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4.1 – Le décollement roche-mère liassique au front de la Chartreuse

La zone frontale des Alpes de l’Ouest est classiquement regardée comme un archétype d’un front de compression ; Les relations chronologiques entre plis et failles y sont étudiées depuis très longtemps [e.g. Doudoux et al., 1982 ; Mugnier et al., 1987 ; Butler, 1992 ; Philippe et al., 1998 ; Deville et Sassi, 2006 ; Bellahsen et al., 2014]. Les roches sédimentaires mésozoïques et cénozoïques forment une chaîne plissée qui se développent à l’ouest des Massifs Cristallins Externes des Alpes (principalement, le massif de Belledonne et le massif du Mont Blanc) à partir de l’Oligocène (Figure 4.1) [voir Bellahsen et al., 2014, et ses références]. Cette chaîne englobe plusieurs unités tectono-stratigraphiques, qui sont du Nord au Sud : le Jura, le bassin Molassique Tertiaire et les chaînes Subalpines (Bornes, Bauges, Chartreuse et Vercors) (Figure 4.1). Ces unités forment un prisme orogénique qui se détache du socle autochtone durant la dernière étape de la collision Alpine, au cours du Cenozoïque [Laubscher, 1974 ; Guellec et al., 1990 ; Mugnier et al., 1990 ; Bellahsen et al., 2014]. Elles accommodent au sein de l’avant-pays Alpin les dernières dizaines de kilomètres des centaines de kilomètres du raccourcissement N-W enregistré au sein de l’édifice orogénique Alpin [Tardy et al., 1990 ; Deville et Chauvière, 2000 ; Bellahsen et al., 2014].

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Figure 4.1 – Carte tectonique régional des Alpes de l’Ouest [adapté de Bellahsen et al., 2014]. Les trois coupes tectoniques présentées en Figure 4.5 sont localisées.

Au front de la Chartreuse et de la partie nord du Vercors, les séries sédimentaires mésozoïques et cenozoïques se détachent du socle à la faveur d’un décollement au sein des séries sédimentaires à dominantes argileuses du Lias (Figure 4.2). Le Toarcien de ces séries liassiques est une roche-mère au très fort potentiel pétrolier, équivalente des « Schistes-Cartons » du Bassin de Paris (Figure 4.2) [e.g.

Deville et Sassi, 2006].

Figure 4.2 – Coupe géologique équilibrée (a) et lithostratigraphie (b) de la chaîne de la Chartreuse [modifiée de Deville et Sassi, 2006].

114 Les forages pétroliers à disposition au front des chaînes Subalpines, dans le bassin de Valence et le bassin Molassique, mettent en évidence les fortes variations d’épaisseurs et de potentiel roche-mère des niveaux liassiques, à la fois verticalement et latéralement (Figure 4.3). Les Schistes-Cartons sont très bien exprimés dans le bassin de Valence, au front de la Chartreuse et du Nord du Vercors (Figure 4.3). Dans ces régions, des niveaux argileux de black-shales riches en matières organiques qui peuvent atteindre 70m à 150m sont enregistrés. On admet généralement deux tendances pour l’évolution de ce niveau riche en matières organiques : le potentiel roche-mère tend à se réduire vers l’ouest, à la faveur de la transition vers des environnements de bassin plus profond, et vers le sud au niveau de la transition Chartreuse-Vercors [e.g. Deronzier, 1989 ; Deville et Sassi, 2006]. Sur la Figure 4.3, on distingue cette évolution en comparant les puits de Paladru-1 au front de l’anticlinal du Ratz, de Saint Lattier-2 au niveau de Valence et de Humily-1 au nord, en Savoie.

