• Aucun résultat trouvé

Chapitre 5. Discussion

5.3 Discussion générale

5.3.8 Relation avec les modèles récents de l'autisme

L’hétérogénéité observée dans le profil cognitif des différents sous-groupes du spectre autistique appuie le récent modèle Trigger-Threshold-Target (TTT) de l'autisme (Mottron et al., 2014). Selon ce modèle, les mutations génétiques à l’origine du phénotype autistique, bien qu'étant très diverses et de nature polygénique, ont en commun qu'elles entrainent ou déclenchent (trigger) des réactions de plasticité neuronale tant au niveau de la synapse, lieu de communication entre les neurones, que de l'organisation corticale. Toutefois, ces mutations ne sont pas suffisantes pour causer en soi le phénotype autistique, mais sont plutôt des facteurs prédisposant à l’autisme. Certains autres facteurs, tels que des polymorphismes de gènes particuliers jouent un rôle déterminant et modifient le seuil (threshold) au-delà duquel la réaction plastique peu survenir. Une certaine vulnérabilité génétique pourrait aussi diminuer les seuils de sensibilité à des facteurs environnementaux déclencheurs (Herbert, 2010). La nécessité d’un élément déclencheur explique aussi pourquoi l’autisme se manifeste durant le

157

développement malgré la présence de prédispositions génétiques (Markram & Markram, 2010). De plus, les différentes combinaisons possibles d'éléments génétiques déclencheurs et de seuils cibleraient (target) différentes régions cérébrales. Selon le modèle TTT, les régions impliquées dans la perception et le langage seraient plus particulièrement touchées, et ce, vu leurs similarités au niveau évolutif, neuronal et développemental. En effet, ces régions ont évolué relativement récemment et se développent sur une période de temps plus prolongée ce qui les rend plus susceptibles à la plasticité et à la variabilité. La cible de ces réactions de plasticité variable expliquerait donc l’hétérogénéité des forces et faiblesses cognitives observées dans le spectre autistique, soit les forces en perception pour les autistes et les forces langagières pour les individus Asperger.

Le modèle TTT stipule que la plasticité favoriserait les fonctions langagières chez les Asperger, mais elles utiliseraient des ressources cérébrales nuisant aux habiletés motrices. Le développement « négligé » (neglect) de la motricité cause ainsi les déficits moteurs caractérisant ce sous-groupe et les différentiant des autistes. Cela est conforme avec le résultat montrant que des déficits moteurs sont corrélés et s’agrègent avec les habiletés en langage dans le sous-groupe Asperger. Considérant les atypicalités de la matière blanche, la compétition pour les ressources cérébrales pourrait, dans ce cas, venir du fait que le langage et la motricité bimanuelle requièrent tous deux un haut degré de coordination interhémisphérique. Le développement précoce du langage utiliserait les allocations régionales disponibles et/ou la capacité de traitement interhémisphérique, laissant peu de place au développement des habiletés motrices bimanuelles. À l’opposé, un manque ou un retard de développement du langage, rendraient disponible au développement moteur complexe plus de ressources.

Dans l’étude de la vitesse de traitement perceptif, nous avons montré que l'implication des forces perceptives était spécifique aux autistes avec retard de langage. Selon le modèle TTT, ce traitement perceptif accru serait un obstacle au développement des fonctions langagières en entrainant une négligence (neglect) des aspects non perceptifs impliqués dans le langage, le déficit le plus important les distinguant des Asperger. Outre ces différences entre les sous-groupes pour ce qui est des aspects cognitifs « négligés », les sous-groupes auraient

158

en commun les déficiences dans le domaine social. Voir figure 1 pour une schématisation des aspects trigger, threshold, target et neglect du modèle.

Figure 1. Schématisation du modèle Trigger-Threshold-Target (TTT) de l'autisme. Tiré de Mottron et al. (2014).

