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Application en microbiologie

I.2. Substrats enzymatiques fluorogéniques en microbiologie

L'utilisation de substrats enzymatiques en milieu de culture, telle que la gélose nutritive, est basée sur l'incubation de bactéries isolées en présence du substrat chromogène ou fluorogénique. Ce dernier possède un motif de reconnaissance de l'enzyme ciblée pouvant être métabolisé par cette dernière. Cette réaction enzymatique conduit à libération d'une molécule (chromophore et/ou molécule fluorescente) présentant des propriétés optiques détectables seulement lorsque le micro-organisme ciblé, exprimant cette enzyme, est présent. Les avantages de ce type de tests sont : la facilité de mise en œuvre, le faible coût et parfois la détection et l'identification précoce des agents pathogènes14.

Le premier substrat synthétique date du milieu du 20ème siècle15, il est basé sur la libération de l'ortho-nitrophénol, ayant une couleur jaune intense, suite à l'hydrolyse du ortho-nitrophényl-b-D-galactosidase par la b-ortho-nitrophényl-b-D-galactosidase extraite d'Escherichia coli (E. coli) (Figure 3).

Figure 3. Principe du substrat chromogène permettant la détection de la b-D-galactosidase15. Remarque : La couleur jaune intense de l'ortho-nitrophénol est due à sa forme phénolate. Son pKa étant égale à 7,2, en solution aqueuse, la forme phénol et phénolate sont en équilibre.

Toutefois, la coloration de la plupart des milieux de culture est proche de la couleur jaune, il pouvait donc être difficile de distinguer de façon certaine l'apparition d'une couleur due à la libération du chromophore ortho-nitrophénol16. C'est pour pallier à ce genre d'inconvénients que les chercheurs se sont rapidement tournés vers les substrats fluorogéniques qui doivent permettre (du moins en théorie) d'accéder à une plus grande sensibilité de détection intrinsèque. En effet, la perception de la différence de couleur due à la libération du chromophore repose sur une perception subjective pouvant changer avec l'éclairage environnant. Tandis que pour les fluorophores, l'émission de lumière est dépendante d'une excitation à une longueur d'onde définie, elle est donc généralement plus facile à observer et dans un laps de temps plus réduit (6 à 8 h contre 24 à 72 h pour les substrats chromogènes)17. Dans le reste du chapitre, nous nous intéresserons donc principalement aux substrats fluorogéniques.

14 L. Varadi, J. L. Luo, D. E. Hibbs, J. D. Perry, R. J. Anderson, S. Orenga, P. W. Groundwater, Chem. Soc. Rev., 2017, 46, 4818-4832.

15 J. Lederberg, J. Bacteriol., 1950, 60, 381-392.

16 M. Manafi, W. Kneifel, J. Appl. Bacteriol., 1990, 69, 822-827.

17 M. J. Corey, Coupled Bioluminescent Assays: Methods, Evaluations, and Applications. John Wiley & Sons, New Jersey, 2009. O HO OH OH OH O NO2 β-D-Galactosidase + H2O O HO OH OH OH OH HO NO2 + β-D-galactose o-nitrophénol o-nitrophényl-β-D-galactose

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Aujourd'hui, la plupart des milieux pro-fluorescents utilisent des composés fluorogéniques dérivés de la coumarine, tel que la 4-méthylombelliférone (ou 4-méthylumbelliférone, 4-UM) ou la 7-amino-4-méthylcoumarine (7-AMC), fluorophores bien connus présentant un large déplacement de Stokes (voisin ou supérieur à 100 nm en tampon aqueux, pH 7,5) et une émission intense dans le bleu, centrée vers 450 nm (Figure 4)18. La première utilisation de la 4-MU date de 1975 ; le motif de reconnaissance présent sur les substrats dérivés de ce phénol fluorescent était une unité sucre liée au niveau de sa position anomérique via un lien de type acétal19. J. L. Maddocks et M. J. Greenan ont ainsi montré qu'il était possible de différencier les souches de E. coli de celles de

Pseudomonas aeruginosa (P. aeruginosa). Cette 7-hydroxycoumarine possède une fluorescence

dépendante du pH liée à l'équilibre acido-basique mettant en jeu sa fonction phénol (pKa ~ 7,8). Dans le PBS (100 mM + 150 mM NaCl, pH 7,5), son rendement quantique relatif de fluorescence est de 87%20. Cette valeur élevée s'interprète notamment par la présence en solution de la forme phénolate qui se caractérise par une structure de type "push-pull" (i.e., le phénolate agit en tant que groupement donneur et le motif lactone agit en tant que groupement électro-attracteur)21. L'utilisation d'un milieu contenant un substrat fluorogénique dérivé de la 4-MU nécessite donc un pH légèrement alcalin ou l'addition d'une solution alcaline post-incubation pour révéler la fluorescence bleue22. Cependant, le maximum d'émission de ce fluorophore se situe dans la gamme spectrale de la fluorescence naturelle de plusieurs bactéries23 (e.g., P. aeruginosa produit de la pyoverdine, un oligopeptide antibiotique de la famille des sidérophores, possédant un chromophore dérivé de la quinoléine et dont le maximum d'émission est centré à 455 nm24), limitant ainsi son utilisation. Enfin, la 4-MU a tendance à diffuser dans le milieu de culture, ce qui pose un problème quant à la localisation précise des enzymes au sein de la bactérie et peut conduire à des résultats médiocres en termes de rapport S/N.

Figure 4. Structure des principaux dérivés de coumarine fluorescents utilisés dans l'élaboration de substrats enzymatiques fluorogéniques.

