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3.2 Détecter une tentative de mouvement grâce à l’activité cérébrale motrice

4.1.4 Discussion

4.1.4.1 Différences observées entre les conditions yeux ouverts/yeux fermés

pen-dant le mouvement volontaire

Dans cette étude, les différences observées au niveau du cortex moteur lors de la réalisation d’un

mouvement volontaire (les yeux ouverts et les yeux fermés) soulèvent une question importante.

En effet, les différences observées sont-elles uniquement dues à un rythme alpha/mu plus fort

lorsque l’on ferme les yeux, ou cette condition expérimentale influence directement la manière

d’exécuter le mouvement et l’état d’activation du cortex moteur ? Deux hypothèses éventuellement

complémentaires expliquent les différences obtenues en termes d’ERD et d’ERS (Figure 3B) et

les données comportementales (Figure 4.6) :

• la condition EC crée une forte modulation du rythme mu (7-13 Hz) et perturbe le signal

EEG sur tout le cortex ;

• la condition EC implique un changement de comportement lors d’un mouvement volontaire

et module l’activation/désactivation du cortex moteur en conséquence.

La première hypothèse suggère que les résultats décrits dans cette étude sont la conséquence

directe d’une perturbation globale du signal EEG qui est provoquée par la condition EC. D’ailleurs,

la principale différence observée est une augmentation de l’ERD dans la bande de fréquence mu

lorsque les yeux étaient ouverts (Figure 4.3B). L’ERD étant calculée à partir de la ligne de base,

il est tout à fait possible qu’un changement de cette ligne de base entraîne une modification de

l’amplitude de l’ERD. Plusieurs études ont déjà décrit de telles différences dans la bande de

fréquence alpha et soutiennent cette hypothèse [327,328,339,332].

Mais la deuxième hypothèse peut être complémentaire à la première. Elle suggère que lorsqu’un

mouvement volontaire est effectué, les phases de préparation, d’exécution et de retours sensoriels

liées à ce mouvement peuvent changer en fonction du fait que nos yeux soient ouverts ou fermés.

Nos résultats ont montré que le nombre de mouvements volontaires effectués est différent dans

les deux conditions (Figure 4.6), suggérant alors que la représentation interne du temps n’est

pas la même. Ceci a d’ailleurs été confirmé par plusieurs études montrant que l’ouverture ou

la fermeture des yeux implique des comportements moteurs différents [346, 347,348]. En effet,

une activité mentale interne plus forte favorisant l’imagination et l’activité multisensorielle alors

que les yeux sont fermés ne sont pas à exclure [349, 348]. Les témoignages post-expérimentation

des sujets volontaires soutiennent d’ailleurs cette deuxième hypothèse. Par conséquent, dans la

condition EC, les phases de préparation et de retours sensoriels pourraient être différent, cela un

impact sur les modulations d’ERD/ERS au niveau cortex moteur.

Bien que seuls des changements dans la bande mu aient été observés (Figure 4.3) et confirment

la première hypothèse, d’autres résultats (Figure 4.7) ont clairement montré une différence de

puissance du signal pour les phases de mouvement (pré-M, M et post-M) pour les deux conditions

EO et EC, suggérant alors un mécanisme d’action différent. L’excitabilité du cortex moteur est

la même selon que les yeux soient ouverts ou fermés en état de repos [350] mais pourrait amener

à changer son état lors de l’exécution d’un mouvement volontaire.

4.1.4.2 Modulations ERD/ERS

Nos résultats sont cohérents avec ceux des études antérieures traitant des modulations d’ERD et

d’ERS au cours du mouvement volontaire dans les bandes de fréquence mu et bêta [180, 185, 323,

351]. La faible puissance de l’ERD (Figure 4.5) peut s’expliquer par le fait que les sujets aient

reçu l’instruction de se concentrer davantage sur la précision que sur la vitesse du mouvement

[352]. De plus, même si les sujets avaient pour consigne de réaliser le mouvement volontaire avec

un maximum d’attention, cliquer sur une souris de nombreuses fois peut vite se transformer en

un mouvement automatique, ce qui pourrait avoir un impact sur la faible amplitude de l’ERD

durant la tâche (Figure 4.3B et 4.4 ; [353, 354]. La désynchronisation du rythme mu (Figure

4.5) a commencé deux secondes avant le mouvement volontaire et était bilatérale. Ce résultat

suggérerait une activation bilatérale du cortex moteur lors d’un mouvement unilatéral [179, 319].