En Annexe-2 sont reproduites des cartes de faciès du Lias Subalpins, tracées par Barfety [1985]

sur la base de nombreuses données de terrains et de carottes. Elles définissent des évolutions similaires pour les façiès de black-shales du Toarcien. Elles montrent également que le niveau de décollement liassique au sein des écailles tectoniques de la Chartreuse est composé de faciès sédimentaires à dominante argileuse. Le Lias affleure largement sur les régions internes des chaînes Subalpines (Figure 4.4). La maturité thermique y est cependant largement sur-mature (voir Annexe-3), et le faciès sédimentaire représente des environnements de dépôts plus profond [Barfety, 1985]; c’est également visible au niveau du puits Humily-2 (Figure 4-3). L’épaisseur et la composition sédimentaire du niveau de décollement liassique reste malgré tout difficile à caractériser en 3 dimensions. Les puits au front des chaînes Subalpines du Vercors et de la Chartreuse (Brezins, Saint-Lattier et Paladru) permettent seulement d’identifier une formation sédimentaire à dominante argileuse dont l’épaisseur varie entre 200m et 300m. Au sein de cette série liassique, de grandes variations de comportements rhéologiques sont attendues entre les niveaux carbonatés (qui peuvent atteindre jusqu’à 100m d’épaisseur) et les marnes et argiles, pour lesquelles la formation roche-mère peut se restreindre à 50 ou 100m (voir Paladru-1). En l’observant à haute-résolution, la formation sédimentaire du décollement Subalpin n’est donc pas homogène ; la thématique de l’épaisseur de la zone cisaillée au sein du décollement et de sa position par rapport à la formation roche-mère y est particulièrement importante pour mieux comprendre la tectonique du décollement et la relation fluides-déformations.

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Figure 4.3 – Successions lithologiques et évolution du TOC du Lias et du Dogger sur quatre puits carottés

situés au front des chaînes Subalpines [source : BRGM et IFPEN]. L’épaisseur du Lias oscille entre 0 et 300m, et la roche-mère peut atteindre 100m d’épaisseur dans le cas du puits Brézins-1 au front de la Chartreuse.

La cinématique de la collision des Alpes de l’Ouest a fait l’objet d’une synthèse complète et récente par Bellahsen et al. [2014]. A travers la réactualisation de 5 coupes équilibrées couvrant tout le domaine externe des Alpes, ils montrent que le raccourcissement des chaînes Subalpines correspond systématiquement à un raccourcissement de socle, puisque les chevauchements s’enracinent toujours sous les Massifs Cristallins (Figure 4.4). Ils mettent surtout en évidence que les variations de styles structuraux observées du nord au sud sont en partie contrôlée par l’héritage structural et les variations de paléogéographie du bassin sédimentaire au Mésozoïque (Figure 4.4), confirmant ainsi les travaux de Philippe [1995], Roure et Colletta [1996], Philippe et al. [1998], Deville et Sassi [2006] et Bonnet

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Figure 4.4 – Coupes géologiques équilibrées de la Chartreuse et du Vercors à l’échelle crustale [adapté de Bellahsen et al., 2014]. La localisation des coupes est donnée en Figure 4.1

a) Coupe structurale de la Chartreuse Nord. b) Coupe structurale de la Chartreuse Sud. c) Coupe structurale du Vercors Nord.

En utilisant la méthodologie de modélisation Thrustpack, Deville et Sassi [2006] ont modélisé l’évolution structurale des chaînes Subalpine avec l’évolution géochimique du calendrier d’évolution géochimique de la roche-mère Liassique. Ils montrent des différences notables dans le timing de la maturation des roches-mères pour des régions qui sont adjacentes. Ainsi, ils distinguent :

(1) une zone où la maturation est pré-tectonique, au sein du Vercors, à cause du fort enfouissement sédimentaire pendant le Mésozoïque.

(2) une zone où la maturation se produit pendant le développement du bassin flexural, au sein du bassin Molassique.

117 (3) une zone où la maturation est acquise par l’enfouissement tectonique récent causé par

la propagation des chevauchements, dans la Chartreuse (Figure 4.5).

