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Synthèse des éléments de positionnement conceptuel retenus : une économie circulaire levier de performance pour les entreprises ?

Au terme de cette analyse, l’économie circulaire apparaît bien comme une utopie rationnelle contemporaine telle que définie par Aggeri (2017). Elle propose en effet un « récit problématisé d’une société idéale, qui se fonde non seulement sur une narration mobilisatrice mais aussi sur des éléments rationnels (raisonnements, modélisations, calculs), qui sont censés l’ancrer dans le domaine du réalisable ».

Ce récit utopique opère une critique d'un modèle économique décrit comme actuellement dominant, à savoir une économie dite linéaire structurée autour du schéma « extraire-produire-consommer- jeter » (Fondation Ellen McArthur, 2012). Au sein de celui-ci, des matières premières sont extraites et servent à produire des biens qui sont ensuite consommés par les consommateurs avant d’être in fine mis en décharge, incinérés ou valorisés énergétiquement. Dans une telle économie, la croissance est intrinsèquement corrélée à la consommation de ressources, qui sont pourtant disponibles en des quantités finies, et génère de nombreuses externalités (Boulding, 1966 ; Meadows et al., 1972 ; Grosse, 2010).

A l'opposé de ce schéma, récit est au contraire fait d'un futur idéal où l'économie prendrait inspiration sur les écosystèmes naturels et leur logique de bouclage des flux de matière. Ces récits fournissent un « guide pour l'action » à travers différentes activités qui permettraient d'atteindre ce futur désirable d'une économie circulaire. Parmi elles, on trouve notamment l’économie de la fonctionnalité (Bourg et Buclet, 2004 ; Stahel et Clift, 2016), qui substitue l’usage d’un bien à sa consommation, ainsi que la maintenance et la réparation de produits, qui les gardent en état de fonctionnement en vue de prolonger leur durée de vie. Le remanufacturing, activité qui comprend le démontage et le contrôle- qualité de produits afin d’en récupérer les composants en état de fonctionnement et de les réassembler pour constituer de nouveaux produits, est également systématiquement mis en avant comme une activité permettant de promouvoir une plus grande circularité (Guide et Wassenhove, 2001). Il en va de même pour la réutilisation et le réemploi de produits ou composants d’occasion (Stahel, 2016), de même que le recyclage des matériaux qui composent ces produits.

Le caractère désirable de ce futur revêt une place centrale dans les récits qui sont construits autour de ce concept, qui formulent un ensemble de promesses. L’économie circulaire constituerait ainsi un

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modèle appliqué de développement durable, qui concilierait croissance économique, préservation de l’environnement et dynamisation de l’emploi local (UNEP, 2011 ; FEM, 2012 ; ADEME, 2013 ; Eurostat, 2018). Les analyses les plus optimistes vont même plus loin, en affirmant la possibilité d'une croissance économique qui deviendrait illimitée (Accenture, 2014).

A l'image de toute utopie rationnelle, ces promesses de l’économie circulaire n’ont pas manqué de susciter de nouvelles attentes (« first order expectations »), et ont enclenché une véritable dynamique de création collective (Borup et al., 2006 ; Aggeri, 2017). La littérature grise témoigne

ainsi d’une large dynamique actuelle que nous nommons de cristallisation. Elle a vu l’explosion de l'emploi d'une même terminologie « d'économie circulaire » chez un nombre croissant d'acteurs, qui revendiquent « faire de l'économie circulaire » au travers de pratiques qu'ils identifient comme nouvelles et de ce fait innovantes (Ademe, 2013 ; FEM, 2012). Le concept apparaît particulièrement promu parmi les acteurs institutionnels, qui souhaitent mettre en place des politiques publiques inspirées de ces principes, ainsi que par des entreprises, qui affirment expérimenter ou déployer de nouvelles activités telles l'économie de fonctionnalité, le réemploi ou le recyclage (Accenture, 2014 ; AFEP, 2017 ; Beulque et Micheaux, 2016 ; Buclet, 2015 ; FEM, 2015b ; WBCSD, 2017).

