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Conséquences comportementales des atypicalités de matière blanche en autisme

Chapitre 1. Contexte théorique

1.2 Autisme

1.2.6 Conséquences comportementales des atypicalités de matière blanche en autisme

1.2.6.1 Motricité

Le lobe frontal est l'une région où l'on observe le plus d'atypies chez les autistes, tant au niveau fonctionnel qu'au niveau des augmentations de volume de matière grise (Courchesne, Redcay, & Kennedy, 2004), et de matière blanche (Amaral et al., 2008). Mostofsky et ses collègues (2007) suggèrent que les déficits des fonctions motrices observés chez les enfants autistes seraient fortement prédits par l’augmentation de volume de la matière blanche dans l’hémisphère gauche au niveau des régions motrices et prémotrices (frontales). Les auteurs expliquent ces déficits comme étant une conséquence de la trajectoire développementale atypique du cerveau autistique, plus particulièrement de l'augmentation rapide du volume de matière blanche suivi d’un arrêt (contrairement aux enfants typiques, chez qui le développement graduel de la matière blanche laisse le temps à la dextérité manuelle de se développer). Bien que la relation entre les déficits moteurs et les propriétés de la matière blanche n’ait pas été investiguée de façon extensive en autisme, on peut s’attendre à d’autres relations possibles. Par exemple, l’intégrité d’autres régions de matière blanche comme la capsule interne, la capsule externe et la matière blanche du cervelet serait corrélée à la performance motrice, plus précisément aux mouvements fins des doigts uni et bimanuels (Sullivan, Rohlfing, & Pfefferbaum, 2008). Les anomalies de matière blanche en autisme permettent aussi d’émettre l’hypothèse que les atteintes motrices seraient en lien avec un ralentissement de la vitesse de traitement de l'information par le cerveau, ce qui affecterait la motricité sur le plan de l’intégration sensorimotrice, de l’ajustement postural et de l’anticipation (Gepner & Feron, 2009).

1.2.6.2 Vitesse de traitement

En autisme, les altérations de la matière blanche ont effectivement été liées à des diminutions de vitesse de traitement de l’information par le cerveau (Travers et al., 2014). Selon Schmitz et al. (2007), la densité atypique de matière blanche du lobe frontal causerait des ralentissements de la vitesse de traitement. Dans cette étude les auteurs ont utilisé une tâche de type Go/NoGo consistant à appuyer sur un bouton rapidement en réponse à des

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stimuli (lettres) cibles, seulement lorsqu’ils sont précédés d’un autre stimulus spécifique. Des temps de réponse plus lents chez les autistes étaient corrélés à la densité de matière blanche frontale. Les échelles d'intelligence de Wechsler comprennent certains sous-tests qui, combinés, forment un Indice de vitesse de traitement (IVT). Sur le plan comportemental, des études montrent que les autistes, comparativement aux individus typiques, ont des IVT plus lents qui sont associés aux symptômes de l'autisme (Oliveras-Rentas, Kenworthy, Roberson, Martin, & Wallace, 2012). De plus, Alexander et ses collègues (2007) ont montré une association entre l’IVT et l’intégrité du corps calleux (FA, RD). Cet IVT des échelles de Wechsler en tant que mesure de la vitesse de traitement est toutefois questionnable puisqu’il comprend une composante motrice importante. Les sous-tests composant l'IVT impliquent, entre autres, le dessin rapide de petites formes requérant une bonne motricité fine et une bonne dextérité. Une mauvaise coordination de l’écriture souvent notée chez les autistes ainsi qu'une tendance obsessive à reproduire les symboles de façon trop exacte pourrait biaiser l'indice. La question de la vitesse de traitement réelle ainsi que son implication dans l'intelligence autistique restent donc à être clarifiées.

1.2.7 Conséquences possibles des diminutions anatomiques du corps calleux

1.2.7.1 Que nous apprend l'agénésie du corps calleux?

Outre le transfert direct de l'information d'un hémisphère à l'autre pour les fonctions motrices bimanuelles, qui ont été corrélées avec l’intégrité de la matière blanche le composant (Johansen-Berg, Della-Maggiore, Behrens, Smith, & Paus, 2007), le corps calleux est impliqué dans diverses fonctions cognitives plus complexes comme le langage (Gazzaniga, 2000). La littérature sur l’agénésie du corps calleux, ou absence développementale de cette structure, permet d’en savoir plus sur la nature de ses fonctions. Bien que l’absence totale du corps calleux chez ces personnes ait un impact étonnamment limité sur leurs habiletés cognitives générales, certains déficits sont observables. Ils incluent la compréhension et l’usage de la syntaxe et des aspects pragmatiques du langage tels que la prosodie et les proverbes, mais aussi de l’humour et des formes non littérales du langage. De plus, on rapporte des déficits au niveau de la résolution de problèmes, du raisonnement abstrait, de la généralisation et de la vitesse de traitement (Paul et al., 2007; Paul, Corsello, Kennedy, &

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Adolphs, 2014). De façon plus générale, on observe aussi des déficits sur le plan social ainsi qu'en ce qui touche la représentation et la conscience de soi (Uddin, 2011). Une autre étude (Badaruddin et al., 2007) note des déficits dans le transfert interhémisphérique de l’information sensorielle complexe et dans l’apprentissage, la coordination motrice bimanuelle, la résolution de nouveaux problèmes complexes, le traitement des aspects sémantiques et phonétiques subtils du langage, la compréhension de la signification de second ordre du langage, et la compréhension de la psychologie et du comportement. En ce qui concerne l’aire de la compréhension du comportement et de la psychologie, les parents rapportent souvent des déficiences dans le fonctionnement social impliquant un jugement social pauvre, un parlé avec une tendance à l’écholalie ou un parlé en cliché, une difficulté à comprendre les expressions faciales et parfois une tendance à ne pas comprendre les blagues ou les histoires (Badaruddin et al., 2007). De façon intéressante, tous ces symptômes s'apparentent à ceux de l'autisme. Sans que les personnes avec agénésie du corps calleux en aient nécessairement le diagnostic, cette condition est tout de même un facteur de risque important de l’autisme (Paul et al., 2014) et un tiers des adultes avec agénésie du corps calleux présenteraient des comportements concordant avec un TSA.