La hiérarchie des facteurs de contrôles de l’évolution de la température et de la maturité du kérogène au sein de la roche-mère n’est donc pas uniforme sur les fronts de chevauchements. Ainsi, la reconstruction géométrique de la Chartreuse montre que l’histoire thermique du niveau stratigraphique de décollement résulte d’une compétitionentre l’érosion et la sédimentation syn-tectonique et les mouvements sur les failles (Figure 4.5). En retour, des évolutions thermiques très contrastées peuvent se développer d’un bloc structural à un autre (Figure 4.5). L’expérience acquise par la mise au point de modèles cinématiques couplés avec l’évolution thermique et géochimique (comme en Chartreuse pour la Figure 4.5) montre souvent une progression des chevauchements frontaux synchrone de la genèse d’hydrocarbures des niveaux de décollements roches-mères :

- Dans le cas de la Chartreuse, la fenêtre à huile/gaz avance avec l’activation du déplacement sur les blocs structuraux frontaux. Celui-ci s’effectue de manière concomitante avec la génération des huiles et du gaz à partir du Langhien (Figure 4.5).

- Dans le cas du Vercors, cette génération pourrait faciliter les phénomènes d’inversion structurale dans le Vercors (Figure 4.4), corroborés par les indices de fluides hydrocarbures retrouvés au sein des chevauchements [Roberts et al., 1991].

Ici, le lien entre génération des hydrocarbures et activement des décollements est cependant uniquement suggéré. Il n’y a pas de processus mécanique pris en compte qui pourrait démontrer ou permettre de discuter sur la base d’arguments scientifiques un lien de cause à effet.

Figure 4.5 – Histoire d’enfouissement et taux de transformation du kérogène du Lias (a) modélisé pour une

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4.2 – Caractérisation géochimique, pétrophysique et mécanique d’un

horizon de décollement roche-mère à son état initial : Le Toarcien du Mali i

Gjerë, Albanie

Trois points sont essentiels pour préciser le comportement rhéologique de la roche-mère du Lias Subalpins et les paramètres clés permettant l’activation d’un décollement au sein de celles-ci :

(1) Calibrer des lois de compaction et des lois de porosité/perméabilité pour les différents intervalles stratigraphiques du Lias subalpin à partir d’échantillons à différent degrés de maturité, afin de prédire l’évolution de la surpression qui se développe pendant leur histoire d’enfouissement.

(2) Déterminer le modèle de comportement rhéologique et les résistances limites à la fracturation de cette roche-mère.

(3) Déterminer la distribution, et la quantité, et le type de matières organiques contenues dans ces niveaux roches-mères du Lias à l’état initial sous les chaînes subalpines, afin de préciser le potentiel de production de fluides hydrocarbures du niveau liassique.

La distribution de la matière organique et les évolutions d’épaisseurs et de faciès sédimentaires des roches-mères toarciennes subalpines peuvent être observées sur la base des puits et des affleurements disponibles. Cependant, le mauvais état et/ou l’inaccessibilité de ces coupes sédimentaires ne permet d’effectuer un échantillonnage systématique de ces niveaux de décollement toarcien à différents degrés de maturités thermiques ; Les échantillons disponibles sont soient thermiquement sur-matures (la matière organique enregistre des températures très supérieures à la fenêtre à gaz), soient possèdent un faciès sédimentaire plus distal que celui des écailles tectoniques de la Chartreuse.

Le décollement liassique est identifié principalement par des profils sismiques qui traversent les chaînes Subalpines de la Chartreuse et du Vercors [e.g. Philippe et al., 1998 ; Deville et Chaumière, 2000 ; Deville, 2015]. Historiquement, la position du décollement au sein de la série liassique provient de deux observations coïncidantes qui mettent en évidence l’absence des niveaux évaporitiques caractéristiques du Jura ou des Alpes du Sud : le style structural en imbrication d’écailles tectoniques et les séries sédimentaires observées sur les puits au front de ces chaînes Subalpines, (Figure 4.3) [Philippe, 1995 ; Philippe et al., 1998 ; Sommaruga, 1997, 1999]. Sur la sismique, le décollement est tracé comme un trait sans épaisseur (Figure 4.6a), et un équivalent est partiellement observable sur le terrain dans la région de Flumet à l’arrière de la chaîne des Bornes (Figure 4.6b). Les informations de puits et les affleurements de Lias disponibles sur les zones internes des chaînes Subalpines (Figure 4.6c, d, e et f) montrent bien l’hétérogénéité verticale des épaisseurs, des faciès sédimentaires et du potentiel roche-mère de la formation liassique Subalpines. On peut donc s’attendre à de grandes

