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Les phénomènes d’innovation et de transformation des business models

1.2. L’ INTERET D ’ UNE APPROCHE DE L ’ ECONOMIE CIRCULAIRE PAR LES B USINESS M ODELS

1.2.2. Les phénomènes d’innovation et de transformation des business models

Dans les paragraphes précédents, nous avons montré que le BM permettait d'appréhender les mécanismes de création et de captation de valeur au niveau de l'entreprise et de ses différents domaines d'activité. Cependant, au-delà de cette approche statique, le développement par des entreprises de nouvelles activités de bouclage inspirées de l'économie circulaire appelle à une analyse dynamique des phénomènes de ces mécanismes.

Le BM fournit également une base théorique à cet effet. En tant que modèle de conception stratégique, il constitue en effet un levier au service du renouvellement stratégique, du changement et de l’innovation (Zott et al., 2011). La notion de business model constitue même un concept de référence pour analyser les modalités innovantes de création et de captation de valeur (Lecocq et al., 2018)

1.2.2.1. L’innovation de business model : éléments choisis de définition

Une première question se pose : qu’entend-on par innovation de business model ?

Cette thématique est particulièrement discutée au sein de la communauté, de sorte qu'en dépit de la littérature produite, elle continue à constituer une piste de recherche jugée sous-développée et à investiguer (Baden-Fuller et Mangematin, 2015 ; Demil et Lecocq, 2015 ; Frankenberger et al., 2013 ; Schneider et Spieth, 2012)

« The […] challenge is to consider what business model innovation means for strategists. » (Baden-Fuller et Mangematin, 2015)

De manière générale, on peut définir l'innovation de BM comme une nouvelle manière de créer et capter de la valeur. Elle peut être obtenue de différentes manières, au travers de changement opérés concernant un ou plusieurs composants d'un BM existant (Amit et Zott, 2001 ; Chesbrough, 2010 ;

Demil et Lecocq, 2010 ; Frankenberger et al., 2013 ; Mitchell et Coles, 2003 ; Osterwalder et Pigneur, 2010 ; Teece, 2010). Une entreprise pourra ainsi par exemple recourir à de nouveaux partenaires ou chercher à toucher de nouveaux consommateurs (Amit et Zott, 2012). Elle pourra également opérer un nombre d'activités plus restreint ou au contraire important, développer de nouvelles propositions de valeur et de nouvelles sources de revenus, ou encore redéployer des ressources et compétences à destination de nouveaux marchés (Moyon, 2011).

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Si on reprend la définition du BM proposée par Amit et Zott (2012), une innovation de business model peut avoir lieu de trois grandes manières :

- L'ajout de nouvelles activités, qui modifierait le « contenu » du « système d'activité » qu'est selon eux le BM ;

- La modification des liens (« links ») qui lient ces activités entre elles, qui en change la « structure » ;

- Et enfin le changement d'un ou plusieurs des acteurs qui opèrent ces activités. Les auteurs mentionnent ici un changement de « gouvernance ».

Se basant sur les freins qui existent à ce phénomène, la littérature a formalisé de nombreux modèles de processus types d'innovation de BM, conçus comme des outils permettant d'aider les praticiens (Amit et Zott, 2012 ; Frankenberger et al., 2013 ; Osterwalder et Pigneur, 2010 ; Teece, 2010). Cela ne constitue pas l'objet de cette thèse, et ne sera donc pas développé dans ce manuscrit.

A noter que l’innovation de BM peut être entendue de différentes manières. Une manière de créer de la valeur peut être considérée comme nouvelle parce qu’elle apparaît pour la première fois ou demeure peu répandue, de manière générale ou dans un secteur donné (Demil et Lecocq, 2010). Nous verrons que c’est le cas de BM basés sur des activités de bouclage que nous étudierons. Dans ce cas, le BM est mobilisé comme outil de représentation par le chercheur.

1.2.2.2. Les approches transformationnelles : vers une combinaison de lectures statiques et dynamiques des processus de création de valeur

L’innovation de BM peut aussi se référer au seul processus de transformation du BM d’une entreprise donnée, sans considérer le caractère inédit ou original de la logique de création de valeur observée. Dans ce cas, le BM ne donne pas lieu à une lecture statique. A l’image de ce que de nombreux chercheurs considèrent comme un agenda de recherche ambitieux, il s’agit alors d’adopter une approche plus dynamique des mécanismes de création et de captation de valeur (Aspara et al., 2013 ; Aversa et al., 2015 ; Baden-Fuller et Mangematin, 2015 ; Demil et Lecocq, 2010 ; etc.).

