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4.2.2- Structures tectoniques et stratigraphie du Mali i Gjerë et de la région de Delvina

La zone d’étude se trouve au sud de la zone Ionienne, autour des villes de Saranda et Delvina (Figure 4.14). La région se divise en quatre unités chevauchantes principales, qui se raccourcissent de l’Oligocène jusqu’à l’Actuel [e.g. Roure et al., 1995 ; Muska, 2002] : il s’agit, d’est en ouest, de l’unité de Berati, de l’unité du Mali i Gjerë, de l’unité de Ftera et de l’unité de Saranda (Figure 4.12). Dans cette zone, les dépôts liassiques sont caractérisés par de fortes variations d’épaisseurs et de faciès dûes à la dynamique de blocs basculées au Jurassique Inférieur. Au sommet de ces blocs se retrouvent des sédiments de plateformes tandis qu’au fond des bassins euxiniques se déposent les Posidonia Schist [Danelian, 1986 ; Karakitsios et al., 1988 ; Roure et al., 2004]. Le faciès Posidonia Schist n’est

128 rencontré à l’affleurement qu’au niveau du Mali i Gjerë ; le faciès du Toarcien affleurant au sein de l’unité de Saranda au sud (Figure 4.14) est plus carbonaté et peu riche en matière organique.

Figure 4.14 – Carte géologique du sud de la Zone Ionienne Albanaise, centré sur le Mali i Gjere. La coupe

129 4.2.2.1- Cadre structural de la zone d’étude

Le Mali i Gjerë constitue la structure la plus étendue de la chaîne de Kurveleshi (elle fait environ 50 km x 15 km) (Figure 4.14). La partie méridionale de la structure se prolonge en Grèce. Le Mali i Gjerë se présente comme un monoclinal à faible pendage vers l’est (environ 15 à 30°). Il chevauche vers l’Ouest le flysch Oligocène de l’unité de Ftera.

Les coupes géologiques présentées en Figure 4.15 mettent en évidence le style structural typique du front du Mali i Gjerë [Roure et al., 1995 ; Vilasi, 2009]. Les unités chevauchantes détachées sur les évaporites du Trias forment des anticlinaux simples (Figure 4.15); le déplacement sur les chevauchements varie de quelques kilomètres pour les unités externes (Saranda, Ftera, Livina, Krongji) à plusieurs dizaines de kilomètres pour le Mali i Gjerë [e.g. Roure et al., 1995 ; Muska, 2002 ; Vilasi et al., 2009 ; Prifti et al., 2013 ; Prenjasi et al., 2015]. On note surtout la présence de plusieurs duplex enfouis sous les sédiments Paléogène, particulièrement au front du Mali i Gjerë (Figure 4.15). Les deux anticlinaux majeurs de Krongji et Livina, bien exposés au sud de Delvina et plongeant sous l’allochtone du Mali i Gjerë vers le nord, forment des équivalents latéraux de ces duplex [Roure et al., 1995]. Le champ d’hydrocarbures majeur de Delvina est localisé au sein de ces unités. Le système pétrolier de ce champs peut se résumer ainsi : Le réservoir est formé par les carbonates fracturés du Paléocène et de l’Eocène, la couverture par les flysch Oligocène et/ou des évaporites ou des shales liassiques de l’allochtone et la roche mère par les Posidonia Schist (Figure 4.15) [Roure et al., 1995 ; Velaj, 1999 ; Muska, 2002 ; Prenjasi et al., 2009].

Figure 4.15 – Carte tectonique et interprétations structurales du front du Mali i Gjëre [modifié de Roure et al., 1995]

A cause du manque d’imagerie sismique de bonne qualité, l’architecture du champ de Delvina et du front du Mali i Gjerë est comprise seulement partiellement. Le rôle attribué au sel triassique

130 forme le point de divergence le plus marquant : pour une école, le sel très ductile fournit la dynamique principale de la déformation, et entraîne la formation de nombreux plis et diapirs charriés sur de longues distances (Figure 4.16) [Velaj et al., 1999 ; Muska, 2002 ; Prenjasi et al., 2009 ; Prifti et al., 2013].L’autre école privilégie un style plat-rampe plus classique (Figure 4.15) [Roure et al., 1995 ; Muska, 2002 ; Roure et al., 2004 ; Vilasi et al., 2009].

Figure 4.16 – Interprétation du Mali i Gjere par le charriage de plis et de diapirs du sel triassique [Muska, 2002].

Il est très difficile de privilégier l’une ou l’autre hypothèse, puisque aucunes coupes géologiques n’est équilibrées. Bien que simplifiée, la coupe géologique de Muska [2002] fait un pas dans ce sens en proposant une modélisation cinématique validant l’évolution au premier ordre de la structure tectonique.

