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Surfonctionnement visuel et activation cérébrale occipitale

Chapitre 5. Discussion

5.3 Discussion générale

5.3.3 Surfonctionnement visuel et activation cérébrale occipitale

Le modèle de surfonctionnements perceptif (Mottron et al., 2006), caractéristiques de la cognition autistique, est supporté par un ensemble de résultats comportementaux, mais aussi par les études d’imagerie cérébrale montrant une plus grande implication des régions cérébrales reliées au traitement visuel, un résultat largement répliqué. Au niveau cérébral fonctionnel, des activations supérieures dans les régions occipitales lors du traitement du matériel présenté visuellement ont été mises en évidence dans une méta-analyse des études IRMf en autisme (Samson et al., 2012). Un plus grand rôle des régions visuelles a aussi été observé dans des tâches cognitives complexes, soit de raisonnement (Soulieres et al., 2009, Annexe II) et de langage (Shen et al., 2012) par exemple. De plus, nous avons montré une connectivité accrue, dans une étude de cohérence EEG en sommeil, à l’intérieur des zones visuelles ainsi qu’entre les régions visuelles et le reste du cerveau (Léveillé et al., 2010, Annexe III), un résultat répliqué depuis à plusieurs reprises (Di Martino et al., 2011; Dominguez et al., 2013; Keown et al., 2013; Shen et al., 2012; Supekar et al., 2013). Cela appuie aussi notre résultat d’une plus grande implication postérieure dans le transfert interhémisphérique de la tâche de Poffenberger.

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Au niveau des activations cérébrales IRMf reliées à la tâche de Poffenberger, notre résultat d’une moins grande activité visuelle chez les autistes parait donc contradictoire avec la littérature. Une interprétation possible de ce résultat réside dans la nature de la tâche qui consiste en une simple détection, ne nécessitant pas plus de traitement visuel des stimuli, par ailleurs toujours identiques. De plus, le temps de présentation très court (100 ms) laisse peu de place à une analyse visuelle poussée. L’implication supérieure de la perception visuelle en autisme a été principalement observée dans des tâches demandant plus de traitement de l’information visuelle (Samson et al., 2012). Dans un même ordre d’idées, une performance supérieure a été montrée chez les autistes pour des tâches de discrimination et manipulation de patrons visuels, mais pas pour des tâches de détection de bas niveau (Meilleur, Berthiaume, Bertone, & Mottron, 2014; Rivest, Jemel, Bertone, McKerral, & Mottron, 2013). Remington et collègues (2012) ont investigué une tâche de recherche visuelle, pour laquelle les autistes montrent des avantages. Ils ont manipulé la quantité d’information à traiter et ont montré que la supériorité de performance des autistes était surtout évidente quand la tâche était plus difficile et impliquait de traiter un plus grand nombre d’information, donc lorsque la tâche demandait plus aux capacités perceptives. Il est possible que la nature très facile à la tâche de détection de Poffenberger ne laisse pas de place à une supériorité de traitement ou d’accomplissement.

L’hypothèse de l’ « efficacité neuronale », postulant que des fonctions cérébrales plus efficaces soient possiblement associées à une utilisation moindre des ressources, est aussi une explication possible à la moins grande activation visuelle observée chez les autistes. Bien que la présente étude ne permette pas de confirmer cette théorie, elle est supportée par des observations de diminutions d’activité liée à une meilleure performance à une tâche visuomotrice et associée à une meilleure expertise suite à un apprentissage (Haier et al., 1992). Des diminutions d’activation cérébrale dans des tâches cognitives ont aussi été associées à une plus grande intelligence et donc une meilleure efficacité des régions cérébrales impliquées, mais uniquement pour des tâches simples et modérément faciles (Neubauer & Fink, 2009). Une moins grande activation des régions impliquées dans une tâche visuomotrice a aussi été observée chez des individus considérés « experts » comparativement à des individus sans expertise, dans une tâche simple et demandant peu cognitivement, et ce, pour une performance

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égale à la tâche (Bernardi et al., 2013). Si l’on considère les autistes comme des experts en perception visuelle, les diminutions d’activation pour cette tâche requérant un traitement visuel simple, sans différence de performance entre les groupes, pourraient donc être le reflet d’une meilleure efficacité neuronale.

Le fait d'activer les aires visuelles de façon moins importante dans cette tâche de détection peut aussi être le reflet d’un mode cognitif particulier aux autistes les menant à résoudre une tâche au niveau cognitif le plus bas possible (Kana et al., 2013; Mottron, Burack, Stauder, & Robaey, 1999; Mottron et al., 2006, principe 5). Il est possible que par défaut, le système visuel des typiques traite les stimuli visuels de façon plus extensive (ex, analyse des contrastes, de la luminance) alors que le cerveau des autistes s’en tient à la simple détection de présence du stimulus; la nature, position ou les caractéristiques du stimulus étant non pertinents à la tâche. Cette hypothèse est aussi cohérente avec l’observation des suractivations visuelles en autisme pour des tâches plus complexes. Les suractivations visuelles souvent associées à des diminutions de l’activité frontale comparativement aux typiques pour différentes tâches, ont été interprétées comme une façon de résoudre des tâches cognitives complexes avec un traitement plutôt de type bas niveau, soit en utilisant la perception visuelle (Kana et al., 2013). Ce résultat est en accord avec celui de Soulières et al. (2009), observant, même dans une tâche complexe de raisonnement, que les autistes utilisent la perception de façon plus importante pour résoudre les problèmes alors que les typiques utilisent des stratégies relevant plutôt des fonctions frontales. Cela suggère aussi la plus grande implication du traitement visuel comme conséquence du traitement frontal déficitaire, mais, possiblement aussi, résultant d’une plus grande autonomie de fonctionnement des régions postérieures en autisme, liée à la connectivité cérébrale atypique (Just et al., 2012). Notre résultat d’un plus petit corps calleux en frontal associé au transfert de l’information plus visuel va aussi en ce sens.

Ces mécanismes compensatoires ou reliés à un effet de plasticité suite à l’expertise ont pour effet un maintien de la performance aux tâches étudiées ou parfois une meilleure performance. Dans la tâche de raisonnement des matrices de Raven (Soulieres et al., 2009), la plus grande activité visuelle et la moins grande activité frontale n’étaient en effet pas associées à un meilleur résultat au test, mesuré par l’exactitude des réponses. Toutefois, les autistes

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avaient des temps de réponse significativement plus rapides, ce qui a mené à suggérer un avantage dans le traitement de l’information comparativement aux individus typiques. Cet avantage au niveau de la rapidité de réponse a aussi été observé dans diverses autres tâches telles que le sous-test Blocs du Wechsler, les figures cachées et la recherche visuelle (ex.: Caron et al., 2006; de Jonge, Kemner, & van Engeland, 2006; Edgin & Pennington, 2005; Falter, Plaisted, & Davis, 2008; O'Riordan M, 2004; O'Riordan & Plaisted, 2001; O'Riordan, Plaisted, Driver, & Baron-Cohen, 2001).

Le rôle de la vitesse de traitement perceptif dans la cognition autistique a été investigué spécifiquement grâce à la tâche de temps d’inspection. Nous avons montré en effet que la meilleure performance des autistes à la tâche d’IT était reliée à leur performance supérieure au Raven. Cela est donc compatible avec un rôle plus important des processus visuels dans l’intelligence et le raisonnement autistique, plus particulièrement, une plus grande efficacité ou rapidité de traitement de l’information visuelle par le cerveau.