles d’ordres salivaire et gustatif. Ces effets secondaires sont objectivables pendant et après la radiothérapie (Woisard-Bassols et Puech, 2003)1. La chimiothérapie, elle aussi, est susceptible de provoquer d’importantes modifications

sensorielles, tout comme des pertes d’appétit ou encore des nausées.

Dès lors, il n’est plus possible, pour ces patients, de s’alimenter comme avant. Ils doivent donc adapter leurs prises alimentaires à leurs troubles, ce qui peut être difficilement vécu par certains sujets. En effet, il peut être difficile pour eux d’accepter les changements et de modifier ce qui est à la base même de l’existence : l’alimentation (Woisard, 2011)2. L’orthophoniste, qui possède une connaissance précise des

mécanismes de la déglutition ainsi que des conséquences alimentaires fonctionnelles engendrées par ces chirurgies buccales et oro-pharyngées, est à même d’accompagner son patient sur ce chemin délicat et tortueux et de lui proposer une réhabilitation ainsi que des adaptations alimentaires. La transformation des mets devient donc primordiale (Puech, 2011)3, tout comme la modification de l’approche de l’acte

alimentaire.

C’est donc à travers sa propre oralité verbale et sa propre mise en mots que l’orthophoniste s’occupe de rééduquer, ou plutôt d’adapter, l’oralité alimentaire troublée du patient qu’il suit. Cela passe par des conseils avisés apportés au sujet en fonction de ses difficultés. Ces conseils concernent le repas, aussi bien avant que pendant l’acte alimentaire. Des ajustements sont, en effet, nécessaires : la texture des aliments doit être modifiée, tout comme le volume des bouchées (Woissard-Bassols et Puech, 2003)4.

L’orthophoniste doit également garder à l’esprit la notion de plaisir alimentaire, excessivement importante (Puech, 2011)5.

1 WOISARD-BASSOLS, Virginie et PUECH, Michèle. La réhabilitation de la déglutition chez l’adulte, pages 302 et 303.

2 Ibid., introduction.

3 PUECH, Michèle. Saveurs partagées : la gastronomie adaptée aux troubles de la déglutition, page 11. 4 WOISARD-BASSOLS, Virginie et PUECH, Michèle. La réhabilitation de la déglutition chez l’adulte, page 178.

En premier lieu, des adaptations de l’environnement autour du repas sont proposées. Il s’agit de l’installation adéquate du patient (qui doit lui permettre d’être le plus autonome possible) et également du choix d’ustensiles adaptés. Il est préférable d’éviter les distractions lors de l’acte alimentaire (comme la télévision, la radio, etc.), distractions qui sont susceptibles de majorer l’anxiété du patient qui est déjà angoissé par le repas qui se profile. Les adaptations environnementales s’adressent aussi à toutes les modalités sensorielles visuelles, tactiles, auditives ou olfactives susceptibles de stimuler le patient et d’initier le bon déroulement de la déglutition. Cela doit être adapté à chaque sujet (Woisard et Puech, 2003)1. Il est également très important de faire en sorte que le repas ainsi que la manière dont il est présenté

au patient soient attractifs, afin de conserver intactes la faim et l’envie de manger.

En second lieu, c’est le repas lui-même et ce qui le compose intrinsèquement qui, tous deux, doivent être adaptés. Comme évoqué auparavant, une transformation des aliments est indispensable. Les caractéristiques physico-chimiques et organoleptiques des aliments se doivent d’être modifiées afin de correspondre au mieux au trouble présenté par le sujet et d’aider le processus de la déglutition, pour qu’il soit le plus efficace et sécuritaire possible. La texture (comme la viscosité, la cohésion, etc.) et la consistance des denrées sont les premières choses qui sont adaptées aux difficultés alimentaires fonctionnelles. Si le patient éprouve des difficultés à propulser le bol alimentaire de la bouche vers l’œsophage, alors des aliments plus glissants et plus fluides lui seront proposés. S’il ne parvient pas à manipuler le bol alimentaire en bouche, des aliments conservant une bonne cohésion seront préférés pour lui, dans le but d’éviter l’éparpillement intra-buccal des denrées. Ainsi, peuvent être proposées des alimentations liquide, mixée fluide à épaisse, hachée ou molle. Les qualités organoleptiques de certaines denrées peuvent également être utilisées dans le but de stimuler certains temps de la déglutition : l’amertume et l’acidité stimulent le temps oral, les boissons gazeuses ainsi que les aliments très froids permettent d’accéder plus rapidement au déclenchement du temps pharyngé tandis que les produits lactés peuvent agir sur la production salivaire (Woissard et Puech, 2003)2. De la même manière, le volume de la