Une analyse attentive du contact basal du Mali i Gjerë met en évidence deux caractéristiques majeures [e.g. Roure et al., 1995]:

(1) Le chevauchement basal de l’unité du Mali i Gjerë n’est plus horizontal, mais semble avoir été passivement plissée par la mise en place des structures de Delvina (i.e. les duplex enfouis au front de l’unité chevauchante) (voir Figures 4.15 et 4.16).

(2) Les évaporites du Trias sont préservées le long du contact chevauchant, mais seulement lorsque le Trias supérieur et les carbonates du Lias sont présent dans le toit de la faille ; au sud de Delvina, les Posidonia Schist reposent directement sur les flyschs oligocènes, et l’unité allochtone semble alors être détachée à partir de ces niveaux de black shales. En Figure 4.17, un schéma tectonique très simplifié montre une hypothèse possible de la cinématique de mise en place de ce décollement secondaire.

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Figure 4.17 – Interprétation structurale de l’état pré-compression et de l’état déformé de Mali i Gjëre au niveau

de Delvina, et au sud de Krongji où un décollement secondaire dans les Posidonia Schist est observé.

Ce deuxième point est particulièrement intéressant: il indique que, malgré la présence de sel, les propriétés mécaniques associées à ce niveau roche-mère lui permettent d’agir comme un niveau de décollement. L’activation du décollement se fait dans ce cas lorsque la matière organique dans le niveau argileux est très peu mature. Sur la Figure 4.17, la solution envisagée pour la transition entre le niveau de décollement triassique et liassique correspond à un système palier-rampe développé à la faveur de changements latéraux de faciès sédimentaires au sein des sédiments liassiques. On note que cette hypothèse, bien que possible, ne repose sur aucunes données concrètes. A ce titre, des questions géologiques et mécaniques restent en suspens pour expliquer la structure en 3D du chevauchement du Mali i Gjerë : quelle en est l’architecture ? Quelle sont les raisons qui expliquent le décollement Liassique actif au sud et non au nord ? Peut-on relier cette observation avec des propriétés mécaniques ou hydromécaniques intrinsèques des Posidonia Schist ? Malgré leurs intérêts évidents dans l’étude des décollements roche-mère, ces questions n’ont pas pu être traitées dans le cadre de cette thèse, et nécessitent des campagnes ciblées d’acquisitions de données et une étude structurale précise de la partie sud du Mali i Gjerë.

Pour résumer le cadre structural de l’étude, le Mali i Gjerë forme une structure tectonique à l’architecture relativement complexe, à large échelle assimilable à un pli de cintrage sur rampe [Muska, 2002]. L’étude de la maturité thermique de la matière organique contenue dans les sédiments liassiques et crétacés met en évidence le caractère immature de celle-ci au sein de l’allochtone [Roure

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et al., 1995 ; Muska, 2002 ; Danelian et al., 2007]. Cela peut se traduire d’un point de vue cinématique par la mise en place précoce de la structure, limitant l’enfouissement sédimentaire de l’allochtone, tandis qu’au footwall du chevauchement l’enfouissement tectonique contribue à la mise en place d’un système pétrolier important [Muska, 2002].

4.2.2.2- Cadre sédimentaire de la zone d’étude

Les routes qui traversent le Mali i Gjerë permettent l’observation d’une coupe sédimentaire complète des principaux faciès de l’allochtone, du Trias à l’Eocène [e.g. Muska, 2002] (Figure 4.18). La base de la série est constituée de dolomies massives épaisses d’environ 900m, appartenant au Trias Supérieur (Figure 4.18d). Au dessous de ces dolomies reposent les évaporites. Le Lias inférieur est dominé par des calcaires cristallins et micritiques ; au sommet de la série apparaissent des bancs calcaires bioclastiques, d’épaisseur décimétrique à métrique (Figure 4.18). L’épaisseur totale du Lias Inférieur est d’environ 200m [Muska, 2002]. Le Lias Moyen est formé par des calcaires micritiques, dans lesquelles des lentilles (à la base) et des niveaux (au sommet) siliceux sont présents (Figure 4.18). En général, les niveaux siliceux sont relativement minces. L’épaisseur du Lias Moyen approche les 450m. Le Lias Supérieur, et en particulier le Toarcien, est formé par des alternances de marnes à litages millimétriques, de calcaire marneux micritiques et les Posidonia Schist (Figure 4.18), traduisant un environnement de bassin relativement profond. Ces niveaux sont, d’un point de vue général, riches en matières organiques. L’épaisseur totale est de 50m environ. Le Jurassique Moyen est représenté à la base par l’unité des radiolarites, marquée par des alternances de niveaux siliceux et de calcaires à litages fins (Figure 4.18c) ; plusieurs lits marneux très sombres et très peu épais montrent de très fort TOC. Au sommet de la série apparaissent des calcaires micritiques, toujours intercalés par de nombreux niveaux et lentilles siliceux. L’épaisseur totale est d’environ 330 m. Le Jurassique Supérieur est composée d’une deuxième unité de radiolarite ; elle est formée par des alternances de lits siliceux, des lits marneux et des bancs de calcaires micritiques (Figure 4.18). L’épaisseur de la série est d’environ 130m. Les sédiments du Crétacé sont principalement formés de bancs carbonatés, au sein desquelles se retrouvent également des niveaux turbiditiques (Figure 4.18). Au sommet de la série, les niveaux calcaires sont massifs et épais ; ils passent progressivement à des faciès de calcarénites, de turbidites calcaires, et de slumps (Figure 4.18a). Les séries crétacés forment la plus grande part de l’ossature du Mali i Gjerë (Figure 4.18b), et leurs épaisseurs totales avoisinent les 900m. Les sédiments du Paléocène sont constitués de turbidites carbonatées, et de bancs calcaires fins métriques alternant avec des bancs de calcaires gréseux (Figure 4.18). Les dépôts Eocènes sont eux caractérisés par des calcaires micritiques à litages moyens à fins (Figure 4.18).

