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et ses enjeux

2.2.1 Un enjeu sociétal

Si le nombre précis d’incidents est encore débattu, il n’y a guère de doute quant aux conséquences

néfastes que peut avoir un réveil peropératoire chez un patient. En effet, l’AAGA peut impliquer

une réelle reprise de conscience durant l’anesthésie générale et provoquer une souffrance physique

[18, 2] et/ou une réelle panique engendrant des séquelles psychologiques nommées syndromes de

stress post-traumatique [101]. Pour preuve, on dispose aujourd’hui de témoignages de patients

ayant vécu ce type de réveils peropératoires et mettant en évidence l’importance d’endiguer ce

phénomène : " Durant l’intervention, je me suis éveillé plusieurs fois, une dizaine je pense [. . . ]

2.2. Le syndrome post-traumatique lié au réveil peropératoire et ses enjeux

Un temps très court, 15 secondes peut-être davantage, pendant lequel j’étais lucide, entendant

tout, percevant la douleur atténuée par l’anesthésie mais cuisante tout de même. J’ai essayé

d’avertir en criant mais aucun son ne sortait, en remuant un membre mais rien ne bougeait et je

m’en rendais compte. [. . . ] Avec le même éveil, j’ai vécu les instants où l’on m’a scié le sternum.

La douleur s’est traduite par une brûlure atroce, le bruit et les vibrations étaient intenses. Il m’est

impossible de traduire l’angoisse et le désespoir qu’il m’a fallu endurer. "

1

.

En 2004, Sebel et al. ont analysé le témoignage de 25 patients ayant vécu un réveil peropératoire.

Parmi ces 25 patients, plus de la moitié ont signalé des perceptions auditives, 30 % se souviennent

des sensations ressenties pendant l’intubation et 30% ont ressenti de la douleur [8]. Certains

patients ont vécu une forte détresse et ont pensé à des choses du type“Je vais mourir” ou “Je

suis en train de vivre un des pires moments de ma vie”. En 2007, Samuelsson et al. ont confirmé

que la plupart des victimes d’AAGA vivaient une expérience sensorielle traumatisante. En effet,

plus de 70% pouvaient entendre ce qu’il se passait durant l’opération et 72% pouvaient sentir ce

qu’il se passait durant l’acte chirurgical. De plus, 46% ressentaient de la douleur et 65 % étaient

assez conscient pour se souvenir d’une réaction émotionnelle incluant de la détresse (57 %), de la

peur (54 %) ou de la panique (43 %). La plupart des patients (>85%) comprenaient très bien

ce qui leur arrivait, et tentaient de communiquer avec le personnel médical [97]. Certains cas

d’AAGA rapportent également une perception visuelle, par exemple le souvenir d’une silhouette

[90,102] mais aussi des phrases prononcées par le personnel médical (e.g. “comment un homme

peut être si gros”,“cette femme va mourir de toute façon”), cela accentuant considérablement

le traumatisme pour les patients concernés [103, 98]. D’ailleurs, de plus en plus d’articles de

journaux jouent sur l’horreur de cette expérience pour trouver des titres accrocheurs :“Cauchemar

éveillé : comment éviter une prise de conscience accidentelle lors d’une anesthésie générale ?” ou

encore“Réveillé et incapable de bouger : que peuvent faire les praticiens pour éviter une prise de

conscience accidentelle sous anesthésie générale ?" [11] et cela participe grandement à l’anxiété

pré-opératoire des patients [104].

Figure 2.3: Représentation schématique illustrant les différents types de mémorisation et

conséquences liés à un réveil peropératoire. Schéma modifié provenant du rapport du NAP5

(image modifiée à partir de [2]).