1.2.7.2 Corps calleux et autisme : lien entre anatomie et fonction

En autisme, les conséquences directes qu'ont les diminutions du corps calleux sur sa fonction restent à être investiguées. Comme on l’a vu plus haut, les diminutions de FA et les augmentations de RD associés au diamètre et myélinisation des axones, et donc à leur vitesse de conduction (Madden et al., 2004), prédisent une communication moins efficace entre les neurones connectés par ces fibres.

Bien que les récentes revues de littératures en connectivité fonctionnelle soulignent principalement la connectivité antéropostérieure (intrahémisphérique) réduite, il existe aussi certains arguments empiriques en faveur d’une connectivité interhémisphérique atypique en autisme. Ces évidences proviennent entre autres d’études de cohérence en EEG, qui observent des diminutions généralisées chez les autistes, surtout entre les régions bilatérales frontales et temporo-pariétales (Carson, Salowitz, Scheidt, Dolan, & Van Hecke, 2014; Catarino et al., 2013; Coben, Clarke, Hudspeth, & Barry, 2008; Lazarev, Pontes, Mitrofanov, & Deazevedo, 2013), mais aussi entre les régions visuelles bilatérales (Clawson, Clayson, South, Bigler, &

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Larson, 2013; Isler, Martien, Grieve, Stark, & Herbert, 2010; Lazarev et al., 2013). Cette connectivité interhémisphérique atypique a aussi été observée à l'aide de la spectroscopie proche infrarouge (Zhu, Fan, Guo, Huang, & He, 2014) et de l’IRM fonctionnelle (IRMf). Parmi les études de connectivité fonctionnelles IRM en autisme, celle de Dinstein et al. (2011) a mis en évidence des diminutions de connectivité interhémisphérique entre les régions langagières chez des enfants durant le sommeil. Verly et al. (2014) ont observé une diminution entre les régions de Broca bilatérales, les aires motrices supplémentaires et les régions dorsolatérales préfrontales. Anderson et al. (2011) ont aussi observé des réductions de connectivité interhémisphérique entre les régions frontales sensorimotrices, l’insula frontale et les régions pariétales supérieures, et les régions temporales et prémotrices inférieures. Ces auteurs ont investigué le lien entre ces réductions de connectivité et les réductions anatomiques du corps calleux chez les autistes. Ils ont observé que les deux étaient associés, mais pas significativement corrélés. D’ailleurs peu d’études ont mis en relation ou même tenté de mettre en relation les diminutions de corps calleux avec ses fonctions.

Les réductions de corps calleux ont été associées à des aspects neurocognitifs incluant le traitement sensorimoteur et les fonctions exécutives (Tour de Hanoi), impliquant les régions frontales bilatérales (Keary et al., 2009) ainsi que l’IVT des échelles de Wechsler (Alexander et al., 2007). Les diminutions du corps calleux ont aussi été reliées à la sévérité des symptômes autistiques. Les propriétés microstructurales du corps calleux seraient négativement corrélées aux scores de communication et interactions sociales réciproques du Autism Diagnostic Observation Schedule (l'ADOS-G, Hanaie et al., 2014), et aux scores de sévérité des symptômes mesurés à l’aide du Childhood Autism Rating Scale (CARS). Elles ont aussi été reliées aux scores de l’ADI dans les trois sphères d’atteinte, soit les interactions sociales réciproques, la communication et les comportements restreints, répétitifs et stéréotypés (Cheung et al., 2009), ainsi qu'aux habiletés langagières (Billeci, Calderoni, Tosetti, Catani, & Muratori, 2012).

Seulement quelques études ont établi un lien direct entre les propriétés du corps calleux et la connectivité fonctionnelle réduite. Les réductions volumétriques du corps calleux antérieur ont été mises en relation avec une connectivité fronto-pariétale (donc intrahémisphérique) plus basse, et les propriétés du corps calleux ont été interprétées comme

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indexant les anomalies plus générales de la matière blanche, imposant des contraintes sur la connectivité fonctionnelle (Damarla et al., 2010; Just et al., 2007). Des liens ont aussi été notés entre la grosseur du corps calleux et la connectivité fonctionnelle réduite entre les régions bilatérales occipitales et temporales, ainsi qu’entre les régions frontales gauches et pariétales droites (Kana et al., 2006), entre les régions frontales gauches et temporales droites (Mason, Williams, Kana, Minshew, & Just, 2008), entre les régions bilatérales parahippocampiques et la connectivité antéropostérieure dans l’hémisphère gauche (Cherkassky, Kana, Keller, & Just, 2006). De plus, McGrath et ses collègues (2013) ont souligné qu’il existe définitivement un lien en autisme entre les réductions d’organisation microstructurales de la matière blanche et les anomalies de connectivité fonctionnelles. Toutefois l'effet direct des diminutions du corps calleux sur l'efficacité et la rapidité des communications entre les régions cérébrales connectées par ses fibres reste à être investiguée.