• Aucun résultat trouvé

Synthèse des éléments de positionnement conceptuel retenus : une a pproche de l’économie circulaire au prisme des business models

1.2. L’ INTERET D ’ UNE APPROCHE DE L ’ ECONOMIE CIRCULAIRE PAR LES B USINESS M ODELS

1.2.3. Synthèse des éléments de positionnement conceptuel retenus : une a pproche de l’économie circulaire au prisme des business models

Dans la sous-section précédente, nous avions mis en évidence un constat : la littérature sur l'économie circulaire s'avère contradictoire quant à ses bénéfices économiques. D'un côté, elle formule la promesse d’une triple création de valeur économique, environnementale et sociale qui découlerait de ce modèle au niveau macroéconomique. De l'autre, elle constate que la circularité demeurerait seulement un modèle « émergent » et qu'une « transition » vers une économie circulaire, ou ne serait- ce qu'une « concurrence » plus équilibrée avec une économie linéaire « plus institutionnalisée », nécessiterait des « changements d'ordre systémique ». Afin de forger une meilleure compréhension de ces conclusions paradoxales, qui constituent à notre sens un point dur de la littérature, de nombreuses voix insistent sur la nécessité de mener de nouvelles recherches empiriques au niveau de l'entreprise. La question posée est alors celle des activités de bouclage que les acteurs revendiquent mettre en place en tant que potentiels leviers de performance pour les entreprises.

75

Dans la continuité de ce raisonnement, nous nous attacherons à montrer en quoi la notion de business

model constitue un prisme d’analyse adéquat pour analyser ce phénomène dans la présente sous-

section. Pour ce faire, nous avons fait le choix d'une analyse ciblée du programme de recherche qui l'étudie. Nous l'avons élaborée de manière itérative au travers d'allers-retours avec notre terrain, de sorte qu'elle se centre sur les seuls éléments correspondant aux problématiques majeures que nous y avons rencontrées. Nous conclurons en montrant que ce phénomène de développement revendiqué de nouveaux BM, que nous appelons à l'image d'autres chercheurs circulaires, permet d’analyser certaines problématiques qui sont considérées comme des axes prometteurs de recherche par la communauté.

Si le management stratégique, et plus encore la littérature francophone, s’est encore peu emparé de l’objet d’étude que constitue l’économie circulaire (Beulque et al., 2018 ; Boons et Lüdeke-Freund, 2012), il pose les bases théoriques qui permettent de comprendre ces phénomènes de création et de captation de valeur. Une grande diversité de définition du BM a été proposée (Moyon, 2011). De manière générale, il renvoie ainsi à une description de l’articulation entre différents composants, ou « building blocks », en vue de produire une proposition qui peut générer de la valeur pour des consommateurs, et de fait pour l’organisation (Tikkanen et al., 2005).

L'intérêt de retenir cette notion plutôt que d'autres concepts et outils issus du management stratégique tient à la vision renouvelée et concrète qu'il offre de ce dernier (Lecocq et al., 2010). La

communauté se concentre en effet sur la génération de revenus et les coûts qui sont supportés par les organisations, dont la différence détermine le profit qu'elles sont à même de générer. Elle invite également à s’intéresser non seulement à l’organisation, mais aussi à l’ensemble des liens inter- organisationnels qu'elle a tissés, tout en rappelant le lien indissociable qui les unit aux produits et/ou services proposés. Elle rappelle enfin le rôle actif des dirigeants et des managers dans le fonctionnement de l’entreprise. Ce faisant, le BM contribue à réintroduire les questions de management, qui ont longtemps été reléguées au second plan dans certains courants traditionnels de l’analyse stratégique (Desreumaux, 2014). Ces derniers se centrent en effet sur la question de l’avantage compétitif, de l’analyse de l’environnement concurrentiel, ou des seules ressources de l’entreprise. Plus abstraites et difficilement utilisables par les praticiens, ces notions sont peu adaptées à l’étude de processus d’innovation stratégique (Moyon, 2011). A l’inverse, l’approche pragmatique du BM, qui insiste sur le « comment » l’entreprise crée et capte de la valeur, nous semble mieux adaptée à l’étude de nouvelles activités de bouclage inspirées de l'économie circulaire. Comme nous le verrons, elles se caractérisent en effet souvent par des activités d’expérimentation dans l’incertain, où il peut s’agir de développer simultanément de nouvelles activités, compétences, réseaux de valeur, et plus largement de nouveaux marchés et filières (Bicket et al., 2014 ; Chesbrough, 2010).

