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LES GROUPEMENTS APPELES EXPRESSEMENT PAR LA LOI

SECTION 1 LES SYNDICATS DE SALARIES

Il s'agira ici de se demander à quel moment le syndicat de salariés dispose d'un droit d'action d'intérêt collectif. Au demeurant, on serait tenté de poser l'équation selon laquelle l'acquisition de la personnalité juridique entraîne celle du droit d'action collective sur le fondement de l'article L. 411-11 C. trav..

Les syndicats professionnels, on l'a vu, ont été les premiers à revendiquer, à obtenir et à exercer une action d'intérêt collectif. Partis d'une interprétation jurisprudentielle de l'article 3 de la loi 21 mars 1884 qui définissait l'objet des syndicats par « l'étude et la défense des intérêts économiques, industriels,

commerciaux et agricoles » 118 , les syndicats professionnels, par suite des

errements et soubresauts des tribunaux, se sont vus reconnaître le droit d'ester en justice pour la défense de l'intérêt collectif de leur profession à travers l’arrêt célèbre des chambres réunies de la Cour de cassation du 5 avril 1913 : « attendu

que l'action syndicale n'a pas pour objet de donner satisfaction aux intérêts individuels d'un ou de plusieurs des membres du syndicat mais bien d'assurer la protection de l'intérêt collectif de la profession envisagée dans son ensemble et représentée par le syndicat ».

Cette consécration jurisprudentielle de l'action syndicale en vue de défendre l'intérêt collectif de la profession, sera ensuite entérinée par la loi du 12 mars 1920 qui a donné sa rédaction actuelle à l'article L. 411-11 du Code du travail. Cet article dispose, en effet, que : « Les syndicats peuvent, devant toutes

les juridictions, exercer tous les droits réservés à la partie civile relativement aux faits portant préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif de la profession qu'ils représentent ».

Au vu de ces dispositions, il apparaît clairement que ce droit d'action n'est sujet à aucune sorte de condition particulière ou préalable. Il suffit que le groupement qui veut bénéficier de ce droit d'action, soit appelé syndicat

118

- La nouvelle rédaction de l’article L. 411-1 du C. travail issue de la loi n° 82-915 du 28 octobre 1982 s’articule comme suit : « Les syndicats professionnels ont exclusivement pour

objet l’étude de la défense des droits ainsi que des intérêts matériels et moraux, tant collectifs qu’individuels, des personnes visées par leurs statuts ».

professionnel suivant les prescriptions du Code du travail 119. En effet, l'article L. 411-2 dudit code permet aux personnes exerçant la même profession, des métiers similaires ou des métiers connexes, concourant à l'établissement des produits déterminés ou la même profession libérale, de se constituer librement en syndicat ou en association professionnelle 120. Il s'agit d'une condition de fond.

En revanche, s'agissant de la forme, l'article L. 411-3 ajoute que « les

fondateurs de tout syndicat professionnel doivent déposer les statuts et les noms de ceux qui, à un titre quelconque, sont chargés de l'administration ou de la direction ». Pour ce faire, l'article R. 411-1 prévoit que le dépôt doit être effectué

à la mairie de la localité où le syndicat est établi et que communication des statuts doit être faite par le maire au procureur de la République. La difficulté ici est de savoir à quel moment le groupement acquiert la personnalité juridique ou civile que confère l'article L.411-10 C. trav. 121. En principe, si l'on suit à la lettre les dispositions du Code du travail, notamment l'article L. 411-10, le syndicat dispose de la personnalité juridique même si aucune formalité de dépôt de statuts n'a été effectuée par ledit groupement dès lors que les conditions de fond sont respectées.

Cependant, l'application jurisprudentielle des articles L. 411-10 et L. 411-3 C. travail reste très ambiguë 122 tant sur le plan de la reconnaissance de la personnalité civile du syndicat en dehors de toute déclaration que sur celui du droit d'action d'intérêt collectif en cas de défaut de dépôt des statuts. Dès lors, se pose la question de savoir si le dépôt des statuts constitue une condition de forme en vue de la reconnaissance légale de la personnalité morale du prétendu syndicat et par voie de conséquence donne droit à ce dernier de défendre l'intérêt collectif

119

- Article L.410-1 et s. C. travail.

