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L’Etat des lieux sur la question des emprunts lusophones

CHAPITRE II : L’ETAT DES LIEUX

1.2. L’Etat des lieux sur la question des emprunts lusophones

Pour ce qui est de la litterature sur la question des emprunts lusophones dans la sous-région, nous connaissons le travail du brésilien Braga202 et ceux de quatre autres chercheurs dont un en Côte d’Ivoire, un au Ghana et deux au Bénin. Au Togo, nous n’avons connaissance de la réalisation d’aucune production dans ce domaine203. Dans les lignes qui suivent, voyons l’état concret des lieux dans chacun de ces quatre pays :

1.2.1. L’état des lieux en Côte d’ivoire

En Côte d’Ivoire, nous n’avons connaissance que d’une seule étude sur la question lusophone. Il s’agit de l’article du professeur Bernard Ano Boa204 intitulé « La lusophonie, plus qu’une question de frontière et d’unité linguistique : mais un substrat de présence portugaise dans la mentalité des peuples. Une approche d’anthropologie culturelle et d’ethnolinguistique à partir de l’étude du cas des emprunts lexicaux dans la langue agni de Côte d’Ivoire ». Ici, l’auteur jette un regard sur l’agni sa langue maternelle. Il se base sur un corpus composé d’une liste de vingt cinq (25) termes qu’il a directement recueillis lors d’enquêtes sur le terrain et qu’il a même mis à notre disposition. Cette étude, menée selon une méthodologie à la lisière entre la lexicologie et l’anthropologie, est le seul document que nous connaissons en Côte d’Ivoire.

1.2.2. L’état des lieux au Ghana

Au Ghana, c’est seulement dans le courant de l’année 2004 que le phénomène de l’héritage portugais, déjà bien connu sur le plan historique à travers les toponymes côtiers, a fait l’objet de la curiosité linguistique de Marco Aurélio Schaumloeffel, un chercheur brésilien occupant, cette année-là, le poste de Lecteur de portugais à l’Institut des Langues d’Accra.

202 BRAGA, J.S. « Anciens brésiliens au Dahomey (contribution à l’étude de la langue portugaise au Dahomey) in Etudes dahoméennes nouvelle série n°17, Porto Novo, IRAD, 1970, pp 91-98.

203 L’ouvrage de Lébéné Philippe BOLOUVI (Op. Cit.) a été, certes, publié à Lomé mais il traite d’afro-brasilerismes au Brésil et non dans le Golfe de Guinée.

204 Bernard ANO BOA est enseignant-chercheur à l’Ecole Normale Supérieure d’Abidjan. Il fut l’un des premiers lusistes de la Côte d’Ivoire et titulaire d’une Licence de protugais obtenue en 1975 à l’Université Paul Valery de Montpellier.

Dans ses deux premiers articles205 parus dans le Daily Graphic d’Accra, le chercheur aborde la communauté des Tabon et loue leur rôle de vecteur dans l’intégration de lusitanismes dans l’anglais du Ghana et dans la langue des Ga de la région d’Accra.

Dans son troisième article206, inédit, il va plus loin en passant le fante, le twi, le ga et quelques parlers éwé du Ghana au crible de sa langue maternelle.

Sa contribution est exclusivement d’ordre lexicolographique ; elle consiste à cataloguer des expressions, des termes et des noms propres dans un commentaire d’ordre socio-historique. Cette contribution, jadis inexistante, constitue, à notre connaissance, un pas incontestable, le seul disponible sur la question des emprunts lexicaux portugais au Ghana.

1.2.3. L’état des lieux au Togo

Dans ce pays, nous avons relevé la belle étude lexicographique de Philippe BOLOUVI207 sur les afro-brasilerismes et qui est, en réalité, une version remaniée de sa thèse de Doctorat d’Etat sur les apports linguistiques kwa dans le portugais de Bahia au Brésil. Il s’agit d’une étude lexicographie à relants lexicologiques qui se fonde sur un corpus qui se focalise essentiellement sur le lexique du Camdomblé, culte afro-brésilien né du croisement entre le christianisme et le vodou pratiqué par les esclaves d’origine ewé, fon et yoruba. Cette étude est interessante mais elle prend comme langue cible le portugais et non les langues africaines. Aussi, se cantonne-t-elle dans un sociolecte qui n’est utilisé que par les seuls initiés, ce qui restreint son champ de compréhension et d’appréciation.

1.2.4. L’Etat des lieux au Bénin

205 SCHAUMLOEFFEL, Marco Aurélio – « The influence of portuguese language in Ghana » in Daily Graphic, Accra, 07-05-2004 et « The African influence in Brasil » in Daily Graphic, Accra, 10-05-2004.

