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CHAPITRE III : LES LUSITANISMES DANS LES LANGUES LOCALES

1.3. Les emprunts syntaxiques

1.4.1. Analyse sémantique des emprunts

1.4.1.6. La survivance des deux termes

Nous notons dans cette modalité, la survivance des deux lexèmes : l’emprunt portugais et le terme local initial dans une relation de synonymie. Les exemples ne sont pas nombreux dans cette catégorie d’emprunts. Nous en avons retenu sept exclusivement issus du mina.

222 S’il est vrai que, comme le défend Rey DEBOVE dans « la sémiologie de l’emprunt lexical » Trahili, 1973, p.109 Apud TIOULENTA, Temoré, op.cit.1991, p7, « l’emprunt lexical, au sens strict du terme /est/ le processus par lequel la langue L1 dont le lexique est fini et déterminé dans l’instant T, acquiert un mot M2 (expression et contenu) qu’elle n’avait pas et qui appartient au lexique d’une langue L2 (également fixe et déterminé) », la mort et le baptème n’ont jamais existé dans la société médiévale et pré-coloniale éwé ; or ceci ne semble vrai dans aucune société humaine.

4. dò ou kpòkpò – mina – Ghana, Togo, Bénin ‘le mal, la maladie’

dor ~ dô [dǤr] ~ [dǤ] - portugais, ‘mal, douleur, peine’

dò < dor ~ dô mais kpòkpò ≠ dor

5. gŏmà ou aŋè – mina- Ghana, Togo ‘ la colle’

goma [goma]- portugais ‘ amidon’

gŏmà < goma mais aŋè [aŋe] ≠ [goma]

6. bòkò ou dòduìzìzì- mina – Gh, Tg ‘calme’

bocó223 [bǤkǤ] – portugais ‘idiot’

bòkò < bocó mais dòduìzìzì≠ bocó

7. bù amè ou sĕtó – mina- Gh, Tg ‘être obéissant’

amem [amε>] – portugais ‘amen’

bù amè < amem 1.4.1.7. Confusion de signifiant

Dans certains emprunts, le locuteur africain a confondu les référents, se plongeant ainsi dans une confusion au niveau du signifié.

1. kflι,-dida- Côte d’ivoire, ‘la cuillère’

garfo [garfo]- portugais ‘ fourchette’

kflι, < garfo

2. fkι - dida- Côte d’Ivoire, ‘ la fourchette’

faca [faka] - portugais ‘ couteau’

fkι < faca.

223 Terme trivial qui, dans le portugais populaire du Brésil, signifie ‘idiot’ ; vocable certainement ramené de ce pays par les immigrants afro-descendants de la fin de la première moitié du XIXe siècle. De la notion de calme à celle de ‘idiot’, il y a un long chemin qui suscite des interrogations. A-t-on associé le calme à l’idiotie ? Il y a eu une visible déviation sémantique.

3. gŏmà – mina, fon - Ghana,Togo, Bénin ‘ la colle’

goma [goma], portugais ‘ amidon’

gŏmà < goma

Dans ces trois exemples, nous constatons que la fourchette, le couteau et l’amidon ont été respectivement pris pour la cuillère, la fourchette et la colle. Ce genre de déviations sémantiques par inversion ou interversion n’est heureusement pas fréquent dans notre univers cible. Nous ne les avons notés qu’en mina.

1.4.1.8. Conclusion

A l’issue de l’observation de tous ces emprunts sémantiques, nous remarquons que les emprunts polysémiques, c’est-à-dire ceux qui conduisent à plusieurs significations différentes sont rares dans notre corpus. La polysémie n’a pas pu s’établir véritablement dans ce processus « empruntatoire ». Les langues locales ont emprunté des signifiants et avec eux, leurs signifiés sans trop s’en éloigner même si, par moment, des glissements sémantiques de même que quelques petites confusions et corruptions sémantiques ont pu être notés.

Enfin, il convient d’ajouter que les emprunts qui conservent aussi bien le terme portugais que la forme initiale originelle dans la langue réceptrice sont peu nombreux.

Au terme de cette analyse, nous pouvons, à mi-parcours, dresser un bilan partiel à travers le tableau suivant, relatif aux champs ou domaines sémantiques et à leur teneur en fréquence absolue et relative sur ce total de cent cinquante six (156) emprunts lexicaux que nous avons extrait de notre annexe 2.1.

Tableau 2 : Tableau récapitulatif des champs sémantiques et des emprunts

Finances, commerce Nom de monnaie,

Comptabilité 07 4.48%

deux champs, tous seuls, totalisent près de la moitié des entrées. Quarante cinq (45) mots pour les biens de consommation et produits manufacturés, sur 156, soit 28,84%. Ensuite, viennent les emprunts liés à la religion qui sont au nombre de trente deux (32) soit 20,51%

et enfin, hormis les emprunts qui se rangent sous la rubrique « Autres », arrivent ceux portant sur l’agriculture et la gastronomie avec 11.53% et 9,61% respectivement.

Cela denote que l’intégration s’est surtout opérée dans les domaines qui ne faisaient pas partie de l’environnement originel des peuples de la région. Les produits manufacturés et les biens de consommation modernes, tels que la clé, le verre, la fourchette, la cuillere, les lunettes, le parfum, le mochoir, la serviette etc. sont des produits nouveaux venus de l’Occident. La religion chrétienne avec ses fêtes, ses sacrements et tous les objets de rite et rituels qui la caractérisent est aussi un apport nouveau. Le sucre, le pain, le fromage, le gateau, le vin et l’engrais pour l’agriculture sont des choses nouvelles que les habitants n’ont découvertes pour la première fois que grace aux Portugais. La civilisation est en devenir et l’homme, dans sa lutte pour l’amélioration de son environnement, invente et fabrique chaque jour, des objets pour se faciliter la vie. La technologie trouve d’ailleurs sa raison d’être dans cette quête perpétuelle de l’esprit humain. L’Occident, en apportant certains éléments de sa civilisation en Afrique, a permis à ce continent d’avancer sur le chemin du developpement. L’Afrique a intégré des coutumes et objets importés. Elle ne pouvait guère nommer ces référents ne faisant pas partie de son monde habituel. Elle n’a fait qu’adopter les noms à eux donnés par ceux qui les lui ont apportés. Et c’est ainsi que peut s’expliquer l’intégration de certains supports lexicaux ou emprunts et pas d’autres dans notre univers cible. Maintenant, la question consiste à savoir comment ceux-ci ont été empruntés ? Pour continuer de comprendre le mécanisme du transfert de ces emprunts lexicaux et leur intégration dans les langues cibles, suivons les analyses phonologique et morphologique que nous faisons respectivement dans les points subséquents.