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Chapitre 5. Discussion

5.3 Discussion générale

5.3.5 Génétique, plasticité et variabilité

La relation entre les origines génétiques de ce trouble neurodéveloppemental qu’est l’autisme et les altérations cérébrales anatomiques et fonctionnelles réside en des modifications au niveau de l’équilibre fonctionnel des neurones. En effet les gènes impliqués

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dans l’autisme sont en grande partie reliés à l’homéostasie des neurones et des synapses (Huguet et al. 2013). Cela affecterait entre autres la plasticité synaptique, un mécanisme favorisant les effets de l’expérience sur l’anatomie et la fonction des régions cérébrales, augmentant leur variabilité. En effet, l’activité neuronale induit des modifications au niveau de la synapse permettant aux circuits neuronaux une réponse dynamique à l’expérience. Les mécanismes de plasticité synaptique en lien avec l’activité des neurones seraient d’ailleurs une cible importante des mutations génétiques observées (Ebert & Greenberg, 2013).

Les mécanismes de formation et d’élimination de connections dans le cerveau ont aussi été impliqués dans les anomalies de développent du cerveau des jeunes autistes. Les facteurs neurotrophiques jouent un rôle important dans ces mécanismes et régulent la prolifération, la migration, la différentiation et l’intégrité cellulaires qui sont aussi affectées en autisme (Nickl- Jockschat & Michel, 2011). Des niveaux altérés de facteurs neurotrophiques sont aussi observés (Nickl-Jockschat & Michel, 2011 pour une revue de littérature) et auraient donc un impact sur la connectivité cérébrale atypique ainsi que sur les différences structurales observées. Les facteurs neurotrophiques sont aussi impliqués dans les processus de neuroplasticité et la formation des synapses permettant la communication entre les neurones. En plus d’être liée aux altérations microstructurales cérébrales, une plus grande plasticité pourrait avoir un lien causal avec les mécanismes de réallocation corticale observés dans le cerveau autiste (Markram & Markram, 2010). En effet, une plus grande plasticité fonctionnelle prédirait plus de variabilité au niveau de l’allocation régionale des fonctions cérébrales.

Pierce et collègues (2001) ont été parmi les premiers à montrer une réallocation corticale en autisme, soit le fait d'activer une région pour une fonction qui n’implique normalement pas celle-ci. Ce phénomène pourrait être largement représenté en autisme (Mottron et al., 2014). Dans l’étude de Pierce, les autistes ne présentaient pas les activations cérébrales reliées au traitement des visages typiquement observées dans le gyrus fusiforme. Deux autres études ont aussi montré une localisation des activations en réponse au traitement de visages qui divergeait des celle des sujets typiques et se trouvaient dans des régions cérébrales normalement pas associées au traitement de visages (Humphreys, Hasson, Avidan, Minshew, & Behrmann, 2008; Scherf, Luna, Minshew, & Behrmann, 2010). Les

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démonstrations de suractivations visuelles lors de tâches de langage (Shen et al., 2012) ou de raisonnement (Soulieres et al., 2009) peuvent aussi être considérées, selon le modèle Trigger- Threshold-Target de l’autisme (TTT; Mottron et al., 2014, présenté plus loin), comme des exemples de modifications des allocations fonctionnelles régionales. De plus, non seulement les régions cérébrales impliquées pour une même tâche différeraient entre les autistes et les typiques, mais les régions activées seraient plus variables à l’intérieur même du groupe autiste.

Une plus grande variabilité intragroupe dans la localisation des régions activées a été observée lors d’une tâche d’apprentissage visuomoteur (Muller, Cauich, Rubio, Mizuno, & Courchesne, 2004; Muller et al., 2003). Dans cette tâche, les autistes présentaient une plus grande variabilité interindividuelle au niveau de la localisation des activations reliées à la tâche dans les régions pariétales supérieures et prémotrices. Une plus grande variabilité spatiale interindividuelle a aussi été observée dans les régions visuelles, lors des tâches de traitement de visages (Pierce et al., 2001; Scherf et al., 2010).

Les études sur le cerveau typique suggèrent que la variabilité spatiale dans l’allocation des fonctions du cerveau ne soit pas distribuée de façon égale dans l’ensemble des régions corticales. En effet, dans une étude de connectivité fonctionnelle, plus de variabilité a été observée dans les régions associatives hétéromodales que dans les régions motrices et perceptives unimodales (Mueller et al., 2013). Ce résultat est supporté par le fait que ces mêmes régions montrent aussi une plus grande variabilité en termes de gyrification (Braun, 2009). En autisme, il semblerait que les mécanismes de plasticité favoriseraient aussi ces régions non primaires qui présenteraient une gyrification augmentée (Wallace et al., 2013) ainsi que de plus importantes altérations structurales (Nickl-Jockschat et al., 2012) comparativement aux individus typiques. Afin de tester cette plus grande variabilité de localisation en autisme, en plus de voir si elle est spécifique aux régions secondaires par rapport aux régions primaires, nous avons effectué une analyse de la variabilité interindividuelle de localisation des activations IRMf reliées à la performance d’une tâche visuomotrice d’imitation (Poulin-Lord et al., 2014, voir Annexe IV). La nature de la tâche a aussi permis d’observer comment la variabilité se répartit entre les régions visuelles et motrices. Une plus grande variabilité dans la localisation des activations a été observée dans

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le groupe d’autistes, plus particulièrement dans les aires motrices et visuelles associatives et du côté gauche.

La même analyse de variabilité a été effectuée avec les données IRMf de la tâche de Poffenberger (Annexe I) et nous avons aussi observé une plus grande variabilité de localisation des activations dans les aires motrices et visuelles associatives que primaires. De plus, la localisation des activations dans les régions motrices gauches (BA4 et 6) était plus variable chez les autistes que chez les typiques, une différence principalement causée par plus de variabilité dans le cortex moteur primaire (BA4). Nous n’observons pas la plus grande variabilité dans les aires associatives reliées à la motricité (BA7). Toutefois, comme le mouvement à effectuer lors de la tâche de Poffenberger est extrêmement simple comparativement à la tâche d’imitation, un moins grand nombre de participants présentaient de l’activation dans l’aire BA7, diminuant ainsi le pouvoir statistique de la comparaison. De la même façon, la présence de pics d’activations dans les aires visuelles primaires (BA17) seulement dans la moitié des sujets autistes a rendu la comparaison statistique entre les régions primaires et associatives visuelles difficile dans cette analyse.

Par ailleurs, l’analyse de variabilité ne suggère pas que les différences de groupes au niveau des activations visuelles l’étude de Poffenberger soient affectées par une localisation intragroupe plus variable. Toutefois, de façon générale, la plus grande variabilité interindividuelle soulève des questionnements quant à l’interprétation des résultats en IRMf, puisqu’elle pourrait être à l’origine de différences de groupe en termes de localisation et d'intensité des activations. La variabilité et la réallocation corticale sont donc d’importantes variables à considérer. La plus grande variabilité interindividuelle suggère aussi des mécanismes de plasticité atypiques et possiblement plus importants en autisme pouvant être mis en relation avec des aspects comportementaux. Par exemple, en plus de l’utilisation de stratégies cognitives différentes comparativement aux individus typiques, chaque individu autiste pourrait utiliser des stratégies uniques pour arriver à une même fin. Nous présenterons maintenant l’impact de ce résultat sur l’hétérogénéité du phénotype autistique, représenté dans la nosographie par la distinction autisme-Asperger.

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