Les liens établis précédemment entre la plasticité cérébrale, la connectivité atypique et les surfonctionnements perceptifs sont aussi compatibles avec une autre théorie récente de l’autisme. Cette théorie, développée pour expliquer de façon cohérente et unifiée l’hétérogénéité de l’autisme, est celle de l’Intense World (Markram & Markram, 2010). Selon ce modèle, l’autisme serait un « syndrome moléculaire » qui, si activé, fait en sorte que l’expression de gènes devient plus sensible à des stimulations environnementales et cause une accélération et un surdéveloppement du cerveau. Plus spécifiquement, les microcircuits neuronaux seraient affectés de façon à provoquer leur hyperfonctionnement, leur hyperréactivité et leur hyperplasticité, causant les traits autistiques. Selon ce modèle, l’ensemble des traits autistiques serait donc expliqué par une hyperperception, une hyperattention, une hypermémoire et une hyperémotivité. Chacun de ces aspects serait affecté à des degrés différents selon les individus, leur génétique, leurs expériences et des facteurs épigénétiques, expliquant les différentes sévérités du spectre autistique. De plus, les

159

microcircuits seraient plus ou moins affectés selon la région cérébrale dans laquelle ils se trouvent. Les régions liées aux processus cognitifs, perceptifs et moteurs plus élémentaires seraient plus touchées au détriment du fonctionnement des processus cognitifs de plus haut niveau ou plus intégratifs. Toujours selon le modèle Intense World, durant le développement du cerveau, un apport de l’information plus important provenant des aires sensorielles vers les aires intégratives de plus haut niveau, comme les aires associatives et frontales, pourrait causer la croissance excessive observée dans ces régions. Ce modèle est aussi cohérent avec les théories de connectivité de l’autisme, particulièrement la surconnectivité locale qui serait associée à l’hyperréactivité des mini-colonnes et à leur plus grande autonomie. Les augmentations de matière blanche en jeune âge agiraient de manière compensatoire afin de coordonner cette activité locale intense et à tendance autonome. En résumé, un hyperfonctionnement local et une plasticité augmentée, en réaction à l’environnement, déclenchent un développement accéléré du cerveau et une hyperréactivité sensorielle. De plus, la mémoire intensifiée pour chaque expérience vécue rendrait les autistes plus réticents aux surprises.

Cela nous mène à une autre théorie, celle du cerveau prédictif dysfonctionnel (Gomot & Wicker, 2012; Van de Cruys et al., 2014) basée sur les observations cliniques des particularités de traitement sensoriel et de réticence au changement. Selon ce modèle, de nombreux symptômes de l’autisme viendraient de difficultés de prédiction. Un cerveau prédictif utilise l’information de l’environnement pour prédire une suite, intégrer les informations et comprendre une situation. Les prédictions sont aussi le résultat des expériences vécues et des expériences attendues et le fait de prédire de façon adéquate sert de filtre attentionnel et permet, par exemple, de traiter l’information sociale en triant ce qui est pertinent de ce qui ne l’est pas. Les déficits de prédictions en autisme associés aux biais de traitement local de l’information réduiraient la tendance normale à traiter l’information dans son contexte. Ils expliqueraient aussi les comportements répétitifs et ritualisés en tant que mécanisme compensatoire rassurant. Ce modèle explique aussi les difficultés de perception et de fonctions exécutives telles que la flexibilité et la planification en lien avec une influence top-down altérée des fonctions frontales sur les procédés de traitement sensoriel. Il est concordant avec les théories de sous-connectivité de longue distance et appuie les

160

informations présentées précédemment concernant le rôle d’une relation atypique entre les mécanismes frontaux et perceptifs, tant dans le raisonnement que dans les performances visuomotrices. Au niveau moteur, cette théorie est aussi compatible avec la présente thèse puisque le cerveau prédictif dysfonctionnel affecterait l’anticipation et la planification des mouvements (Sinha et al., 2014).