Fait intéressant, l’ERD la plus prononcée a été trouvée entre 10-13 Hz et correspond au rythme

mu [206]. Ce résultat suggère que les modulations dans la bande alpha (de la région occipitale)

seraient plutôt dues à la condition yeux fermés et les modulations dans la bande mu (au niveau

du cortex moteur) seraient dues aux mouvements volontaires effectués les yeux fermés. Par

contre, aucune différence majeure n’a été observée dans la bande de fréquence bêta entre les

deux conditions, confirmant que cette bande de fréquence est très peu modulée peu importe la

nature des variables testés [185].

4.1.4.3 Implication pour le domaine des BCI

Bien que l’ERD soit moins forte dans la bande de fréquence mu lorsque les yeux sont fermés, on

observe quand même la présence d’une ERD durant le mouvement et d’une ERS post-mouvement.

Ce résultat est rassurant si l’on souhaite détecter la tentative de mouvement lors d’un réveil

peropératoire. Puisque la bande bêta ne semble pas différemment modulée selon que les yeux

soient ouverts ou fermés, cela suppose que cette bande de fréquence pourrait être privilégiée

dans la détection de ses patterns, comme cela a d’ailleurs déjà été fait dans la littérature

[355, 211, 356, 357]. Cependant, puisque l’ERD s’exprime à la fois dans la bande mu et la bande

bêta, il serait plus judicieux d’utiliser l’ensemble de ces deux bandes de fréquences (8-30 Hz),

c’est d’ailleurs ce qui donne souvent les meilleurs taux de détection [241, 358, 359, 288, 290].

4.1. Étude EEG de l’activité cérébrale motrice lorsque les yeux sont fermés

Figure 4.7: Puissance du signal EEG (grand moyennage, n=15) dans les bandes de fréquence

mu (A et B, 7-13 Hz) et bêta (C et D, 15-30 Hz) pour les deux conditions EO (en bleu) et EC

(en orange). La puissance du signal a été calculée pour les trois phases du mouvement volontaire

sur l’électrode C3 : pré-mouvement (pre-M), mouvement (M) et post-mouvement (post-M). ***

correspond à une valeur de p-value<0.001.

Plusieurs travaux sont nécessaires afin d’aller plus loin dans ce raisonnement. La première

étape serait de confirmer ce qui a été observé pour le mouvement volontaire (ERD de plus faible

amplitude lors de la condition EC) lors d’une imagination motrice. En effet, la tâche d’imagination

motrice kinesthésique (explicitée dans le Chapitre 3, section 2) est ce qui ressemblera le plus à ce

que le patient fera dans le cas d’un réveil peropératoire. Cependant, il est difficile de réaliser

exactement la même expérience en interchangeant le mouvement volontaire par une imagination

de mouvement volontaire, tout simplement parce qu’il est impossible d’avoir un repère temporel

correspondant au moment où le sujet effectuerait la tâche mentale. La célèbre expérience de

Libet sur le libre arbitre laisse penser qu’il est possible d’étudier une imagination de mouvement

volontaire les yeux ouverts [360]. En effet, dans cette expérience, une horloge qui défile rapidement

est placée devant le sujet et celui-ci a pour instruction de réaliser un mouvement volontaire

tout en retenant le nombre indiqué par une horloge au moment même où il prend sa décision.

Malheureusement, si les yeux du sujets sont fermés, il est plus dur de réaliser cette expérience.

C’est pourquoi, à la place d’une horloge, des sons différents qui seraient produit tout le long

de l’expérience pourraient être utilisés. Ces sons permettraient au sujet d’indiquer quand il a

eu l’intention de réaliser la tâche mentale. Par la suite, une classificationoffline pourrait être

réalisée pour voir s’il est plus facile de détecter l’intention de mouvement volontaire lors de la

condition yeux fermés ou yeux ouverts.

Ces résultats pourraient également être utiles dans le cadre de la rééducation motrice après

un AVC à l’aide d’une BCI [361, 273, 362, 257, 363]. En effet, même si en temps normal

les BCI utilisent un retour visuel pour informer l’utilisateur des décisions du système après

une tâche d’imagination motrice, on pourrait envisager que certaines BCI choisissent qu’il est

préférable d’exécuter l’imagination de mouvement les yeux fermés, par exemple pour des raisons de

concentration [364,365]. Dans ce cas, le patient pourrait recevoir un retour tactile [273,314,321]

ou auditif [254]. De plus, le fait de fermer les yeux résoudrait les problèmes de fixation du regard

et d’artefacts causés par cet état et pourrait peut-être améliorer la performance des BCI [366].

Mieux comprendre comment sont modulés les ERD/ERS lorsque les yeux sont fermés pourrait

également servir aux utilisateurs aveugles qui doivent se servir d’une BCI [335]. Même si le fait

de fermer les yeux n’est pas comparable à l’homonymie, la désactivation des réseaux neuronaux

responsables de la vision pendant une tâche motrice demande à être mieux étudiée.