bouchée administrée doit être adapté. Il est indispensable de trouver le volume idéal de cette dernière, la bonne vitesse d’administration et la manière dont elle est placée en bouche. Dans le cas d’une hémi- glossectomie latérale par exemple, les stratégies d’adaptation suivantes seront proposées au patient : la texture sera, dans un premier temps, mixée et homogène (afin d’éviter l’éparpillement intra-buccal) puis plus solide ; le volume de la bouchée ne dépassera pas la cuillère à café au début et sera mise en bouche du côté sain, et la tête du patient devra être inclinée du côté sain afin que la propulsion du bol alimentaire soit le plus efficace possible.

L’ensemble des qualités organoleptiques des aliments est donc à prendre en compte par l’orthophoniste afin de proposer au patient une réhabilitation la plus adaptée possible, tout en stimulant certains temps de la déglutition et en prenant en compte la notion très importante de plaisir alimentaire. Ce plaisir apporté par l’alimentation est souvent mis de côté, au profit de la simple, et néanmoins primordiale, modification des textures. En troisième et dernier lieu donc, l’orthophoniste s’efforce ainsi de replacer son patient dans un contexte culturel et familial afin que s’exprime pleinement son individualité et ses particularités alimentaires antérieures, qui évoquent des notions telles que l’enfance, la culture ou les préférences alimentaires. Il s’agit de tenter autant que faire ce peut de susciter le plaisir sensoriel pendant l’acte alimentaire, afin de redonner la faim de la vie et du plaisir alimentaire à ces patients qui ont subi des chirurgies dégradantes (Osta et Demeure, 2013)3. Le livre de recettes hachées et mixées Saveurs partagées,

dont nous devons l’écriture à deux chefs cuisiniers souffrant de troubles de la déglutition, ainsi qu’à l’orthophoniste Michèle Puech et à la diététicienne Gaëlle Soriano, met en avant quatre-vingt recettes

1 WOISARD-BASSOLS Virginie et PUECH, Michèle. La réhabilitation de la déglutition chez l’adulte, page 178.

2 Ibid.

adaptées aux troubles de la déglutition, pour que coexistent adaptation de l’alimentation et plaisir de la table, du manger ensemble, et surtout plaisir gustatif et sensoriel. Comme cela est très justement indiqué, cet ouvrage se propose de rendre la gastronomie et ses joies accessibles aux personnes souffrant de troubles de la déglutition (Sidobre, Chevallier, Soriano et Puech, 2011)1. Puisque le rôle de l’orthophoniste est aussi

celui de rétablir une gêne fonctionnelle alimentaire, il lui incombe également de prendre en compte l’aliment selon ses modalités sensorielles, afin que, en plus de l’adaptation des textures, soit intégrée la notion de plaisir alimentaire et que soit réhabilité le goût de la vie.

Quelle que soit la pathologie rencontrée ou la difficulté sensorielle abordée, la prise en compte de la sensorialité des sujets, au cœur même de la vie de chacun, constitue un pan important de la thérapie orthophonique. Les orthophonistes s’adressent avant tout à des sujets ayant des vécus sensoriel et alimentaire propres et singuliers, bien que tous deux puissent être rendus plus délicats par certains troubles. Orthophoniste et patient, deux êtres humains sensoriels placés l’un en face de l’autre ou bien l’un à côté de l’autre, marchent ensemble sur le chemin de la sensorialité, quel que celui-ci soit, afin de pallier les maux sensoriels ou alimentaires et de les mettre en mots. Si elle est observée avec plus de recul et plus généralement, nous nous rendons compte que l’orthophonie permet le passage par la quasi-totalité de la sensorialité du patient mais aussi par celle du thérapeute. Les contacts tactile (sans être intrusif, sans que cela ne gêne le patient et son orthophoniste et tout en gardant une distance thérapeutique nécessaire à l’établissement du soin), auditif et visuel entre l’orthophoniste et son patient désignent la charpente de la relation humaine qui se forge entre eux.

1 SIDOBRE, Pascal ; CHEVALLIER, Christian ; SORIANO, Gaëlle et PUECH, Michèle. Saveurs partagées : la gastronomie adaptée aux troubles de la déglutition, 80 recettes hachées et mixées.

Chapitre II

PARTIE PRATIQUE

« Il ne suffit pas qu’un aliment soit bon à manger, encore faut-il qu’il soit bon à

penser. » Claude Lévi-Strauss