120

- Sur le problème syndicat - groupement volontaire - et/ou syndicat - institution, voir notamment J.M. Verdier, Traité de droit du travail, syndicat et droit syndical, T.V, V. 1, 2e

éd., 1987, n°s 93 et s. ; adde J. Savatier, Formalisme et consensualisme dans la constitution des syndicats et des sections syndicales, Dr. Soc. 1989, 304, à comparer aussi avec les articles 1 à 16 du Code de la famille et de l'aide sociale.

121

- Y compris celle des unions de syndicats, art. L. 411-23 C. trav..

122

de la profession dont il a la charge. Un malaise certain se dégage de la réponse ou des réponses des juges.

La Cour de cassation, toutes chambres confondues, avait jusqu’à 1975 123 « explicitement dénié la personnalité morale à des syndicats qui n'avaient pas

effectué le dépôt de leurs statuts » 124.

A partir de 1975, cette position sera nuancée et tendra non plus à dénier la personnalité juridique au groupement non déclaré mais davantage sa qualité de syndicat. De ce fait, le groupement non déclaré bien qu'ayant la personnalité morale, ne peut toutefois se prévaloir des droits reconnus aux syndicats pour défaut de qualité 125. Selon le professeur Verdier 126, « le souci est évident, (...),

d'éviter de faire état d'une absence de personnalité morale et de s'en tenir au strict plan des droits reconnus aux syndicats. Le lien entre personnalité juridique du syndicat et dépôt des statuts paraît ainsi brisé ». Aussi cet auteur conclut-il

que se situe dans cette optique, la décision 127 qui, à propos de la désignation de délégués syndicaux, a estimé que le syndicat auteur de la désignation n'ayant pas déposé ses statuts, n'avait « pas encore d'existence légale » lui permettant d'y procéder. Il en est de même pour une Union départementale qui ne pouvait justifier du dépôt en mairie du nom de ses dirigeants, l'un d'eux n'était pas habilité à agir en justice au nom de l'Union 128.

Néanmoins, la Chambre criminelle semble bien nuancer sa position par rapport à celle de la Chambre sociale. Bien que refusant de retenir l'infraction d'entrave à l'exercice du droit syndical au motif que, ses statuts n'ayant pas été déposés, « l'organisme en question ne jouissait pas des droits reconnus aux

syndicats et que par suite les obstacles opposés à son action n'étaient pas de

123

- Cass. crim. 20 janv. 1938, Gaz. Pal. 1938, 1, 430 ; Cass. civ. 25 févr. 1965, Dr. Soc. 1965, 508 obs. Jean Savatier, Droit Ouvrier 1986, 133 ; Soc. 25 mars 1968, J.C.P. 1968, 15607, note Verdier ; Crim. 18 juillet 1975, Bull. crim., n° 190.

124

- J.-M. Verdier, op. cit. n° 83 bis.

125

- Soc. 19 nov. 1975, Bull. V, n° 550 ; Crim. 18 oct. 1977, Dr. Soc. 1978, p. 380, obs. J.-M. Verdier ; Bull., n° 307.

126

- Verdier, op. cit., n° 83 bis.

127

- Soc. 22 juillet 1980, Bull. V, n° 675.

128

nature à constituer le délit d'entrave » 129, elle ne dénie cependant pas la qualité pour agir en justice du syndicat lorsqu'en cas de non-dépôt des statuts modifiés, la modification ne concerne que la composition du bureau du syndicat ou alors l'appellation nouvelle du syndicat n'affecte pas son objet 130.

Aujourd'hui, il semble qu'il y ait eu revirement de jurisprudence ou plutôt un durcissement puisque la Chambre sociale notamment par deux arrêts revient à sa solution antérieure qui refusait la personnalité juridique donc le droit d'agir en justice, au syndicat qui n'a pas effectué le dépôt des statuts. Ainsi, le syndicat « n'a d'existence légale que du jour du dépôt de ses statuts en mairie » 131.

La Chambre criminelle, quant à elle, semble maintenir sa position de 1977, lorsque par un arrêt de principe elle décide qu’« un syndicat qui n'a pas

effectué le dépôt de ses statuts conformément aux dispositions des articles L. 411-3 et R. 411-1 du Code du travail ne jouit pas des droits reconnus au syndicat et ne peut agir en justice ». En conséquence, les obstacles apportés à son

action ne peuvent constituer le délit d'entrave 132. De même il ne peut se constituer partie civile et donc faire appel d'une ordonnance de non-lieu rendue dans une information suivie contre un prévenu du chef d'abus de confiance 133.

