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Introduction Générale

II. Le principe d'une détection fluorogénique

II.1. Les sondes pro-fluorescentes ou pro-fluorophores

La terminologie pro-fluorescence a été introduite en 2005 par le groupe de R. T. Raines20 au travers de la détection d'une activité de type estérase mettant en jeu un dérivé "cagé" de la rhodamine 110 dont les deux anilines primaires sont amidifiées par un bras espaceur enzymo-labile de type "trimethyl lock" (Figure 7). En anglais, on rencontre également le terme "latent

fluorophore" pour désigner ce type de sondes fluorogéniques. Elle se définit comme la

fonctionnalisation du squelette d'un fluorophore par un motif capable d'éteindre ou de diminuer la fluorescence et réactif vis-à-vis de l'analyte cible. Cette modulation de la fluorescence est généralement due à un ou plusieurs processus photophysiques qui vont être décrits plus en détails ci-dessous. On peut aussi noter que la modification chimique du fluorophore, induite par un motif souvent nommé "quencheur" (ou parfois en anglais "quenching reactive unit" ou "triggering unit"), peut également être réalisée via l'emploi d'un bras espaceur auto-immolable21. Ce dernier permet d'espacer le "quencheur" du centre fluorogénique afin de diminuer l'encombrement stérique pouvant parfois nuire à la réaction avec le (bio)analyte ciblé. L'approche la plus simple, et souvent

20 S. S. Chandran, K. A. Dickson, R. T. Raines, J. Am. Chem. Soc., 2005, 127, 1652-1653.

21 Pour des revues sur les bras espaceurs auto-immolables, voir : a) F. Kratz, I. A. Müller, C. Ryppa, A. Warnecke,

ChemMedChem, 2008, 3, 20-53; b) S. Gnaim, D. Shabat, Acc. Chem. Res., 2014, 47, 2970-2984; c) A. Alouane, R.

Labruère, T. Le Saux, F. Schmidt, L. Jullien, Angew. Chem. Int. Ed., 2015, 54, 7492-7509; d) J. Yan, S. Lee, A. Zhang, J. Yoon, Chem. Soc. Rev., 2018, 47, 6900-6916.

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-utilisée, pour masquer la fluorescence d'un composé, est la fonctionnalisation de ses fonctions phénols ou anilines primaires22, que l'on nommera alors centre fluorogénique ou interrupteur de fluorescence. Les différentes réactions fluorogéniques possibles entre la sonde pro-fluorescente et l'analyte ciblé sont décrites dans la Figure 8 et appartiennent aux grandes classes de réactions de la chimie organique (i.e., réaction d'addition, d'élimination, processus domino mettant en jeu des réactions de cyclisation/élimination, …)23.

Figure 7. Sonde pro-fluorescente développée par le groupe de R. T. Raines permettant la détection d'une activité de type estérase20.

Figure 8. Principe des sondes pro-fluorescentes dont le mécanisme d'activation est fondé sur une réaction chimique fluorogénique. (A) Élimination avec rupture d'une ou de plusieurs liaisons (covalentes ou datives). (B) Addition ou complexation avec formation d'une ou plusieurs liaisons (covalentes ou dative). (C) Réaction domino.

II.1.1. Chemosenseurs et chemodosimètres fluorescents

La bio-imagerie en fluorescence offre une approche unique permettant l'étude du vivant à l'échelle moléculaire et en temps réel24. Il est nécessaire que les sondes développées soient les plus spécifiques possibles et que la réaction avec l'analyte conduise à un changement significatif de leurs propriétés spectrales. Si le processus de détection fluorogénique résulte d'une réaction non-covalente et réversible avec cet analyte (e.g., formation de liaisons hydrogènes, interactions

22 Y. Tang, D. Lee, J. Wang, G. Li, J. Yu, W. Lin, J. Yoon, Chem. Soc. Rev., 2015, 44, 5003-5015.

23a) J. Chan, S. C. Dodani, C. J. Chang, Nat. Chem., 2012, 4, 973-984; b) K. J. Bruemmer, S. W. M. Crossley, C. J. Chang,

Angew. Chem. Int. Ed., 2020, 59, 13734-13762.

24 H. Kobayashi, M. Ogawa, R. Alford, P. L. Choyke, Y. Urano, Chem. Rev., 2010, 110, 2620-2640.

O H2N NH2+ CO2 -O N H NH O O O O AcO OAc O N H N H O O O O O- -O Estérase O O 2 Analyte Analyte Analyte Molécule peu ou pas fluorescente Molécule fluorescente A B C

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-électrostatiques et complexation de cation métallique25), on parlera de chemosenseur fluorescent26. A l'inverse, si la réaction fluorogénique est un processus irréversible, on parle alors de chemodosimètre fluorescent ; la sensibilité de détection est généralement améliorée dans ce dernier cas. Toutefois, il est intéressant de noter que les chemodosimètres ne sont pas utilisables pour observer le changement de concentration d'un analyte en temps réel27.