76

Comprendre ce qu'est un BM et la manière dont la notion peut être mobilisée requiert également de s'intéresser à la pluralité des statuts ontologiques qui lui sont attribués (Lecocq et al., 2018). Au

cours de ce travail de recherche, nous avons considéré que ceux-ci ne sont pas exclusifs, et à l’inverse souhaité tirer profit de cette diversité. En tant que chercheur, nous l'avons ainsi mobilisé en tant qu'outil de représentation des mécanismes de création et de captation de valeur au sein des entreprises étudiées (Baden-Fuller et Mangematin, 2013). Il nous a alors par exemple permis d’identifier certaines des logiques de création de valeur propres aux BMC étudiés, entendue au sens d’articulation cohérente de composants. En tant que praticien réflexif que nous avons été, nous l'avons également utilisé en tant que concept cognitif et qu'outil de construction de projets de valeur (Desreumaux, 2014 ; Lecocq et al., 2018 ; Maucuer et al., 2018 ; Saives et al., 2012). De manière plus

générale, nous nous sommes inscrits dans le courant de recherche contemporain qui préconise d'analyser le BM en tant que processus et résultat (Baden-Fuller et Mangematin, 2015), qui nous semble permettre de combiner une pluralité de statuts ontologiques. Plus spécifiquement, nous nous sommes intéressés à une piste de recherche ouverte pas Demil et Lecocq. Si le BM constitue un concept cognitif qui peut être manipulé par des managers, ils constatent ainsi que l’émergence d'un nouveau BM nécessite également des modifications concrètes aux réalités que constituent les opérations et structures d'une entreprise (Demil et Lecocq, 2015). Ils investiguent donc le rôle des artefacts, entendus en tant qu’objets construits par l'être humain, dans l’émergence de nouveaux BM. Cette optique nous semble renvoyer à un autre statut ontologique proposé, selon laquelle le BM

constitue une pratique stratégique associée aux processus de création de valeur (Lecocq et al., 2018 ; Teece, 2010).

Cette analyse du BM en tant que processus et résultat correspond à ce qui est actuellement considéré comme l’intérêt principal de la notion de BM. Au-delà d'approches statiques, une littérature centrée sur l’innovation de BM permet en effet une lecture dynamique des mécanismes de création et de captation de valeur (Aspara et al., 2013 ; Aversa et al., 2015 ; Baden-Fuller et Mangematin, 2015 ; Demil et Lecocq, 2010 ; etc.). De manière générale, on peut définir l'innovation de BM comme une nouvelle manière de créer et capter de la valeur. Elle peut être obtenue de différentes manières, au travers de changements opérés et de réglages minutieux concernant un ou plusieurs composants d'un BM existant et les liens qui les unissent (Amit et Zott, 2012 ; Chesbrough, 2010 ; Demil et Lecocq, 2010 ; Gandia et al., 2017 ; etc.). Une innovation de BM peut être entendue dans une optique comparatiste. Une manière de créer et capter de la valeur, comme par exemple dans notre cas des BM circulaires, sera alors considérée comme innovante si elle est nouvelle, de manière générale ou dans un secteur d’activité. Une autre approche peut être dite processuelle. Elle se concentre sur l’émergence et la transformation d’un BM donné. Ce processus peut amener à une simple évolution. Il peut aussi aboutir à un nouveau BM dans des cas d'entreprenariat, de lancement de nouvelles activités ou de

77

transformations plus profondes du BM d’une entreprise établie. La littérature nous enseigne que ces processus sont « continus » et requièrent des « transformations et une évolution incrémentales » (Khanagha et al., 2014 ; Mitchell et Bruckner Coles, 2004). Elle insiste également sur le rôle crucial de l’exploration et des niveaux intermédiaires de managers dans ce qui constituent des processus d'apprentissage (Chanal, 2011 ; Chesbrough, 2010 ; Khanagha et al., 2014 ; McGrath, 2010 ; Mitchell et Bruckner Coles, 2004 ; Sosna et al., 2010 ; Van den Oever et Martin, 2015).

Nous avons choisi d'analyser ces dynamiques de transformation et d'innovation de BM aux deux niveaux que constituent l'activité et l'entreprise.

Le premier niveau d’analyse concerne le BM relatif aux activités de bouclage inspirées de l'économie circulaire mises en place par certaines entreprises. En effet, c'est traditionnellement à ce niveau que

le concept de BM est mobilisé (Casadesus-Masanell et Ricart, 2010 ; Demil et Lecocq, 2010 ; Zott et Amit, 2008). Du point de vue organisationnel, ce niveau renvoie donc aux notions de Domaine d'Activité Stratégique (DAS) ou de Business Unit (Aspara et al., 2013 ; Desreumaux, 2014). A ce niveau

de l'activité, nous avons choisi de principalement mobiliser deux modèles proposés par la littérature (Baden-Fuller et Mangematin, 2013 ; Lecocq et al., 2006). S'ils sont généralement opposés, ils nous

apparaissent à l'inverse complémentaires de par la diversité des mécanismes de création et de captation de valeur qu'ils font ressortir.