2.2.2 Mémorisation explicite, mémorisation implicite et troubles de stress

post-traumatique

Certains patients se souviennent de l’événement immédiatement après l’intervention tandis que

d’autres s’en souviennent plusieurs jours, plusieurs semaines ou même plusieurs mois après l’avoir

vécu [3, 14, 2]. Les souvenirs de cette expérience ont tendance à émerger graduellement : la

grande majorité des cas est identifiée le jour même tandis que le reste des cas sont identifiés dans

les semaines suivantes [18,90]. Dans le meilleur des cas, si la personne se souvient de son réveil

peropératoire, on parle alors de mémorisation explicite (Figure 2.3), elle essaye d’en témoigner

auprès de l’équipe médicale. Lors d’une mémorisation explicite, la victime d’AAGA peut se

souvenir de son expérience a posteriori, ce qui permet une rationalisation bien organisée des faits

[105]. Mais elle peut aussi avoir un souvenir direct de son trauma, et donc se souvenir de cette

expérience traumatique avec une grande peur et beaucoup de détresse. Dans ce cas-ci, elle aura

beaucoup de mal à contrôler son souvenir [106].

On sait aujourd’hui qu’une grande partie des patients ne témoigne jamais, soit parce qu’ils n’osent

pas, soit parce qu’ils ont peur de ne pas être crus par le personnel médical. Mais certaines études

suggèrent que le patient peut mémoriser implicitement son expérience de réveil peropératoire

(Figure 2.3), rendant alors le diagnostic beaucoup plus complexe et probablement sous-estimé

par les instances médicales. En effet, contrairement à la mémorisation explicite, celle-ci n’est pas

accompagnée par des souvenirs précis mais par un changement d’humeur et de comportement.

Lorsque les souvenirs sont implicites, les conséquences ne sont pas totalement établies mais tout

porte à croire que le patient peut en souffrir [9,107,108]. Dans tous les cas, cela pose une question

d’éthique : est-il acceptable que le patient soit conscient, même de manière transitoire, s’il ne

mémorise pas explicitement les événements ? Le souvenir étant un processus de reconstruction

d’événements mis bout à bout, plus qu’un processus où les événements sont véritablement rejoués,

c’est un véritable challenge pour les anesthésistes de savoir si les témoignages d’un AAGA sont

vrais ou faux [109]. En effet, il est possible que de faux souvenirs soient inconsciemment créés

chez un individu et soient interprétés comme un vrai réveil peropératoire.

Les troubles de stress post-traumatique (ou post-traumatic stress disorder en anglais, PTSD)

consécutifs à un réveil peropératoire ne doivent pas être sous-estimés : ils peuvent durer plusieurs

années et avoir un impact grave sur la vie de la victime [11]. La détresse ressentie au moment du

réveil peropératoire apparaît comme un des facteurs clés du risque de séquelles psychologiques à

long terme [97,98]. Les preuves empiriques suggèrent que le rappel de ces événements peut causer

une douleur, une détresse et des effets psychologiques considérables comme la dépression, les

troubles du sommeil et les changements de personnalité [110], l’anxiété, l’insomnie, les flashbacks,

la peur chronique, les tendances à éviter autrui, la solitude, le manque de confiance, l’irritabilité,

la difficulté à se concentrer et des pensées suicidaires [101,9,91,111]. Les conséquences de ces

séquelles psychologiques à long terme peuvent affecter la vie quotidienne du patient [5,77,2,112],

d’autant plus qu’un grand nombre de patients souffrirait de PTSDs après un AAGA. En effet,

Leslie et al. rapportent l’existence de plus de 70 % de PTSDs sur une petite cohorte de patients,

tandis que d’autres études rapportent un taux plus bas aux alentours de 20 % [113, 114].

Cependant, on ne sait pas si une intervention rapide du personnel médical pourrait diminuer le

développement des PTSD après un AAGA [2].

Habituellement, en psychologie, on classe les PTSDs selon trois catégories : l’hyperconscience,

la ré-expérience ou l’évitement. Dans le cas de l’hyperconscience, les victimes ont une anxiété

persistante et les symptômes associés à celle-ci (e.g. tachycardie, hypertension, transpiration et