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L’ ECONOMIE DES QUALITES : DU ROLE DES PROCESSUS DE QUALIFICATION DES PRODUITS

2. L A N OUVELLE S OCIOLOGIE E CONOMIQUE : VERS UNE VISION AFFINEE DE L ’ ACTION COLLECTIVE ORGANISEE EN LIEN AVEC LES PRODUITS ET LES MARCHES

2.1. L’ ECONOMIE DES QUALITES : DU ROLE DES PROCESSUS DE QUALIFICATION DES PRODUITS

Elle introduit tout d’abord les notions « d’économie des qualités » et de « processus de qualification » des produits.

2.1.1. Le produit en tant que « processus jamais achevé »

Le bien qui est échangé est alors considéré comme un « résultat provisoire et passager de processus jamais achevés ». De leur conception jusqu’à leur consommation en passant par leur production ou les différentes vies qu’ils peuvent avoir, ces processus organisent leurs transformations successives (Callon et al., 2000).

A l’inverse, le produit serait lui à considérer comme « un bien économique envisagé du point de vue de sa conception, de sa fabrication, de sa circulation et de sa consommation ». Michel Callon et ses co- auteurs rappellent ainsi l’étymologie du mot, qui provient du latin « producere », soit « faire avancer ». Celle-ci soulignerait que le produit consiste bien en une séquence d’actions. « Une succession d’opérations » le transformeraient et le déplaceraient, pour finir par « le mettre dans une forme jugée

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utile par un agent économique qui paye pour en bénéficier. » (Callon et al., 2000). Ce faisant, ils soulignent donc que les caractéristiques des produits se modifient.

Une distinction est ainsi opérée entre un produit, qui « est donc un processus », et le bien qui « correspond à un état, à un résultat ou plus exactement à un moment dans ce processus jamais achevé » (Callon et al., 2000).

Afin de donner corps à leur propos, Callon et al. (2000) mettent en avant l’exemple suivant du produit automobile :

« Envisagée sous l’angle de sa conception puis de sa mise en production, [il] commence par exister sous la forme d’un cahier des charges, d’un dossier de spécifications, puis d’une maquette automobile sur un catalogue que l’on commande dans une agence, dont on peut décrire de manière relativement objective et consensuelle les propriétés. Une fois entre les mains de son conducteur, elle continue cependant à se déplacer et pas seulement sur les autoroutes. Plus tard, son propriétaire la fera réviser chez un concessionnaire ; plus tard encore, il la mettra en vente et elle viendra rejoindre, dans la rubrique argus de magazines spécialisés, d’autres voitures de papier qui auront été rangées dans la même catégorie ». (Callon et al., 2000).

2.1.2. Les « processus de qualification et de requalification » des « critères de qualités » d’un produit comme travail métrologique

En accord avec cette vision du produit en tant que processus, la nouvelle sociologie économique considère leur élaboration comme un processus d’action collective large qui peut impliquer une grande diversité d’acteurs économiques. Callon et al. (2000) affirment ainsi que « les agents, quels

qu’ils soient, ont tous pour principale activité de participer à un processus ininterrompu qui est celui de la qualification et de la requalification des produits qui passent entre leur mains ».

Ces activités de qualification et requalification viseraient à définir la liste des caractéristiques d’un produit, ou formulé autrement avec le vocabulaire des auteurs ses « critères de qualités ». Le périmètre qui leur est donné est large. Les qualités qui permettraient de différencier un bien d’un autre bien constitueraient ainsi « une liste très ouverte » pouvant par exemple inclure des « conditions de vente particulières », la « réputation du vendeur », le « lien personnel » entre un vendeur et ses clients, ou encore une « qualité de matière première supérieure ». Toutes jouiraient d’un « même statut ontologique ». Selon les auteurs, « il serait donc une erreur de distinguer qualités primaires et secondaires ».

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La nouvelle sociologie économique met un autre élément en évidence. Ces critères de qualités ne se constateraient pas. Leur objectivation supposerait à l’inverse « un travail métrologique spécifique et

de forts investissements matériels pour réaliser les mesures ». Il permettrait de « dévoiler » ces critères « au cours de tests ou d’épreuves qui supposent des interactions entre les agents (équipés)

et les biens à qualifier » au travers de « la mise en œuvre de tests standardisés et la réalisation de mesures certifiées ».

2.1.3. Le produit comme « variable » et comme objet de controverses

Dans cette optique, le produit peut être considéré comme une « variable » dont la liste des critères de qualités peut faire l’objet de controverses au sein et entre les organisations qui participent à son élaboration.

2.1.3.1. La vision de la nouvelle sociologie économique

Callon et al. (2000) conçoivent ainsi le produit comme une « variable » résultant des « luttes et négociations » que les acteurs mènent au cours de son processus de qualification. Ils soulignent en effet que l’accord sur ses caractéristiques serait « souvent difficile ». Les produits répondraient donc à des listes de critères de qualités qui seraient « controversées », du fait « d’évaluations et des jugements qui varient d’un agent à l’autre ». Il en irait de même pour les « valeurs à atteindre » pour chaque critère de qualité ou encore « l’objectivité et la robustesse des procédures utilisées » pour les objectiver.