Nous mobilisons ainsi tout d'abord le modèle RCOV tel que proposé par Lecocq et al. (2006). Il se fonde sur trois composantes principales en interaction de façon dynamique : les ressources et les compétences (RC), l’organisation des activités internes et externes (O) et la proposition de valeur (V). Ce modèle s’inspire d’une vision Penrosienne de l’entreprise en tant qu’ensemble de ressources. Or, l'analyse d'une grande diversité de définitions du BM montre que ces ressources et compétences, dont le développement représente également un enjeu clef en termes de mise en place de nouveaux BM circulaires (FEM, 2012), constituent des éléments essentiels de tout BM (Moyon, 2011). A noter ici que dans un programme de recherche antérieur à celui étudiant les BM, des chercheurs ont identifié un ensemble de caractéristiques des ressources et compétences pouvant être à l’origine d’un avantage concurrentiel. Barney (1991) met ainsi en évidence quatre critères : les ressources doivent être de valeur, rares, inimitables et substituables. De manière plus cruciale, le modèle RCOV permet de combiner une double lecture des BM. De manière statique, il décrit et résume des logiques de création de valeur, tout en offrant une vision des dynamiques créées par les interactions entre chacun de ses composants. En ce sens, il autorise également l’étude des processus d'émergence et de transformation des BMC, qu’ils constituent de simples évolutions ou la mise en place de nouveaux BM innovants et disruptifs, lorsque de nouvelles manières de créer de la valeur voient le jour au travers de nouvelles configurations où un voire plusieurs des composants d’un BM sont modifiés (Chesbrough et

78

Rosenbloom, 2002 ; Garreau et al., 2015 ; Khanagha et al., 2014 ; Sempels, 2014). Enfin, à l’image des autres travaux inspirés par une approche transformationnelle (Aspara et al., 2013), le modèle RCOV permet d’analyser ces processus d’évolution non pas uniquement à partir de l’articulation des composantes internes du BM mais également à partir de composantes externes. Comme le démontrent Dewitte et al. (2017), il peut ainsi permettre d’intégrer des éléments de l’environnement légal, institutionnel ou de marché de l’entreprise, qui participent à la pérennité et à l’évolution des BMC (FEM, 2015b ; Kok et al., 2013 ; IEC, 2014).

Nous mobilisons également le modèle proposé par Baden-Fuller et Mangematin (2013). Le BM y est représenté comme articulé autour des quatre dimensions principales que constituent l'identification des clients (« customer identification »), la réponse à leurs besoins au travers d'une proposition de valeur (« customer engagement »), la monétisation de la valeur créée, et la manière dont l'entreprise « délivre la valeur » au consommateur au travers d'un « ensemble de liens » qui relient les dimensions précédentes du BM (« value delivery and linkage »). A l'image de Lecocq et al. (2006), cette modélisation apparaît en effet adaptée à une lecture dynamique des processus d'émergence et de transformation de BM innovants (Baden-Fuller et Mangematin, 2015). Or, nous avons vu qu'ils constituent un enjeu clef en matière d'économie circulaire (Sempels, 2014). Elle apparaît également centrée sur les consommateurs, dont l'identification et la satisfaction sur de nouveaux marchés à structurer représente un autre enjeu en vue du développement de tout BM circulaire (Bicket et al., 2014 ; Sempels, 2014). A ce sujet, les auteurs rappellent également une distinction traditionnelle du management stratégique, entre des logiques « taxi » visant à satisfaire ces besoins au travers de la réalisation d'un problème spécifique et d'interactions avec les consommateurs, et de l'autre des logiques « bus » basées sur la production de biens standardisés au travers de procédés répétitifs. Or, comme nous le verrons dans la sous-section suivante, ces logiques de qualités des propositions de valeur et les processus en jeu constituent une problématique importante révélée par notre terrain. Au cours de notre travail de recherche, il est enfin apparu que les mécanismes de fixation des prix (« pricing »), la temporalité des paiements (« timings of payments ») et les méthodes de collecte des revenus (« methods of collecting revenues ») constituaient également des paramètres importants des BM étudiés.

Dans la continuité de cette logique itérative entre notre terrain et la littérature, nous avons enfin introduit deux dernières dimensions au cadre théorique que nous cherchions à construire. Tant la littérature (FEM, 2013 ; Joustra et al., 2013 ; Kok et al., 2013) que les problématiques opérationnelles rencontrées incitaient en effet à une analyse poussée du rôle de « l’architecture générale des flux d’information » (« overall architecture of flows of information ») (Amit et Zott, 2010 ; Casadesus- Masanell et Ricart, 2010). De même, à l’image de Desmarteau et Saives (2008), nous avons intégré

79

l’analyse des concurrents existant aux BM circulaires, dans un contexte où l’économie linéaire est généralement décrite comme plus institutionnalisée (Tukker et Tischner, 2006).

