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Chapitre 5. Discussion

5.3 Discussion générale

5.3.2 Nature des réductions de corps calleux en autisme

L’hypothèse d’un moins bon transfert interhémisphérique chez les autistes, formée considérant les propriétés altérées du corps calleux, était en partie basée sur l’extrapolation de l’effet sur le transfert interhémisphérique des réductions, des lésions et même de l’absence de corps calleux chez des individus non autistes. Toutefois, les résultats de notre étude portent à croire que les diminutions du corps calleux autistique ne soient possiblement pas de même nature que les variations de grosseur normale de corps calleux dans la population typique. Par

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exemple, les femmes, qui sont en général moins latéralisées que les hommes dans leurs fonctions cérébrales, ont en moyenne un plus gros corps calleux (Steinmetz, Staiger, Schlaug, Huang, & Jancke, 1995). De plus, l’observation que les gauchers ont en général un corps calleux plus gros que celui des droitiers (Witelson, 1985, 1989) est expliqué par le fait qu’un cerveau plus symétrique, donc ayant des fonctions moins latéralisées, nécessite plus d’intégration interhémisphérique, et donc un plus grand nombre de fibres (Dorion et al., 2000). Une fonction plus latéralisée serait plus indépendante de l’hémisphère opposé. Un plus gros corps calleux est en général effectivement associé à un plus grand nombre de fibres et donc à un niveau de connexion interhémisphérique plus fort (Aboitiz, Scheibel, Fisher, & Zaidel, 1992). Or, en autisme, on observe un corps calleux plus petit, mais des fonctions cérébrales

moins latéralisées. De plus, ces différences en matière de latéralisation sont associées à une

plus grande proportion de gauchers dans la population autiste (15-20 %; Hauck & Dewey, 2001) que dans la population typique (~ 9%).

Toutefois, en autisme, les diminutions de volume du corps calleux ne seraient pas nécessairement, ou du moins pas uniquement, dues à une diminution du nombre de fibres. Les études de DTI en autisme permettent d’investiguer la nature des atypicalités des fibres de matière blanches et montrent principalement des diminutions de FA dans le corps calleux des autistes (méta-analyse: Aoki et al., 2013). Or, la FA n’est pas particulièrement liée au nombre de fibres, mais plutôt à l’intégrité de la membrane, à la myélinisation, au diamètre des fibres et à la directionnalité ou cohérence des fibres. De plus, des augmentations de diffusivité moyenne et radiale dans le corps calleux des autistes ont été suggérées comme indiquant des altérations au niveau de la myélinisation des axones (revue de littérature: Travers et al., 2012). Lazar et ses collaborateurs (2014) ont quant à eux démontré des altérations dans le ratio de fibres de gros diamètre par rapport aux fibres de petit diamètre, un ratio favorisant un plus grand nombre d’axones de petit diamètre en autisme.

Certaines études ont investigué la relation entre les propriétés du corps calleux des autistes et les différences de latéralisation cérébrales. Lo et al. (2011) ont observé que les diminutions de FA dans les sections du corps calleux connectant les régions frontales et temporales, associées à une connectivité interhémisphérique réduite, étaient reliées à des diminutions d’asymétrie dans l’intégrité des fibres de matière blanche intrahémisphériques.

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Cela n’est pas conforme avec la notion que moins de latéralisation nécessite plus de connectivité interhémisphérique. Floris et collègues (2013) ont investigué directement l’asymétrie du corps calleux en mesurant son volume, bilatéralement, dans des tranches para- sagittales droites et gauches. Ils suggèrent que la latéralisation atypique de la partie centrale du corps calleux pourrait être impliquée dans les symptômes moteurs de l’autisme. Ils ont aussi montré que, contrairement aux typiques, les autistes ne montraient pas de relation entre l’index d’asymétrie du corps calleux et la latéralité manuelle. Les variations dans les propriétés du corps calleux en autisme n’auraient donc effectivement pas le même effet que dans la population non autiste, ce qui est possiblement explicable par des différences dans leur nature ou leur origine.

Le développement atypique du cerveau autistique, soit la croissance rapide précoce suivie d’un ralentissement et menant à des cerveaux plus gros, joue un rôle dans les différences de relation entre le corps calleux et la latéralisation des fonctions cérébrales. Des fibres de corps calleux plus longues associées à un cerveau plus gros causeraient une réduction dans le nombre de fibres, la quantité de myéline ou le diamètre des fibres. Ces réductions structurales seraient dues au coût (en terme de consommation des ressources) associé aux projections de longue distance, favorisant le développement des fibres de courte distance (Lewis et al., 2013). Des différences au niveau de l’organisation cellulaire ont aussi un effet sur le développement des connexions. Le plus grand nombre de neurones dans certaines régions de matière grise qui comprendraient aussi un plus grand nombre mini-colonnes plus étroites (Casanova et al., 2006) créerait une plus grande compétition entre les neurones pour les ressources d’énergie nécessaires à leur fonctionnement, soit les facteurs neurotrophiques (Piven et al., 1997). Cela favoriserait aussi les connexions de courte distance ipsilatérales demandant moins de ressources et d’énergie que les connexions de longue distance et défavoriserait la connectivité interhémisphérique (Vidal et al., 2006).

Le rôle du corps calleux dans le développement de la spécialisation hémisphérique est important (Westerhausen et al., 2004). Les particularités du cerveau autistique et l’impact des mutations génétiques y étant associées sur la formation et l’élimination des connexions neuronales, modifient aussi le développement du corps calleux et affectent la latéralisation des fonctions. Ces modifications interhémisphériques chez les autistes ont d’ailleurs un effet sur

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l’organisation globale du cerveau et affecteraient les fonctions langagières et motrices dont les déficits seraient en partie causés par leur latéralisation atypique (Kleinhans, Muller, Cohen, & Courchesne, 2008; Wittling, Schweiger, Rizhova, Vershinina, & Starup, 2009). Cela supporte la nature possiblement différente des réductions du corps calleux comparativement à celles observables dans la population non autiste. De plus, vu le développement atypique du cerveau autistique, ces réductions n’auraient pas les mêmes effets sur la latéralisation ni sur la vitesse de transfert de l’information simple qui est intacte (Barbeau et al., en révision; Clawson et al., 2013). Cette réorganisation cérébrale lors du développement du cerveau ne serait pas uniquement à l’origine de différences de connectivité interhémisphérique, mais d’atypicalités de connectivité générale menant à une description de l’autisme en tant que trouble de la connectivité. Cette connectivité, parfois accrue, parfois diminuée, dépendamment de la distance des connexions et des régions impliquées, mais définitivement atypique, serait aussi associée à une plus grande indépendance des régions corticales menant à des sous ou des surfonctionnements régionaux (Mottron et al., 2006), notamment de nature perceptive.