En réalité, le problème reste relativement intact dans la mesure où aucune des chambres de la Cour de cassation ne reconnaît explicitement la personnalité juridique du syndicat en l'absence de toute déclaration. Même si la Chambre criminelle refuse seulement au syndicat non déclaré les droits reconnus aux syndicats, il n'en reste pas moins que la question sur la personnalité juridique de ce syndicat demeure car l'article L. 411-10 du C. trav. en accordant cette personnalité civile, entend, semble-t-il, par là l'octroyer pour la défense des droits et intérêts reconnus expressément par l'article L. 411-1 du même code. Aussi la subtile nuance de traitement résultant de la discrimination entre groupements non

129

- Crim. 18 oct. 1977, Dr. Soc. 1978, p. 380, obs. Verdier.

130

- Crim. 10 juillet 1979, Bull., n° 244 ; 13 mai 1980, Bull., n° 145.

131

- Soc. 7 mai 1987, Bull. civ. V, p. 188, adde Soc. 21 janvier 1988, Bull. civ. V, n° 69.

132

- Crim. 28 juin 1988, Bull., p. 801, D. 1989, Somm. 208, obs. Mayaud.

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déclarés et groupements déclarés, vide de son contenu l'essentiel de la loi, en l'occurrence l'objet fondamental des syndicats à travers leurs droits et intérêts reconnus par le législateur.

En outre, rien n'indique expressément dans le code, comme l'affirment certains auteurs 134, que le dépôt des statuts conditionne le bénéfice légal de la personnalité juridique. Et ce n'est pas parce que l'article L. 411-3 C. trav. précède l'article L. 411-10 que l'on doit en déduire que le premier constitue une condition sine qua non pour bénéficier des dispositions du second. Même si le législateur emploie le verbe "devoir" pour obliger les fondateurs à déposer les statuts, cela ne semble cependant pas dire qu'il conditionne absolument l'octroi de la personnalité morale. Sinon cela revient à admettre qu'il n'y a plus de différence de régime entre associations et syndicats car on le verra lorsque les premières ne sont pas déclarées, celles-ci ne peuvent jouir de la personnalité juridique. Encore faut-il être prudent puisque depuis 1954, la Cour de cassation reconnaît que « la

personnalité civile n'est pas une création de la loi, elle appartient en principe à tout groupement pourvu d'une possibilité d'expression collective pour la défense d'intérêts licites, dignes par suite d'être juridiquement protégés ; (....) » 135. En effet, en admettant que la « personnalité civile appartient à tout groupement

pourvu d'une possibilité d'expression collective pour la défense d'intérêt licite

(....) », il n'est point besoin pour reconnaître cette personnalité d'exiger au

préalable la

publicité : la déclaration et le dépôt des statuts.

A notre avis cette mesure de publicité n'a d'intérêt que si elle concourt à la paix civile, à la sécurité des droits des tiers au sens le plus large. Mais, elle ne

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- Gérard Lyon-Caen et Jean Pelissier, Droit du travail, Dalloz, 16e éd. 1992, n° 607 et s.. En revanche, Jean Rivero et Jean Savatier, (Droit du travail, P.U.F., 13e éd., 1993, p. 132 et s.), dans l'étude de la personnalité juridique des syndicats, n'ont pas donné leur opinion sur le problème du dépôt des statuts. Toutefois, on peut se rapporter à l'article de doctrine de Jean Savatier, Formalisme et consensualisme dans la constitution des syndicats et des sections syndicales, Dr. Soc., 1989, p. 304. On reviendra sur ce problème lorsqu'on examinera dans le second chapitre la perte d'habilitation.

135

- Civ. 28 janvier 1954, D. 1954, 217, note Levasseur. Voir aussi J.-M. Verdier, Traité de droit du travail, op. cit., n° 83 bis, in fine.

peut conditionner l'obtention de la personnalité. On pourrait même dire que la mesure de publicité n'est autre qu'une mesure de police car son exigence n'est concevable que dans l'hypothèse où le groupement a un caractère occulte, informel. Toutefois, dès lors que les tiers ont connaissance de l'existence du groupement, peut-on encore parler de groupement occulte puisqu'il est déjà admis que tout groupement pourvu d'une possibilité d'expression collective dispose de la personnalité morale ? L'existence d'un groupement qui dispose de cette expression collective ne peut être ignorée des tiers ! Or, la question sur la personnalité civile ne se pose que lorsque le groupement non déclaré revendique un intérêt juridiquement protégé : Il veut se faire reconnaître un droit qu'il prétend avoir du fait de sa personnalité civile.