Au-delà de ce niveau de l’activité, nous avons intégré à notre analyse un second niveau : celui de l'entreprise. En effet, les BM fondés sur des activités de bouclage que nous avons étudiés ne

provenaient pas de démarches d'entreprenariat. Ils ont à l'inverse été mis en place dans des entreprises existantes - Petites et Moyennes Entreprises ou Grandes Entreprises - possédant déjà un ou plusieurs BM antérieurs. En la matière, le programme de recherche sur les BM nous enseigne deux éléments principaux. Il est tout d’abord nécessaire de distinguer deux types de BM qui coexistent

dans les organisations diversifiées (Aspara et al., 2013) : les BM des domaines d'activités stratégiques et le BM d'entreprise (« Corporate Business Model » ou CBM). En tant que dispositif

cognitif, un CBM constituerait ainsi un mode de raisonnement partagé entre les différents échelons hiérarchiques. Plus précisément, il pourrait être utilisé en tant qu'outil de coordination verticale et horizontale au sein de la chaine hiérarchique, qui permettrait de guider les choix à différents niveaux de l’entreprise (Mérindol et Versailles, 2018). Ces mêmes entreprises diversifiées, qui opèrent

différents domaines d'activité, possèdent également ce qu’il convient d’appeler un « portefeuille de BM » (Sabatier et al., 2010). Il s'agirait alors d'en assurer une « gestion efficace », en créant des synergies positives entre les différents BM le constituant, afin de d'optimiser la valeur créée et captée. Markides (2013) rappelle lui à l'inverse qu'un BM peut se révéler incompatible avec d’autres

BM en raison de logiques spécifiques relevant des produits et/ou services proposés, des chaînes et réseaux de valeur en jeu, ou encore des marchés desservis. Ces interactions, cohérentes ou

incohérentes, ainsi que les processus itératifs visant à créer des interdépendances entre BM d'un même portefeuille, demeurent encore un pan sous-développé de la recherche.

A l'image de Desreumaux (2014), qui appelle à ne pas se limiter à une stricte analyse d’un niveau qu’il décrit comme « micro-organisationnel », nous ajouterons à notre cadre théorique un troisième niveau d’analyse qui resitue l’entreprise dans un cadre plus collectif. A l’inverse, et à l’image de

Dewitte et al. (2017) qui analysent les relations entre contraintes réglementaires et évolution de BM, il incite à y « intégrer [...] des éléments de contextualisation institutionnelle », s'étonnant de leur absence dans une partie de la littérature alors qu’ils sont jugés comme centraux en management stratégique. Nous préciserons ce troisième niveau d’analyse ultérieurement, une fois que nous aurons établi en quoi l’économie circulaire interroge la notion de BM en ce sens.

En conclusion de cette sous-section, il apparaît que le BM fournit bien une base conceptuelle pour analyser la mise en place d'activités de bouclage que certaines entreprises revendiquent effectuer.

Cette problématique de BM émergents dans entreprises établies correspond également aux questionnements contemporains de la recherche académiques sur les BM. D'un point de vue

80

théorique, nous ambitionnons donc à contribuer à certaines pistes de l'agenda de recherche établi concernant les processus d’innovation de BM. Plus spécifiquement, nos terrains permettent de poser la question du « comment » émergent et se transforment des BM. Or, comme le soulignent Demil et Lecocq (2015), les micro-processus relatifs à ces phénomènes demeurent peu étudiés. A la suite de ces chercheurs, nous avons favorisé la piste de recherche suivante : au-delà des opérations cognitives qui participent à ce processus, quel rôle jouent les artefacts dans l’émergence et la transformation des BM ? Selon ces derniers, les BM requerraient des artefacts, à savoir des objets créés par l'être humain, afin de se matérialiser en une réalité organisationnelle, ces aspects demeurant trop souvent négligés dans la littérature sur le sujet (Lüdeke-Freund et al., 2016). En

outre, ce terrain permet d’interroger les spécificités de ces processus dans des entreprises établies, au sein desquelles une structure organisationnelle préexiste (Baden-Fuller et Mangematin, 2015 ; Chesbrough, 2010 ; Demil et Lecocq, 2015 ; Häfliger et al., 2016 ; Schaltegger et al., 2016). Au-delà du niveau de l’activité, nous faisons l’hypothèse que la question du rôle de ces artefacts peut également être posée au niveau du Corporate Business Model et du portefeuille de BM que ces entreprises opèrent.

81

Outline

Documents relatifs