II.1.2. Les différentes réponses fluorogéniques

Que la sonde fluorogénique soit un chemosenseur ou un chemodosimètre, deux types de réponses sont possibles : la réponse de type intensiométrique et la réponse de type ratiométrique. Dans le premier cas, on distingue les sondes dont l'activation par l'analyte conduit à une exaltation ou une extinction de l'émission de fluorescence, on parle alors respectivement de réponse de type "Off-On" ou "On-Off". Dans le second cas, un déplacement hypso- ou bathochrome des profils d'excitation et d'émission du fluorophore par rapport à la sonde est observable (Figure 9).

Figure 9. Représentation graphique des différentes réponses fluorogéniques. A gauche, réponse intensiométrique de type "Off-On". A droite, réponse ratiométrique avec déplacement bathochrome du maximum d'émission. Illustration issue de la revue de B. M. Luby et al.19b. © 2017 Elsevier.

Afin que l'imagerie en fluorescence de processus biologiques et/ou le suivi d'un (bio)analyte d'intérêt puisse donner un rendu de qualité et produire des résultats fiables et exploitables, il est préférable que les fluorophores utilisés dans la conception des sondes, possèdent des propriétés spectrales dans la zone du NIR-I (650-900 nm, communément appelée "fenêtre thérapeutique") ou du NIR-II28 (1000-1700 nm, notamment NIR-IIa 1300-1400 nm et NIR-IIb 1500-1700 nm) qui a été récemment identifiée comme une seconde fenêtre thérapeutique très prometteuse29. En effet, la gamme spectrale de fluorescence intrinsèque de certaines biomolécules peut s'étendre

25 A. T. Aron, K. M. Ramos-Torres, J. A. Cotruvo, C. J. Chang, Acc. Chem. Res., 2015, 48, 2434-2442.

26 Pour des revues sur des chemosenseurs utilisés pour la détection fluorogénique d'analytes, voir : a) R. Martínez-Máñez, F. Sancenón, Chem. Rev., 2003, 103, 4419-4476; b) H. N. Kim, Z. Guo, W. Zhu, J. Yoon, H. Tian, Chem. Soc. Rev., 2011,

40, 79-93.

27 Pour des revues sur les chemodosimètres utilisés pour la détection fluorogénique d'analytes, voir : a) D.-G. Cho, J. L. Sessler, Chem. Soc. Rev., 2009, 38, 1647-1662; b) D. T. Quang, J. S. Kim, Chem. Rev., 2010, 110, 6280-6301; c) Y. Yang, Q. Zhao, W. Feng, F. Li, Chem. Rev., 2013, 113, 192-270; d) S. Singha, Y. W. Jun, S. Sarkar, K. H. Ahn, Acc. Chem.

Res., 2019, 52, 2571-2581.

28 Pour des revues sur les fluorophores/sondes NIR-II, voir : a) F. Ding, Y. Zhan, X. Lu, Y. Sun, Chem. Sci., 2018, 9, 4370-4380; b) S. He, J. Song, J. Qu, Z. Cheng, Chem. Soc. Rev., 2018, 47, 4258-4278; c) C. Chen, R. Tian, Y. Zeng, C. Chu, G. Liu, Bioconjugate Chem., 2020, 31, 276-292; d) J. Huang, K. Pu, Angew. Chem. Int. Ed., 2020, 59, 11717-11731.

29 Pour une revue récente sur les progrès des sondes NIR appliquées en bioimagerie, voir : J.-B. Li, H.-W. Liu, T. Fu, R. Wang, X.-B. Zhang, W. Tan, Trends Chem., 2019, 1, 224-234.

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-de 250 nm, pour les aci-des aminés tel que la L-tyrosine, à 600 nm, pour les hèmes -de type porphyrinique métallé par du fer(II). Ainsi, si le milieu biologique contient de tels molécules, l'auto-fluorescence résultante peut conduire à une mauvaise détection due à un bruit de fond trop élevé. De plus, pour les applications in vivo, la profondeur du tissu à analyser peut également s'avérer problématique en raison de l'absorption des photons (nécessaires à l'excitation ou émis par le fluorophore) par les tissus ou l'hémoglobine. Ainsi, obtenir des fluorophores absorbants et émettant dans le rouge lointain et/ou le NIR-I/II permet d'obtenir une meilleure pénétrabilité des photons et un rapport signal sur bruit (S/N) optimal30 (Figure 10).

Figure 10. (A) Coefficient de diffusion de différents tissus biologiques en fonction de la longueur d'onde. (B) Spectre d'absorption de l'oxyhémoglobine (en rouge) et de la désoxyhémoglobine (en bleu). (C) Spectre d'absorption de l'eau. Illustration issue de la revue de G. Hong et al.30. © Springer Nature.

La modification drastique des propriétés spectrales d'une sonde suite à sa réaction avec l'analyte ciblé, trouve son origine dans la modulation d'un ou de plusieurs processus photophysiques que nous allons maintenant détailler.