Plusieurs conséquences découlent de ces analyses. La liste des critères de qualités d’un produit pourrait ainsi « s’enrichir ou s’appauvrir au fur et à mesure que le produit avance et se transforme ». De même, la « hiérarchisation » de l’importance relative de chacun des critères de qualités d’un produit ferait partie intégrante de son processus de qualification et pourrait faire l’objet de controverses. Enfin, la nouvelle sociologie économique souligne que les qualités attribuées à un produit au cours des épreuves de qualification qu’ils passent seraient ainsi « tant

intrinsèques qu’extrinsèques », dans la mesure où ces épreuves « dépendent du dispositif utilisé pour

tester, mesurer le bien », et donc « du choix et des caractéristiques de ce dispositif ».

2.1.3.2. La vision du management de l’innovation

Des idées similaires ont été développées en sciences de gestion au sein du management de l’innovation puis plus récemment et à sa suite du marketing.

Ainsi, dans le domaine du management de l'innovation, Hatchuel (1996/2010) souligne importance des activités de « prescriptions réciproques » entre acteurs dans la conduite des activités de conception. Cette conclusion part de l’analyse de ces activités pour des biens de haute technologie et

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plus généralement pour des produits complexes. Dans de tels « marchés à prescripteurs », où la qualification des produits est difficile, les intermédiaires qu’ils constituent joueraient un rôle crucial. Au travers de prescriptions qui peuvent notamment être « techniques » et « de jugement » basées sur un savoir précis, ils constitueraient une condition de fonctionnement de l’action collective que constitue l’échange marchand. Ces idées ont exercé une influence sur la recherche académique en marketing, dont certains courants se fixent maintenant pour objectif d’organiser de tels systèmes de prescriptions (Stenger, 2006/2008).

2.1.4. La qualification des produits : ressource stratégique et processus au cœur de la compétition inter-acteurs à organiser à son avantage

Dans ce même article de 2000, Callon et al. citent également Perroux dans son introduction à la traduction française de Chamberlin (1953). Celui-ci souligne que « la capacité à modifier la liste des qualités constitue une ressource stratégique » dans la mesure où c’est elle qui permet de positionner un bien dans l’espace composé par tous les autres biens.

Dans cette optique, la qualification des biens serait « au cœur de la compétition économique et de l’organisation des marchés », puisque c’est dans la fixation de la liste des qualités d’un produit que « se joue la co-construction d’une offre et d’une demande, par adaptation entre ce que propose une entreprise et ce qu’attend un consommateur ». C’est sur ces constats qu’il fonde sa théorie de la concurrence monopolistique (Chamberlin, 1953). Les biens renverraient ainsi à une « structuration de la compétition ». La nouvelle sociologie économique conclue donc qu’une des principales préoccupations des offreurs doit être de « faciliter et d’organiser à leur avantage le processus de requalification » des produits.

2.1.5. Processus de qualification des biens et création de nouveaux marchés

Dans ces travaux, ce courant de la sociologie traite également de la question des processus de création et de pérennisation de nouveaux marchés. Cette analyse se base sur une vision revisitée de la notion de marché. Se basant sur Chamberlain (1953), elle appelle ainsi à reconnaître que « chaque marché est, dans une certaine mesure, isolé, de telle sorte que l’ensemble n’est pas un vaste marché unique comprenant de nombreux vendeurs mais un réseau de marchés reliés les uns aux autres, à raison d’un marché par vendeur » (Callon et al., 2000).

Les auteurs font ainsi de la qualification des biens le « processus central d’organisation dynamique des marchés » (ibid). Comme nous l’avons évoqué, ce serait en effet dans la fixation de la liste des qualités d’un bien que se jouerait la co-construction d’une offre et d’une demande, adaptation entre ce qu’une

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firme va proposer et ce que souhaitent des consommateurs « qui paraît après-coup toujours miraculeuse ».

« Le fonctionnement de l’économie des qualités passe par la mise en place de formes d’organisation qui favorisent l’intensification des collaborations entre l’offre et la demande de manière à permettre au consommateur de participer activement à la qualification des produits ». (Callon et al., 2000)

Loin d’être passifs, les clients joueraient un « rôle actif » dans la définition des biens au travers de sa participation au processus de qualification et requalification (ibid). Leurs capacités de jugement et d’évaluation seraient ainsi mobilisées afin d’établir des différences pertinentes entre biens et de les classer. En retour, les différents éléments des « dispositifs socio-techniques » de qualification dans lesquels le consommateur est plongé participeraient à son attachement aux produits. Pris dans des routines, ce dispositif objectiverait et stabiliserait les différences qu’il perçoit entre eux (Cochoy, 2002 ; Dubuisson, 1998). In fine, c’est au travers de la conception et de l’influence de ces dispositifs qui organisent la qualification des produits que se jouerait la concurrence entre entreprises.

« La concurrence entre firmes joue sur le formatage des dispositifs sociotechniques qui, distribuant et redistribuant les bases matérielles de la cognition, configurent les bases du calcul et des préférences » (Callon et al., 2000).

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