119 variations du comportement rhéologique entre les différentes séquences sédimentologiques qui composent le Lias, définissant une « stratigraphie mécanique » de haute résolution à l’échelle de la formation roche-mère. En l’absence de données, comme des affleurements à l’état immature ou des carottes sédimentaires récentes, il est difficile de mieux caractériser cette stratigraphie mécanique de haute résolution.

Figure 4.6 – Exemples d’observations de la formation sédimentaire du Lias.

A°) Profil sismique de la Chartreuse et zoom sur le niveau de décollement. La résolution de la sismique ne

permet pas d’interpréter clairement la position du décollement au sein de la série stratigraphie. b) Zone de faille majeure au sommet des schistes Liassique au niveau de la Giettaz, France. Le zoom permet d’identifier des indices de cisaillements et de circulations de fluides. c) Calcaire du Carixien, Monteynard, Vercors. d) Schistes marneux du Domérien-Toarcien, Monteynard, Vercors. d) Argilites du Toarcien-Aalénien, Monteynard, Vercors. d) Argilites de l’Aalénien, Monteynard, Vercors. Cliché IFPEN.

Pour discuter au moins qualitativement des propriétés mécaniques et poro-mécanique d’une formation roche-mère et de son évolution verticale, l’utilisation d’une roche mère riche en TOC analogue des schistes-cartons Subalpins est proposée : il s’agit du Toarcien Posidonia Schist de la Zone Ionienne en Albanie. La présence en Albanie d’affleurements accessibles, dont l’emplacement est connu suite à plusieurs études effectuées en interne à l’IFPEN [notamment Roure et al., 1998], permet d’échantillonner la roche-mère à son état immature [Danelian, 1986 ; Roure et al., 1995; Meço

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and Aliaj, 2000 ; Muska, 2002 ; Roure et al., 2004]. De plus, cette roche-mère qui est également très bien documentée en Epire en Grèce [Danelian, 1986 ; Baudin et al., 1988 ; Karakitsios, 1989 ; Zapaterra, 1994; Kafousia et al., 2014], possède des caractéristiques stratigraphiques, sédimentologiques et géochimiques souvent décrites comme étant semblable des Schistes-Cartons en France [Jenkyns, 1988 ; Farrimond et al., 1989 ; Baudin et al., 1990 ; Roure et al., 1995]. Au niveau de la montagne du Mali i Gjerë, les hydrocarbures du champ de gaz de Delvina sont presque entièrement produits par ces niveaux de Posidonia Schist [Muska, 2002 ; Roure et al., 2004], qui affleurent encore immatures à la faveur d’un redoublement de la série sédimentaire [Muska, 2002 ; Roure et al., 2004]. Enfin, au sud de cette structure de Mali i Gjerë les niveaux de Posidonia Schist sont décrits comme un horizon de décollement secondaire [Roure et al., 1995 ; Roure et al., 2004 ; Vilasi et al., 2009].

L’objectif de cette partie est de comprendre comment se distribue le long d’un profil sédimentaire les paramètres qui contrôlent les propriétés mécaniques d’une roche-mère et le développement de la surpression dans celles-ci, pour un stade d’enfouissement analogue à l’état pré-compression des Schistes-Cartons Subalpins. Après l’étude de la stratigraphie mécanique à l’échelle du bassin sédimentaire (Chapitre 2), c’est-à-dire l’évolution verticale des propriétés et du comportement mécanique des niveaux stratigraphiques dans un bassin sédimentaire, l’objectif est d’analyser cette stratigraphie mécanique à l’échelle de la formation sédimentaire, au sein d’une roche-mère qui deviendra potentiellement un décollement.