Mitchell et Bruckner Coles (2004) décrivent ainsi l'innovation de business model comme un « processus continu », là où d'autres auteurs rappellent que le remplacement d'un BM existant par un nouveau requiert des « transformations et une évolution incrémentales » (Khanagha et al., 2014). Certaines modélisations du BM, comme le modèle RCOV que nous avons décrit en amont dans ce manuscrit, apparaissent particulièrement adaptées à l'analyse de ce type de dynamique transformationnelle (Demil et Lecocq, 2010 ; Demil et al., 2013).

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Dans cette optique, il s'agit d'éclairer les phénomènes de conception et de transformation du BM (Aversa et al., 2015 ; Demil et Lecocq, 2015). Il convient également d'étudier les processus structurant une « trajectoire de BM » (et/ou un portefeuille de BM) et les éléments internes et externes l’influençant. Cette trajectoire d’évolution peut être considérée comme un processus de réglage minutieux impliquant des choix et des changements à l’intérieur et entre les composants essentiels du BM (Demil et Lecocq, 2010 ; Gandia et al., 2017 ; Strebel, 2005).

Si ce type de lecture dynamique permet d'analyser l'entrepreneuriat et le lancement de nouvelles activités, il s'applique également à l'évolution vers un nouveau BM dans des entreprises établies.

Cette piste de recherche, peu explorée jusqu'ici, apparaît prometteuse à la communauté (Baden-Fuller et Mangematin, 2015 ; Demil et Lecocq, 2015 ; Häfliger et al., 2016). Dans ces entreprises matures, la mise en place d'un nouveau BM fait en effet face à des problématiques spécifiques. Comme l'indiquent Demil et Lecocq (2015), la préexistence de l'organisation, de ses structures, produits, technologies ou encore consommateurs fait que les processus de définition et d'implémentation d'un nouveau

business model diffèrent de ceux en jeu lors d'un lancement d'activité. Des résistances au changement

peuvent ainsi apparaître, notamment de la part des managers en poste dans les structures organisationnelles liées au(x) BM traditionnels de l'entreprise (Amit et Zott, 2001 ; Christensen, 2003 ; Frankenberger et al., 2013). La « logique dominante » de création et de captation de valeur, vers laquelle le capital de l'entreprise est dirigée, peut également par exemple « affamer en ressources » (« starved of resources ») un nouveau BM (Chesbrough, 2010 ; Prahalad et Bettis, 1995).

1.2.2.3. Effets recherchés de l’innovation de business model

Une autre question se pose : pourquoi les entreprises cherchent à opérer de telles modifications des mécanismes au travers desquels elles créent et captent de la valeur ?

La littérature met ici en évidence que l'innovation de business model constituerait un levier de pérennisation de sa performance. Ainsi, des études ont montré que les entreprises ayant suivi cette

voie sont en moyenne 6% plus rentable que celles n'ayant procédé qu'à de l'innovation de produits ou de processus (BCG, 2008 ; IBM, 2008). Au sein de la communauté, un consensus existe de la même manière sur le fait qu'elle peut constituer une source d'avantage concurrentiel (Amit et Zott, 2012 ; Baden-Fuller et Morgan, 2010 ; Chesbrough et Rosenbloom, 2002 ; Frankenberger et al., 2013 ; McGrath, 2010 ; Teece, 2010). Un autre avantage de l'innovation de business model serait qu'elle peut s'avérer difficile à répliquer pour des entreprises concurrentes (Teece, 2010). De ce fait, elle est perçue par beaucoup de managers comme une méthode supérieure à l'innovation de produit ou de service, et 50% des sociétés interrogées dans des études menées par le BCG et IBM prévoyaient de se lancer dans une telle démarche (BCG, 2008 ; Economist Intelligence Unit, 2005 ; IBM, 2008). Une décennie plus tard, dans un contexte qui a vu un des ralentissements les plus importants de l'histoire de notre

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économie mondiale, Lecocq et al. (2018) dressent un constat similaire : la transformation du BM de leur entreprise constitue un sujet d'intérêt de la part des entrepreneurs en vue de créer et/ou de capter plus de valeur dans une situation d’intense compétition.