18 M. Goodfellow, E. G. Thomas, A. C. Ward, A. L. James, Zentralbl. Bakteriol., 1990, 274, 299-315.

19 J. L. Maddocks, M. J. Greenan, J. Clin. Pathol., 1975, 28, 686-687.

20 P. C. Glowacka, N. Maindron, G. R. Stephenson, A. Romieu, P.-Y. Renard, F. da Silva Emery, Tetrahedron Lett., 2016,

57, 4991-4996.

21 a) R. F. Chen, Anal. Lett., 1968, 1, 423-428 ; b) E. Koller, O. S. Wolfbeis, Monatsh. Chem., 1985, 116, 65-75.

22 J. E. L. Corry, G. D. W. Curtis, R. M. Baird, Handbook of Culture Media for Food and Water Microbiology, Royal Society of Chemistry, 2011.

23 X. Hou, S. Liu, Y. Feng, Sci.Rep., 2017, 7, Article 39289.

24 J. C. MacDonald, G. G. Bishop, Biochim. Biophys. Acta, Gen. Subj., 1984, 800, 11-20.

O O HO 4-MU O O H2N 7-AMC O O HO EHC O O

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La 7-AMC, homologue aminé de la 4-MU, possède quant à elle une fluorescence indépendante du pH. Ses maxima d'absorption et d'émission se situe dans la même gamme spectrale (respectivement à 360 nm et 430 nm)25 et son rendement quantique est de 83% dans le PBS20. Elle reste toutefois très utilisée pour la conception de substrats de référence destinés à la détection de certaines enzymes (principalement des peptidases)26 et qui sont mis en œuvre dans les systèmes automatisés de diagnostic microbiologique cités en introduction27. La diffusion dans les milieux de culture de ces deux fluorophores (une fois libérés après la réaction entre l'enzyme et le substrat) ne permet pas l'incorporation directe des substrats correspondants au sein d'un milieu nutritif tel que la gélose (matrice couramment utilisée pour les tests en boîte de Petri). De ce fait, d'autres substrats ont été développés comme la 7-hydroxycoumarine-3-carboxylate d'éthyle (EHC)28 (Figure 4). L'introduction en position C-3 du cœur coumarinique d'un groupement électro-attracteur de type -CO2Et permet de diminuer la valeur de pKa du phénol (pKa ~ 4,8). La forme largement majoritaire dans un milieu à pH neutre sera ainsi le phénolate fluorescent (vide supra). Les travaux du groupe de J. D. Perry ont montré que les milieux contenant la EHC présentaient une intensité de fluorescence environ trois fois plus élevée à pH 7,0 (après 6 h d'incubation à 37°C) que les milieux contenant la 4-MU (respectivement 70000 AFU contre 26000 AFU)28. Un autre fluorophore, la b-naphtylamine, a aussi été utilisée pour l'identification de différents genres bactériens (e.g., Streptococcus, Enterococcus) via l'hydrolyse du substrat L-pyrrolidonyl-b-naphtylamide par la pyroglutamyl-aminopeptidase29 (Figure 5). L'émission de fluorescence centrée à 520 nm était un moyen efficace (du moins sur le papier) de s'éloigner de la fenêtre d'auto-fluorescence des bactéries30. Cependant la détection à l'aide de la 7-AMC s'est révélée plus sensible, en effet, le rendement quantique de la b-naphtylamine est plus faible (47% dans l'eau31). De plus, comme beaucoup d'amines aromatiques, c'est un composé toxique. De ce fait, les dérivés de b-naphtylamine ne sont guère utilisés32.

Figure 5. Substrat fluorogénique dérivé de la b-naphtylamine développée par A. Szewczuk et M. Mulczyk pour la détection de la pyroglutamyl-aminopeptidase, permettant ainsi d'identifier des genres bactériens29.

25 C. Prakash, I. K. Vijay, Anal. Biochem., 1983, 128, 41-46.

26 M. Cellier-Rastit, A. L. James, S. Orenga, J. D. Perry, S. N. Robinson, G. Turnbull, S. P. Stanforth, Bioorg. Med. Chem.

Lett., 2019, 29, 1227-1231.

27 F. Garcia-Garrote, E. Cercenado, E. Bouza, J. Clin. Microbiol., 2000, 38, 2108-2111.

28 K. F. Chilvers, J. D. Perry, A. L. James, R. H. Reed, J. Appl. Microbiol., 2001, 91, 1118-1130.

29 A. Szewczuk, M. Mulczyk, Eur. J. Biochem., 1969, 8, 63-67.

30 A. K. Mishra, M. Swaminathan, S. K. Dogra, J. Photochem., 1985, 28, 87-91.

31 K. Tsutsumi, H. Shizuka, Chem. Phys. Lett., 1977, 52, 485-488.

32 K. Fujiwara, D. Tsuru, J. Biochem., 1978, 83, 1145-1149.

H2N β-naphtylamine N H O H N O Pyroglutamyl-aminopeptidase L-pyrrolidonyl-β-naphtylamide

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Les substrats enzymatiques fluorescents sont donc des outils bioanalytiques puissants, largement utilisés en biochimie33 et en microbiologie34, qu'il est nécessaire de développer et d'optimiser pour répondre aux exigences de la microbiologie. C'est dans ce contexte que le travail présenté dans ce chapitre s'est inscrit. Les différentes enzymes sont généralement classées en fonction du type de réaction qu'elles catalysent. Il existe ainsi 6 catégories d'enzymes : les hydrolases, les isomérases, les ligases, les lyases, les oxydoréductases, et les transférases35. Dans les paragraphes qui suivent, nous ne présenterons que l'état de l'art des substrats fluorogéniques ciblant les enzymes capables de cliver des liaisons covalentes au travers d'un processus hydrolytique catalysé (i.e., hydrolases) et plus spécifiquement les protéases (on parle également de peptidases ou d'enzymes protéolytiques).