Cette dynamique d'acteurs, qui émerge dans les années 2000 avant d'exploser au cours de la décennie suivante, a pu donner l'illusion de l'économie circulaire comme d'un phénomène intrinsèquement innovant (FEM, 2012), même si de nombreux arguments viennent battre cette idée en brèche. Ainsi, plusieurs disciplines académiques concluent au caractère hautement circulaire des économies traditionnelles (Barles, 2005 ; Beyeler, 1991 ; Braudel, 2009 ; Le Bozec et al., 2012 ; Le Moigne, 2018 ; Diamond, 2015 ; Rocher, 2006 ; etc.). L’ancienneté des pratiques et idées aujourd'hui considérées comme circulaires fait également l’objet d’un consensus (Ayres et Taylor, 1989 ; Barles, 2005 ; Braungart et McDonough, 2002 ; Erkman, 1997 ; Frosch et Gallopoulos, 1989 ; Simmonds, 1862 ; Stahel, 1981 ; Stahel et Reday-Mulvey, 1976).

Les attentes génériques d'un triple dividende économique, environnemental et social associé à l'économie circulaire se sont également traduites en attentes concrètes (« second order

expectations ») chez ces nouveaux praticiens (Borup et al., 2006). Au niveau des pouvoirs publics, on souhaite ainsi que les politiques mises en place soient favorables à la croissance économique, à la préservation environnement et à l'emploi, particulièrement dans un contexte post crise de 2008 caractérisé par un chômage élevé et une croissance limitée (CGDD, 2014 ; CGEDD, 2014 ; Commission européenne, 2014 ; France Stratégie, 2016 ; Commission européenne, 2018).

Après une décennie 2000 marquée par des tensions fortes sur les approvisionnements en matières premières et dans un contexte de concurrence renforcée sur les marchés, des attentes similaires émergent au sein des entreprises. Chez ces acteurs privés, on attend de l'économie circulaire et de

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ses activités de bouclage qu’elles permettent de réduire les coûts d’approvisionnement en matières premières et de générer de nouveaux potentiels de chiffre d’affaires et de marges (Adoue et al., 2014 ; Beulque et al., 2018 ; FEM, 2012).

Or, littératures grises et académiques apparaissent contradictoires sur ce point crucial qu’est la capacité de l’économie circulaire à remplir ses promesses de triple dividende économique, environnemental et social. Si des études mettent en avant les vertus du modèle d'un point de vue que

les économistes appelleraient macro-économique, un constat opposé est également dressé. Ainsi, la circularité demeurerait encore un modèle « émergent ». Une « transition » vers une économie circulaire, ou ne serait-ce qu'une « concurrence » plus équilibrée avec une économie linéaire « plus institutionnalisée », nécessiteraient ainsi des « changements d'ordre systémique » (FEM, 2012 ; Jonker et Stegeman, 2017 ; Tukker et Tischner, 2006 ; Kok et al., 2013).

Il convient donc de forger une meilleure compréhension de ces conclusions paradoxales quant aux bénéfices économiques de l'économie circulaire, qui constituent à notre sens un point dur de la littérature. Pour ce faire, de nombreuses voix insistent sur la nécessité de mener de nouvelles

recherches non plus uniquement théoriques et à un niveau macroéconomique, mais également en pratique et au niveau de l'entreprise (FEM, 2012 ; Jonker, 2012 ; Rauter et al., 2017 ; Sempels, 2014). Ces dernières constituent en effet un acteur clef de toute transition vers une économie circulaire (FEM, 2012 ; Geissdoerfer et al., 2016 ; Lüdeke-Freund et al., 2017). La question posée est alors celle des

activités de bouclage que les acteurs revendiquent mettre en place en tant que potentiels leviers de performance pour les entreprises (Adoue et al., 2014 ; Beulque et al., 2018 ; Bocken et al., 2017 ; FEM,

2012).

A partir de ce constat, les deux sous-sections suivantes nous permettront de finir de poser les bases de notre cadre théorique. Nous montrerons tout d’abord l’intérêt d’une approche de ces problématiques dites de création et captation de valeur au travers du cadre théorique des business

models tel que développé par le management stratégique. Dans une dernière sous-section, nous

mettrons enfin en avant en quoi l’économie circulaire et ses activités de bouclage interrogent la notion de business model. Pour ce faire, nous décrirons les spécificités et les enjeux propres de ce que nous appelons, à l’image de premiers autres chercheurs, des Business Models Circulaires (FEM, 2012 ; Jonker, 2012 ; Rauter et al., 2017 ; Sempels, 2014), objet que nous entendons comme des BM fondés sur une des activités de bouclage de flux que propose l’économie circulaire. Nous mettrons ainsi en évidence que la question de l’émergence et de la montée en puissance de business models circulaires permettant aux entreprises de créer et de capter de la valeur de manière pérenne constitue à la fois un enjeu central et un des principaux points durs de la littérature.

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