Un BM innovant, entendu au sens de nouvelle manière de créer de la valeur qui voit le jour au travers de nouvelles configurations dans lesquelles un voire plusieurs des composants d’un BM sont modifiés, peut en effet changer les termes de la concurrence entre entreprises (Boons et Lüdeke-Freund, 2012). Il peut également créer de nouveaux marchés ou autoriser une entreprise à créer et exploiter de nouvelles opportunités sur des marchés existants (Amit et Zott, 2012 ; Hamel, 2000 ; Mendelson, 2000 ; Mitchell et Coles, 2003).

1.2.2.4. Du rôle des processus d’expérimentation

La littérature académique souligne également le rôle crucial de l'expérimentation dans les processus d'innovation et de transformation qui peuvent aboutir à la mise en place de nouveaux business models. Certains chercheurs mettent ainsi en avant l’impossibilité de prévoir la forme que prendra in fine un nouveau BM (Chanal, 2011 ; Chesbrough, 2010). Leur développement passerait à l'inverse par de

l'expérimentation et des processus d'apprentissage (Khanagha et al., 2014 ; McGrath, 2010 ; Mitchell

et Bruckner Coles, 2004 ; Sosna et al., 2010). Par une succession "d'essais et d'erreurs" et nombre "d'adaptation ex post", ces expérimentations permettraient de créer les nouvelles connaissances nécessaires à sa mise en place (Chanal, 2011 ; Chesbrough, 2010). Les niveaux intermédiaires de managers joueraient un rôle clef dans ces processus (Van den Oever et Martin, 2015).

1.2.2.5. Transformation et innovation de business models : quels enjeux organisationnels ?

Un dernier point mérite d'être traité ici. Le BM, et notamment les travaux portant sur ses dynamiques d'innovation et de transformation, a comme nous l'avons vu été utilisé pour décrire des changements organisationnels (Demil et Lecocq, 2010). Cependant, comme ces auteurs le mettent en évidence (2015), la recherche en management demeure seulement partielle quant à certaines dimensions des processus en jeu. Les micro-processus menant à l'émergence d'un business model mériteraient ainsi

notamment d'être mieux étudiés (ibid). Nous nous contenterons ici de mentionner deux des

contributions qui nous semblent importantes en la matière.

Chesbrough (2010) met ainsi en évidence l'existence de certaines interactions qui existent entre processus d'expérimentation de BM et structure organisationnelle dans des entreprises « déjà existantes ». Il insiste notamment sur le rôle du leadership organisationnel et sa complexité (« this can

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fréquemment les personnes en charge d’expérimentations locales de BM. Il souligne également les interactions et les tests qu'il est nécessaire de mener avec d’autres entités de l’entreprise telles les Opérations, l’ingénierie, le marketing, les ventes ou la finance, et les conflits qui peuvent apparaître entre celles-ci. Dans ce contexte, les managers intermédiaires joueraient un rôle important dans la mise à l’agenda de sujets stratégiques, et une forte culture organisationnelle serait nécessaire en vue de mener à bien tout changement. Les « objectifs individuels locaux de managers intermédiaires » pourraient en effet venir perturber des impératifs plus larges. Il met enfin en évidence le fait que « les processus organisationnels doivent changer ». Khanagha et al. (2014) partagent ce constat, et soulignent que de tels processus d'expérimentation requièrent des « adaptations structurelles récurrentes » (« recursive structural adaptations »).

Demil et Lecocq apportent une autre contribution importante en matière de transformation organisationnelle et de mise en place de nouveaux BM, notamment au sein d'entreprises établies (2015). En opposition avec les travaux qui considèrent exclusivement le BM en tant que modèle cognitif et s'intéressent donc à la manière dont les managers pensent (Baden-Fuller et Mangematin, 2015 ; Aversa et al., 2015), ils développent l'idée suivante : le BM ne constituerait pas uniquement un

modèle cognitif, mais nécessiterait à l'inverse des artefacts, à savoir des objets créés par l'être humain, afin de se matérialiser en une réalité organisationnelle. Dans leur étude, les auteurs

constatent ainsi que ces artefacts ont progressivement « peuplé l'organisation » et sont devenus « interconnectés », au point de générer de « nouvelles interactions » entre acteurs et de créer ce qu'ils appellent une nouvelle « chaîne d'agissants » (« actants »). Ce serait donc les actions engagées, qui impliquent des artefacts, qui constitueraient la réalité d'un nouveau BM.

1.2.3. Synthèse des éléments de positionnement conceptuel retenus : une a pproche de

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