Dans ce cas, il devient illogique, inutile et contradictoire de lui opposer la fin de non-recevoir tirée de l'absence de déclaration préalable et de dépôt des statuts pour déclarer son action irrecevable faute de personnalité civile. Paradoxalement, le groupement non déclaré opère au grand jour ou en d'autres termes dispose en droit et en fait d'une expression collective pour la défense d'intérêts licites. Dès lors, l'exigence, dans cette hypothèse, de la déclaration est sans intérêt puisque ledit groupement en exerçant une action en justice dépasse largement le cadre de la simple formalité de publicité : Il est en conflit avec les

"tiers". Aussi parler encore de déclaration constitue-t-il une tautologie maladroite

et mal venue. A moins de dire explicitement que la personnalité appartient à tout groupement défendant des intérêts licites, dignes, par suite, d'être juridiquement reconnus et protégés. Ici, l'accent serait mis plutôt sur la nature des intérêts défendus et non sur l'expression collective du groupement. Pour ce faire, tout groupement a intérêt, pour se voir reconnaître la personnalité civile, à se faire connaître, dès l'origine, des autorités publiques. Ces dernières décideront si les intérêts défendus sont ou non licites et dignes d'être juridiquement protégés 136. En définitive, la formalité du dépôt des statuts doit être considérée comme une mesure destinée à informer les tiers de l'existence du groupement ainsi déclaré. Son défaut ne devrait donc pas préjudicier à l'existence du groupement ni à sa

136

personnalité morale acquise dès sa constitution en vertu de la combinaison des

articles L. 411-1,

L. 411-2 et L. 411-10 C. trav..

En outre, si le législateur a jugé utile de prévoir expressément un article sur l'acquisition de la personnalité morale, c'est qu'il veut instituer un statut particulier. A contrario, cette disposition n'aurait plus de valeur dès lors que l'on privilégie la formalité du dépôt des statuts, laquelle sera d'ailleurs tout comme pour les associations 137, la condition de forme pour accéder à la personnalité civile. La remarque mérite d'être soulignée si l'on reconnaît d'une part que les syndicats jouissent par exemple par rapport aux associations d'un statut spécial et, d'autre part, qu'on ne peut occulter le caractère institutionnel du syndicat 138. Pour ce dernier caractère, on peut le comparer à celui de l'Union nationale et des Unions départementales des associations familiales 139 en matière de défense des intérêts collectifs des familles.

Il apparaît clairement que la condition tenant au dépôt des statuts du syndicats à la mairie, constitue en fait une condition prétorienne d'acquisition de la personnalité juridique. Au demeurant, on peut interpréter cette condition comme un moyen pour les tribunaux de contrôler la formation et la vie des syndicats, lesquels peuvent se voir pénaliser sur le terrain des conditions de fond ou de forme. En effet, une fois le dépôt des statuts fait, il appartient au maire de communiquer ces statuts au procureur de la République, qui en vérifie la conformité avec les prescriptions légales, en vue de provoquer éventuellement la sanction des illégalités pour non-respect des dispositions de l'article L. 411-1 et pour fausse déclaration relative aux statuts, aux noms et qualités des directeurs ou administrateurs. Pour ce faire, le procureur de la République en vertu des dispositions des articles L. 411-9 et L. 481-1 C. trav. peut attraire les directeurs ou administrateurs de syndicats devant le Tribunal correctionnel ou demander au Tribunal de grande instance la dissolution judiciaire desdits syndicats.

137

- Art. 5 (modifié par la loi n° 71-604 du 20 juillet 1975) et art 6 de la loi du 1er juillet 1091 relative au contrat d'association. cf. infra p. 94 et s..

138 - Voir notamment J-M. Verdier, Traité de droit du travail, op. cit., n° 93 et s..

139

Si les syndicats avec les dispositions exorbitantes de l'article L. 411-11 ont des problèmes pour se faire reconnaître en justice un droit d'action syndicale sans condition préalable, on pourrait a priori s'inquiéter du sort réservé aux associations familiales et de consommateurs.

SECTION 2 : LES GROUPEMENTS RELEVANT DE LA

LOI DU 1

er

JUILLET 1901 : LES ASSOCIATIONS