206 --- « Empréstimos linguisticos do português nas línguas faladas no país dos Tabom », inédit.

207 BOLOUVI, Lébéné Philippe, Op. Cit.

La première étude connue est celle réalisée par Braga208, publiée en 1970. C’est une contribution à l’étude de la langue portugaise au Dahomey. L’auteur y aborde directement la question des lusitanismes dans leur rapport avec les langues locales de l’actuel Bénin.

Dans toute la sous-région, c’est au Bénin, que nous avons enregistré la plupart des travaux actuels sur la question de la lexicologie européenne en général et afro-portugaise en particulier. Au Bénin, le fon, langue véhiculaire de tout le sud côtier qui déborde aujourd’hui vers le Nord (où sont majoritairement parlées les langues Gur) a eu un contact étroit et prolongé avec les Arabes et les Européens (Portugais, Français, Anglais et Hollandais). Cette situation a engendré des curiosités linguistiques intéressantes soulignées respectivement par Djahunta209 et surtout Gbeto210, deux chercheurs du pays.

Djahunta aborde, dans la question de l’influence des langues étrangères sur le fon de Ouidah, les apports du français, de l’anglais, du néerlandais mais aussi du portugais.

Ouidah, pendant la période de la traite négrière, était la principale plaque tournante du Golfe de Bénin. Le brassage des peuples, des langues et des cultures a favorisé des interférences linguistiques qui ont abouti aux emprunts linguistiques. Mais ces emprunts étaient plus motivés par la nécessité que par le modisme.

Dans le chapitre qu’il consacre aux lusitanismes, l’auteur fait un effort d’identification en s’appuyant sur le dictionnaire de Basile Segurola, ses expériences de tous les jours et son intuition personnelle. Son étude est un travail intéressant et louable de pionnier dont les limites résident dans le seul fait qu’il n’est malheureusement pas locuteur de la langue portugaise, ce qui le conduit à quelques légères confusions lors de l’identification des emprunts lusitaniens. Certains vocables qu’il affirme être portugais ne le sont pas en réalité et vice-versa. Mais ces imprécisions n’enlèvent guère à ce travail, son mérite.

208 BRAGA, J.S.op. cit

209 DJAHUNTA, Théophile – Contacts culturels entre langues étrangères et langues africaines : études structurelles des emprunts et des interférences langagières dans le parler Fon de Ouidah, Cotonou, Université Nationale du Bénin ( Mémoire de Maîtrise), 1998.

210 GBETO, Flavien , op. Cit.

Gbeto, quant à lui, emprunte partiellement la même démarche que Djahunta avant de se démarquer. Il aborde les emprunts français, anglais et portugais en fon mais son étude n’est pas que lexicologique. Elle va au-delà de la lexicologie pour proposer, à la lumière des théories linguistiques de l’optimalité et des phonologies générative et autosegmentale, des analyses et interprétations des phénomènes d’intégration linguistique.

La phonologie des emprunts est ici l’axe principal de la recherche. Entre autres, l’auteur analyse et interprète soigneusement le processus auquel se soumet le terme lors de son intégration dans la langue emprunteuse, le respect des principes et règles phonologiques et tonologiques du fon par les emprunts. Il décrit, en plus, les phénomènes de la troncation, du redoublement, de l’épenthèse puis il formalise des règles morpho – syntaxiques, tonales et syllabiques pour prouver que la morphologie des emprunts n’est pas un fait du hasard ; elle obéit à des principes immanents et très clairs. C’est, à notre avis et à notre connaissance, la meilleure étude linguistique jusque-là réalisée sur les emprunts européens au Bénin et dans la sous-région. Cependant, elle se heurte à l’inconvénient de la difficile accessibilité du discours au grand public. Cette étude se tisse dans une terminologie appropriée que seuls les initiés à la phonologie comprennent. L’auteur n’a pas le choix ; il s’agit d’une production scientifique. Cet hermétisme, d’ailleurs normal, constitue en même temps un lourd argument défavorable à la divulgation de cette étude. Ici, l’auteur n’est pas non plus locuteur de portugais, mais, contrairement à son prédécesseur, aucune anomalie ou confusion ne se dégage du chapitre consacré à l’identification des lusitanismes.

Après la définition du concept de l’emprunt linguistique et la description de l’état des lieux des études lusophones dans le domaine de la lexicologie, nous abordons, dans le chapitre suivant, la question centrale des lusitanismes dans notre double univers linguistique kru-kwa.