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Figure 4.18 – Colonne lithologique de la succession sédimentaire du Mali i Gjëre [d’après Muska, 2002]

a) Slumps dans les niveaux carbonatés du Paléogène. b) Panorama du Mali i Gjëre montrant la série sédimentaire du Jurassique au Crétacé. c) Calcaire micritique à silex du Jurassique Inférieur. d) Dolomie massive du Trias (Cliché IFPEN).

134 4.2.2.3- Zone d’échantillonage des Posidonia Schist

L’échantillonnage des roches-mères Posidonia Schist s’est déroulé au cours de deux campagnes de terrains d’une semaine : la première en Juin 2014, la seconde en Mars 2015. L’objectif de la première mission était centrée sur la recherche d’affleurements du Toarcien, aux alentours du Mali i Gjerë, mais également sur les unités de Ftera et Saranda plus à l’est, et dans la région d’Himura plus au nord. La seconde mission avait pour objectif l’échantillonnage à haute-résolution des affleurements les plus intéressants, situés au front du Mali i Gjerë aux alentours de la ville de Delvine (Figure 4.19). Pour ces deux missions, une foreuse de terrain a été mise à disposition ; on verra plus loin que l’échantillonnage de plugs de shales, nécessaire aux expériences mécaniques et pétrophysiques, est une tâche plus délicate qu’attendue.

Le Toarcien roche-mère forme un intervalle de 25 à 50 m environ. La recherche d’affleurements a permis de cibler deux zones sur le Mali i Gjerë permettant une étude détaillée (Figure 4.19) : un premier le long de la route de Muzine à Delvina (appelé MGj), aux alentours du champ pétrolier de Delvina, et un second le long d’une vieille route menant à Lefterohor (appelé MGj-VR). Le Lias affleure dans plusieurs anticlinaux à cœur ouvert, notamment sur l’unité de Saranda (Figure 4.19). Cependant, le faciès du Toarcien diffère des Posidonia Schist sur les affleurements investigués en dehors de l’unité du Mali i Gjerë ; c’est le cas notamment au sein de l’anticlinal de Saranda, ou sur les affleurements de Himura situés plus au nord.

Figure 4.19 – Carte géologique de Delvina et Saranda indiquant les zones d’affleurements MGJ et MGJ-VR (la

135 Les deux affleurements sont distants de quelques kilomètres. Néanmoins, en raison des variations latérales de faciès très importantes observées au sein du Lias, la corrélation stratigraphique entre les deux coupes sédimentaires est approximative. En plusieurs endroits, les faciès Posidonia Schist sont arrachés par ce qui semble être des alluvions récentes (voir Figure 4.20). Ajouté à l’inaccessibilité de certaines zones, il n’est pas aisé de suivre la série latéralement entre les deux affleurements. On estime cependant, sur la base d’un banc carbonaté remarquable, que l’affleurement MGj-VR décrit de la partie basale de la série, tandis que l’affleurement MGj décrit la partie supérieure.

Un panorama du Mali i Gjerë permet l’observation de la zone d’affleurement MGj (Figure 4.20). Le pendage des séries sédimentaires est environ de 20° NE. Le Toarcien Posidonia Schist est conforme, et son épaisseur avoisine les 30 mètres. On note cependant qu’une bonne partie de la série est recoupée par des alluvions quaternaires. La route permet la mise à nue de quatre affleurements de bonnes qualités au sommet de la série (Figure 4.20).

Figure 4.20 – Panorama du front du Mali i Gjere détaillant la série des Posidonia Schist au niveau de

l’affleurement MGJ (cliché IFPEN).

Le second affleurement est dégagé à la faveur d’une cascade. Il se constitue d’une falaise de 20 m environ, formée par la base de la série des Posidonia Schist (Figure 4.21). A cause de la verticalité de la falaise et de son caractère instable, seules les zones à la base de la série sont accessibles pour échantillonner des plugs.

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Figure 4.21 – Photo de la série des Posidonia Schist au niveau de l’affleurement MGJ-VR (cliché IFPEN)